Après une année de conflit, la perception de la guerre menée par le gouvernement de la Russie contre le peuple d’Ukraine continue de séparer le monde en deux blocs. D’un côté, les pays occidentaux menés par les États-Unis et l’Union européenne sous la bannière de la coalition militaire de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). De l’autre, un vaste ensemble hétérogène de pays désignés par les experts en géopolitique sous le nom de "Sud global".
Trois cercles forment ce conglomérat. Le premier est constitué par la Chine, l’Inde, l’Afrique du sud et le Brésil. Lesquels forment avec la Russie le groupe des BRICS – acronyme anglais composé par les initiales en anglais de chacun de ses membres - une alliance stratégique dissymétrique apparue en 2011.
Cet ensemble compte 40% de la population mondiale. Son produit intérieur brut cumulé est équivalent à celui des États-Unis et de celui de l’Union européenne. Le second cercle est constitué par l’Algérie, l’Indonésie, le Mexique, des puissances économiques moyennes.
Le Sud global contre l’Occident
Le troisième cercle du Sud global se compose de la quasi-totalité des autres pays d’Afrique, d’Amérique du sud et d’Asie, soit la majorité des États et de la population de la planète. Des voix et des analyses distinctes de celles des anciennes puissances coloniales et de l'empire américain s’y font volontiers entendre.
Des voix discordantes reflétant une forme de ressentiment envers l’Occident, accusé de mener une politique du "deux poids, deux mesures" en matière de droit international. Plusieurs de ces gouvernements dénoncent la grave violation de la Charte de l'ONU commise par la Russie. Ils n’approuvent pas pour autant les sanctions économiques contre les cercles dirigeants russes, ni le discours moralisateur entendu en Europe et aux États-Unis.
L’axe de rotation du monde change de position
Ainsi, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères d’Afrique du sud explique au quotidien Le Monde : "N’oublions pas les peuples de Palestine, du Yémen, de Syrie, de Libye, de Somalie. L’Union européenne devrait condamner les agresseurs dans ces cas également".
L’ancien diplomate français Michel Duclos estime que la guerre contre l’Ukraine représente "un moment d’affirmation pour les puissances moyennes désinhibées"- Turquie, Inde, Brésil, Iran. Leurs gouvernements contestent l’ordre international et ne cachent plus leur animosité envers l’Occident.
Toujours au même journal, un diplomate européen confie : "Les pays du Sud n’ont pas attendu la guerre pour considérer que l’ordre international faisait la part trop belle aux intérêts occidentaux". Il y voit la fin de la séquence ouverte par la chute du mur de Berlin en 1989, suivie deux ans plus tard par l‘effondrement de l’Union soviétique.
Depuis, les États-Unis et leurs alliés décident de la marche du monde. Leurs dirigeants refusent de voir les multiples signes d’un changement d’époque. Pourtant, il est évident que le moment est venu de méditer cette prophétie de l’intellectuel martiniquais Edouard Glissant. Dans son magistral "Le Discours antillais", il écrivait, en 1981 : "L’homme occidental aura peu à peu et à grande douleur cessé de croire qu’il est lui-même au centre de ce qui est". Dont acte !