Mettons les choses au clair : n’est pas décrétée Sa Majesté le roi du Carnaval qui veut. Il n’y a pas d’élection et pas davantage de concours pour devenir titulaire de cette charge. En revanche, la liste d’attente pour mériter un tel honneur est longue, tant sont nombreux les personnages ou les faits à incarner par cette figure mythique.
L’effigie retenue dépend de la créativité de ceux qui se chargeront de confectionner la statue de Vaval. Il leur faudra savoir synthétiser l’air du temps respiré par la population. Rude tâche. Il ne s’agit pas de manquer ce périlleux exercice. Le peuple, en ce domaine aussi, est impitoyable. Il ne pardonne pas s’il ne se sent pas correctement représenté.
Nous pouvons parier que ceux qui confectionneront Vaval auront l’embarras du choix pour figurer des chefs politiques, comme une ancienne tradition le veut. Surtout en période électorale. L’inspiration ne manquera pas, entre les candidats à la présidentielle et les prétendants au mandat de député.
La dérision, une tradition ancienne
Cette habitude de tourner en dérision notre élite nous vient en droite ligne de nos ancêtres. Après l’abolition de l’esclavage, ils pouvaient se permettre de se moquer de leurs anciens maîtres, sans risque d’être jetés en prison ou exécutés. Cet esprit de liberté leur a permis de vivre les Jours gras comme une parenthèse joyeuse dans leur vie miséreuse.
Dans le Saint-Pierre d’avant l’éruption de 1902, le Carnaval était le moment par excellence durant lequel la satire sociale et la critique politique avaient libre cours. La tradition a traversé le temps et ses vicissitudes.
Cet esprit est encore palpable dans le Carnaval contemporain. Mais qu’en sera-t-il cette fois ? Nous vivons depuis deux ans une période de restrictions et de privations, sur un fond de drames humains individuels et de perplexité collective. Dès lors, nous pouvons nous demander quelle configuration prendra notre Carnaval.
Un intense moment de créativité
C’est la période, par excellence durant laquelle le peuple a le droit de dire et de montrer ce qu’il pense sur tous les sujets qui le préoccupent, sur tous les problèmes qui l’assaillent. Or, la dernière édition a été largement tronquée à cause de la pandémie. Un vaste mouvement d’autocensure s’est alors imposé à nous, ce qui n’a pas empêché, hélas, des initiatives dissidentes et ponctuelles.
Néanmoins, l’esprit de responsabilité a prévalu. En sera-t-il de même en 2022 ? Alors que notre société a été aussi rarement fracturée, pourrons-nous communier sans crainte dans un Carnaval qui donnera la part belle à la sécurité sanitaire ? Ou, au contraire, verserons-nous dans un épisode incontrôlé risquant d’aggraver la situation critique ?
Si le Carnaval est synonyme de dérision, de liberté de ton de critique sociale et de créativité populaire, peut-il l’être cette année aussi comme si de rien n’était ? Nul autre que nous-mêmes ne peut en décider. La réponse portée à ces questions révélera notre degré de conscience collective et notre capacité à nous projeter dans l’avenir.