Le Carnaval est une période de festivités qui existe de longue date. Il a pris naissance alors que nos ancêtres subissaient les affres du système esclavagiste. Il est l’une de nos plus anciennes coutumes. Il est aussi l’un des signes les plus pertinents de la vivacité de la culture martiniquaise depuis presque deux siècles.
Événement populaire s’il en est, le moment des masques et des travestis demeure une séquence incontournable. Les sociologues, anthropologues et historiens qui s’y sont intéressés estiment qu’il est un authentique marqueur identitaire qui a traversé les époques. Comme tous nos traits culturels, il résulte d’une synthèse de pratiques de plusieurs origines.
Amené par les colons dès les premiers temps de l’occupation de l’île, au 17ème siècle, le carnaval devient rapidement le moment d’une rencontre festive entre les maîtres venus d’Europe et les captifs venus d’Afrique. Ce moment de joie devient alors un espace ponctuel de liberté.
Une nécessaire parenthèse de liberté
Cette parenthèse de liberté est devenue une séquence limitée dans le temps durant laquelle était autorisée la satire sociale et politique. Le geste suprême de ce moment est la confection, puis la destruction de Vaval, l’effigie représentative d’un personnage moqué, derrière laquelle le défilé s’étire.
Après avoir été formalisées à Saint-Pierre, la capitale d’alors, ces pratiques se propagent dans toute la colonie. Le Carnaval atteint sa maturité à la fin du 19ème siècle, après l’abolition de l’esclavage. La destruction de la ville par l’éruption volcanique de 1902 provoque une rupture provisoire de cette tradition désormais bien ancrée. Néanmoins, elle se renouvelle à Fort-de-France puis essaime aux quatre coins de l’île.
Au fil du 20ème siècle, la persistance de cette parenthèse encadrée et ponctuelle de liberté ne faiblit pas, en dépit des crises économiques et des vicissitudes de toutes natures. Le Carnaval a su demeurer un moment de communion du peuple qui s’octroie le droit de dire et de montrer ce qu’il pense sur tout sujet. Aucune autorisation n’est sollicitée de quiconque pour tourner en dérision tel ou tel, pour exprimer une opinion, ou pour illustrer un fait d’actualité.
Une forme d’ivresse collective tolérée
Dans le "vidé" (nom martiniquais du défilé de rue), une large place est laissée à l’improvisation. Le défoulement autorise toutes les modalités de la liberté de ton et de comportement. Le spectacle offre une débauche de couleurs et de sonorités dans une forme d’ivresse collective tolérée.
Une tolérance poussée à son paroxysme ces dernières années, avec l‘apparition de carnavaliers en petite tenue, voire carrément dénudés. Une tendance récente et limitée à Fort-de-France qui provoque une certaine perplexité. En 2024, nous constatons l’émergence d’un courant dans l’opinion publique qui refuse ces dérives confiant à la vulgarité.
Étalage de corps à moitié dévêtus…
C’est à se demander si l’esprit du Carnaval est encore respecté. Est-ce un signe de modernité que cet étalage de corps à moitié dévêtus ? Ou, au contraire, le signe d'une société complètement déboussolée ? La réponse tient à notre conception de la liberté d’expression.
Nonobstant ces déviances plus ou moins tolérées, il est certain que le Carnaval reste un moment de démonstration de la vivacité de notre culture, une illustration de notre créativité et un facteur de notre cohésion sociale. En quelque sorte, un instant dans l’année durant lequel le peuple martiniquais fait peuple.