Quel avenir pour la filière porcine en Martinique ?

Elevage de cochons hors sol
Comme chaque année, le cochon sera la star de Noël. Il sera décliné sous toutes ses formes, dans les assiettes : jambon, ragoût, pâtés ou boudin. Pour les acteurs de la filière porcine, c'est une période cruciale. Mais la conjoncture économique difficile a eu des répercussions sur l'activité des éleveurs. Certains sont inquiets pour l'avenir de la filière.

Au marché de la viande, à Fort-de-France, ce n’est pas encore la grosse affluence, à quelques semaines de Noël. Les clients en quête de cochon, pour le ragoût du 25 décembre, se font encore désirer. Du côté des bouchers, on attend que les ventes décollent enfin.

Pour l'instant, nous n'avons pas beaucoup de ventes, comparées aux années précédentes. Je pense que c'est par rapport aux abattages, à la campagne. Nous, les bouchers, nous avons un manque à gagner. En principe, à cette période-là, nous avons déjà vendu plus qu'aujourd'hui.

Thierry Lucenay, artisan boucher

Il faut dire que les éleveurs porcins ont mis les bouchées doubles, afin d’augmenter leur volume de production et rattraper les pertes subies lors de la crise sanitaire.

Pendant le covid, nous avons souffert. Nous n'avons pas pu abattre nos porcs. Nous avons eu beaucoup de problèmes, même pour l'écoulement. Aujourd'hui, les professionnels ont fait un effort considérable, en production. Pour le porc, il y a une augmentation de 16% par rapport à l'année 2021.

Henri Basson, président de l’AMIV, Association Martiniquaise Interprofessionnelle de la Viande

Georges Cambray et Henri Basson et artisans bouchers.

Les professionnels de la viande ont prévu d’atteindre 50 % de porc local, sur le marché martiniquais d’ici à quelques années. Mais Jean Félix Anéxime, vice-président de la Coopmar estime qu’il n’y a pas assez d’éleveurs.

L'avantage que nous avons eu, au niveau de la production, c'est que nous avons pu maintenir les volumes, parce qu'il y a la technicité, derrière, avec moins d'éleveurs. Ceci dit, cela ne suffit pas. Là maintenant, il faudrait avoir des élevages plus importants.

Jean Félix Anéxime, vice-président de la Coopmar

Actuellement, les éleveurs porcins fournissent près de 30% du porc consommé en Martinique.

La filière porcine aux abois

Depuis la flambée des prix sur les matières premières, la situation des éleveurs de cochon s’est considérablement dégradée.
Jean Félix Anéxime est à quelques années de la retraite. C’est la passion du métier qui le pousse à exercer toujours son activité, sur son exploitation au Robert, quartier Duchêne.

Tous les producteurs de hors-sol souffrent de l’augmentation du prix des matières premières. Nous sommes très loin de pouvoir sortir un revenu minimum. La charge en termes d’alimentation des animaux est à plus de 60% d’augmentation. Il faut ajouter les produits phyto sanitaires et toutes les autres matières premières que nous utilisons pour l’exploitation.

Jean Félix Anéxime, éleveur de cochons

Jean Félix Anéxime, éleveur de cochons.

Pris à la gorge par les problèmes de trésorerie, les éleveurs de cochons ne peuvent même pas compter sur les subventions, pour assurer la survie de leur activité.

Les producteurs sont endettés jusqu’au cou. Donc ils ont énormément de mal à payer les charges sociales et patronales. Or, pour bénéficier des aides, il faut être à jour de tout.

Le vice-président de la Coopmar et ancien président de l’AMIV, l’Association Martiniquaise Interprofessionnelle de la viande, s’interroge sur le devenir de la filière porcine, en Martinique.

Quand j’ai commencé à l’époque, nous étions entre 60 et 70 producteurs. Aujourd’hui, à tout casser, nous sommes à 35, les deux coopératives confondues. Je pense que dans cinq ans, s’il n’y a pas de reprise ou de relève, c’est mort.

Jean Félix Anéxime a déjà préparé la reprise de son exploitation. C’est son unique salarié qui prendra les rênes. Mais très peu de jeunes se lancent dans l’élevage de cochons.

Les montants d’investissement pour une production moyenne de 42 truies dépassent le million d’euros. Je vois difficilement un jeune s’installer, même avec toute sa bonne volonté, avec des montants pareils. Ce n’est pas possible.

Jean Félix Anéxime, éleveur de porcins hors sol

L'élevage en plein air, une solution pour réduire les coûts de production

En Martinique, les éleveurs porcins en plein air constituent une infime minorité. À la Coopmar, ils sont deux, dont Christian Audinay.

Nichée sous les bois, dans un écrin de verdure, au quartier Figuier, à Rivière Salée, l’exploitation de Christian Audinay se trouve en zone agricole protégée.

Sur sa parcelle de 7 hectares, cet exploitant pratique la polyculture : des arbres fruitiers, mais surtout de l’élevage de cochons, en plein air.

Au début, j’avais obtenu l’autorisation de défrichement, sur la totalité de la superficie. Mais volontairement, je n’ai pas défriché, parce que le biotope naturel du porc, c’est le sous-bois et des savanes un peu arbustives. Comme ce sont des bêtes qui ne transpirent pas, qui souffrent beaucoup du soleil, ils ont besoin d’endroits ombragés et de mares, pour se rafraîchir.

Christian Audinay, éleveur de cochons en plein air

Christian Audinay, éleveur de cochons en plein air

Christian Audinay possède un cheptel de 150 cochons. Il se procure les porcelets, auprès des naisseurs conventionnels et se charge de les nourrir, pour les engraisser.

Les porcelets sont d’abord, placés en quarantaine, pendant un mois, afin de s’adapter à leur environnement naturel et éviter les cas de mortalité, causés par le soleil ou les intempéries.

Porcelets en quarantaine, avant leur élevage en plein air

Christian Aundinay a également adapté l’alimentation de ses animaux.

Il fallait que je trouve un aliment en quantité et en qualité suffisantes. Donc, j’ai commencé avec la banane. J’ai trouvé un approvisionnement régulier. In fine, nous avons conventionné avec un supermarché. Il nous fournit des fruits et légumes.

Tous les 3 jours, Christian Audinay récupère une tonne de fruits et légumes, pour ses cochons, auprès d’une grande surface. Ces produits sont des invendus. Cela lui permet de faire des économies significatives.

J’avais réduit de 20% mon coût avec la banane. Et là, j’ai réduit quasiment de 50% le coût du poste aliment grâce à l’apport de fruits et légumes, quotidien. Mon poste médicamenteux, c’est zéro. Aucun produit vétérinaire, autre que les vermifuges.

Christian Audinay, éleveur de porcins en plein air

Le porc créole, une filière d'excellence, à développer

Le porc créole fait partie des produits locaux que l’on trouve principalement lors des ventes directes, de producteur à consommateur. Mais cette viande a aussi trouvé sa place dans les vitrines des boucheries.

Le consommateur préfère le cochon noir. Ce porc créole, nous avons quelques petits éleveurs qui le font encore. Nous travaillons, avec une quinzaine de petits éleveurs, et en liberté en plus.

Henri Basson, Président du Syndicat des Artisans Bouchers de Martinique

Pour répondre à la demande croissante de porc créole, certains éleveurs se tournent, vers le cochon noir ou cochon planche.
C’était le projet de Christian Audinay, lorsqu’il a lancé son activité. Avec sa coopérative, la Coopmar, il s’est rapproché du Parc Naturel et de l’INRA (l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture) dans l’objectif de développer une filière du porc créole. Finalement, Christian Audinay s’est ravisé et a opté pour le porc conventionnel, en plein air.

Les périodes de croissance, pour le porc conventionnel, c’est autour de 6 mois. Pour le porc créole, ce serait plutôt autour de 14 mois, voire 2 ans. Et il faudrait aussi, un travail au niveau de l’alimentation.

Christian Audinay, éleveur de porcins en plein air

Depuis 2015, le Parc Naturel a lancé une étude expérimentale, sur le porc créole de Martinique.
Des cochons sauvages ont été capturés, dans le Nord, sur les flancs de la montagne Pelée.  Le projet a été momentanément suspendu, avant d’être relancé.

L'objectif du Parc est de caractériser cette race pour éviter la consanguinité et garder vraiment cette race de cochon créole. L'objectif aussi au Parc c'est de donner aux éleveurs le choix de s'affranchir de l'importation d'aliments pour les animaux. Les éleveurs ont la possibilité de fournir aux animaux des aliments qui proviennent de leurs terrains.

Stéphanie Morin, responsable du service expérimentation, en agriculture durable

D’autres populations de cochon noir ont été repérées, dans le sud de la Martinique. Il s’agit d’espèces domestiquées. Une thèse sur le sujet est en cours au Parc Naturel.