Il est un peu moins de 21 heures au Tribunal judiciaire de Mamoudzou, ce vendredi 16 février. Le juge ne va pas tarder à statuer en comparution immédiate sur le cas de l’affaire de « l’attaque de la gendarmerie de Sada ». Dans l’austère salle d’audience, un silence de mosquée criant. La tension est à son paroxysme aussi bien dans l’atmosphère électrique que dans l’anxiété palpable du public. Des hommes et des femmes, de tout âge et de toute extraction sociale comme géographique – notamment de la famille, des amis, des militants, des barragistes ou encore des politiques, sont là. Venus assister à cette comparution, tous tiennent à faire masse mais surtout apporter leur soutien aussi bien à l’intérieur de l’enceinte qu’à l’extérieur. L’un d’eux, très angoissé, ne tient pas debout et fait les cent pas. "J’espère que qu’ils seront libérés, j’espère qu’ils seront libérés", psalmodie-t-il.
Quatre ans de prison, "comme la peine infligée aux jeunes"
Ils, ce sont les deux prévenus : "Maddou" et "Alger", deux habitants de Sada. Ces deux hommes ont été convoqués au tribunal correctionnel pour être jugés en comparution immédiate. Il leur est reproché notamment d’avoir commandité plusieurs actes de dégradation de biens d’autrui en réunion dont celui de la brigade de gendarmerie de Sada et de faits de violences aggravés dans la nuit du 28 au 29 janvier 2024.
Dans ce procès qui a débuté après 17 heures, il s’agissait pour la défense de démontrer que ces adultes présents à la barre n’avaient aucunement participé à ces dégradations ni à ces violences et pas plus organisé contre rémunérations ces actes délictueux. En face, le tribunal devait parvenir à prouver la reconnaissance des faits ou encore jusqu’à quel niveau de participation et de complicité les deux prévenus auraient pu être impliqués. « Alger » et « Maddou » encourent jusqu’à 10 ans d’emprisonnement. Quelques minutes plus tôt, le procureur de la République, Yann Le Bris, dont le rôle est de présenter l’affaire aux juges lors du procès et de plaider en requérant une peine dans le respect de la défense, a déclaré les prévenus à la barre "coupables des faits qu’on leur reproche au vu des éléments présentés qui tous vont dans le même sens." Il a toutefois poursuivi qu’il "ne demandera pas plus que les 4 ans d’emprisonnement comme la peine infligée aux jeunes incarcérés à la prison de Majicavo"
La cloche sonne. Tout le monde se lève.
Le jury rentre dans la salle. Le public se rassoit. Le jugement tombe implacable comme un couperet pour les prévenus : "coupables ! 4 ans d’emprisonnement. Le tribunal décerne un mandat de dépôt pour la prison de Majicavo." Les prévenus gardent le silence. Le public de la salle, lui est sidéré, mais ne laisse échapper aucun cri. Des pleurs, de l’incompréhension beaucoup. Pour Maître Moussa Askani, l'avocat d'un des deux prévenus : "il n’y a pas eu de dissociation de peine pour les deux prévenus qui ont pris 4 ans de prison ferme avec mandat de dépôt. Cela veut dire que les gendarmes les amènent à la prison de Majicavo tout de suite. C’est une peine très lourde. Nous, les conseils des deux prévenus, nous estimons que c’est une sanction qui n’est pas fondée. C’est même absurde car on ne condamne pas des pères de famille qui sont innocents. Des personnes qui ont de telles responsabilités et qui ont un casier judiciaire vierge. Des gens qui sont activement impliqués dans la vie sociale de Mayotte, avec un emploi pour chacun, bien établis. Des personnes qui sont aussi des éducateurs. Donc personne n’a compris le sens de la décision d’aujourd’hui."
Du côté du procureur de la République on estime bien au contraire que "les gens ont compris puisque la salle était ouverte avec 30 à 40 personnes qui étaient présentes : des habitants de Sada et des proches qui étaient poursuivis. Ils ont pu entendre tous les débats. Ils ont pu entendre les réquisitions et les énumérations de tous les éléments à charge qu’il y avait contre les prévenus et entendre les plaidoiries. Je pense qu’ils ont parfaitement compris la décision et le sens de la décision. Ce qui n’empêche pas la douleur qui est la leur de voir un proche, parfois un membre de leur famille partir pour plusieurs années si la décision ne fait pas l’objet d’un appel."
Dehors, la foule est abasourdie
La foule a déjà reçu l’information telle une traînée de poudre. La consternation se dispute à la colère, à l’incompréhension et aux protestations. Maître Moussa Askani assure qu’il va faire appel. "On a 10 jours pour faire appel. Dès lundi, en concertation avec mon confrère Maître Condé on a décidé de représenter jusqu’au bout nos clients et de faire appel car on conteste farouchement cette décision." L’avocat a également ajouté que "le tribunal a fait une très mauvaise appréciation de la situation car avec cette décision, il va être encore plus difficile d’être Mahorais aujourd’hui, d’être habitant de Mayotte.". Ce à quoi Yann Le Bris, le procureur de la République, a répondu qu'en "rendant sa décision le tribunal a expliqué qu’il était difficile de prononcer des peines inférieures contre ceux qui incitent, qui accompagnent, qui sont à l’origine des choses, de celles pour ceux qui exécutent."
Le procureur ajoute qu'il est "aussi très important au cours de ce procès de montrer que les prévenus avaient été poursuivis non pas parce qu’ils avaient participé à des barrages, mais qu’ils ont été poursuivis que sur des infractions qui étaient liées au fait que la gendarmerie a été attaquée entre 11 heures et 4 heures du matin. C’est pour cela qu’ils ont été poursuivis et condamné et absolument pas parce qu’ils ont été à un moment des acteurs de barrages. Ce serait une excuse de le penser."