Le regard complice, Stanislas, médecin dit le "Doc" et Dorian, infirmier surnommé "le sorcier" forment un duo soudé. Travaillant à bord du navire de la Marine nationale à travers l’Atlantique Nord, les deux collègues constituent l'unique équipe médicale pour les 95 membres d'équipage. Une lourde responsabilité qu’ils endossent 24h/24 pendant les deux mois d’expédition.
“D’habitude, je suis seul à bord et je peux appeler un docteur à n’importe quelle heure pour demander des conseils sur une prise en charge”, explique Dorian. Mais cette mission étant longue, isolée, avec des conditions météorologiques particulièrement difficiles, nous sommes deux”.
À bord, communication et confiance sont de rigueur entre les deux collègues. “Il y a une grande transparence dans nos transmissions. Entre nous, chacun est au courant dans les 12 heures dès qu’il se passe la moindre chose, indique Stanislas. Dorian connaît par cœur les marins et sait tout de suite quand quelque chose ne va pas”.
Un métier passion doublé de rigueur et d’adaptabilité
Un rôle d’intermédiaire essentiel assuré par l’infirmier de 30 ans. Sorti d’une formation en soins infirmiers dans le civil, Dorian est entré dans la Marine nationale en 2022 après un passage par l’hôpital militaire de Percy à Clamart. Durant cette expérience professionnelle, il a exercé plusieurs années dans un service de chirurgie générale alternant entre plusieurs spécialités. Une expérience professionnelle qui lui a permis d’engranger des connaissances et d’acquérir rapidement de l’autonomie.
C’est lui qui a préparé la mission avec minutie. Plusieurs mois avant le départ, il commence déjà à établir une liste de matériel spécialisé qu’il faudra emmener. Couvertures autochauffantes, médicaments pour soigner les engelures et toutes les autres médications liées aux pathologies du froid… Le “sorcier” vérifie également qu’un passage chez le dentiste ait été fait pour l’ensemble des membres de l’équipage et que toutes les visites médicales sont à jour. “J’en ai organisé 42 avant de partir”, précise-t-il. Une rigueur essentielle qui concerne les membres d’équipage mais également le bateau. “Je gère aussi le carnet de santé du bateau, plaisante Dorian. Je suis responsable de l’hygiène navale (dératisation, désinfection des locaux) et l’entretien du matériel biomédical en plus d’avoir un regard sur les menus à bord.
Si l’on prépare bien la mission en amont, on a moins de problème à bord.
Stanislas, médecin militaire à bord du patrouilleur de haute mer Premier-Maître L’Her
Médecin militaire depuis 2015, le soignant a exercé longtemps comme médecin de campagne ainsi que dans les îles Marquises et les Terres Australes où il a appris à pratiquer la médecine en terrain isolé.
Les relations humaines au cœur de la pratique
Une fois embarqués, les deux soignants doivent prendre soin des 95 membres d'équipage. Une lourde responsabilité qui repose sur des qualités essentielles. La première ? Le sens du relationnel. “Dorian sait tous les prénoms des hommes à bord. Il connaît leur vie et leurs soucis”, explique Stanislas. Pour entretenir ce lien de confiance, l’infirmier a pris l’habitude de veiller tard à l’infirmerie. Une fois la nuit tombée, l’ambiance est plus calme sur le bateau. “La lumière blanche de l’infirmerie appelle les marins, plaisante l’infirmier. Ils viennent plus facilement se confier sur leur ressenti pendant l’expédition ou sur leur vie personnelle. Il se passe parfois des drames familiaux au sein de l’équipage qu’il faut savoir accompagner”.
Les longues missions étant parfois délicates à gérer pour les familles, les soignants à bord jouent un rôle d’accompagnement et de soutien pour les membres d’équipage.
La relation au patient est particulière. À l'hôpital, on a la blouse qui permet de mettre une barrière alors que sur le bateau, l’uniforme est le même pour tous et on vit ensemble. C'est un autre type de relationnel.
Dorian, Infirmier à bord du patrouilleur de haute mer, Premier-Maître L’Her
Une rigueur stricte et une grosse résistance au stress sont également indispensables à bord pour faire face à des situations critiques qui peuvent arriver lors de missions dangereuses ou avec des conditions météorologiques compliquées.
Des membres d'équipage peuvent être malades ou blessés. Il faut savoir intervenir vite. Sans trembler. Pour sa première mission, deux semaines après être monté à bord, Dorian a dû gérer une évacuation médicale avec un marin qui a dû être hélitreuillé. Une situation particulièrement rare et stressante. Pour Stanislas, une urgence à gérer en pleine tempête.
Je me souviens une fois dans une autre mission avoir dû suturer un blessé grave, au sol avec une lampe torche. Dans ces situations, il faut savoir garder son sang-froid.
Stanislas, médecin à bord du patrouilleur de haute mer, Premier-Maître L'Her
Enfin, le maître-mot, qui résonne dans tout le bateau : l’adaptabilité. Dans une infirmerie grande de quelques mètres carrés, impossible de prendre beaucoup de matériel. En conséquence, il faut bricoler pour arriver à ses fins. “Pour notre pied à perfusion, j’ai pris un manche à balai, plaisante Dorian. Ça arrive aussi qu’on accroche les poches avec des mousquetons”, ajoute Stanislas. “C’est un métier ordinaire dans un cadre extraordinaire” résume Dorian, où voyages et formations en tous genres se succèdent. Un métier également très exigeant où les heures de travail ne se comptent pas et pèsent parfois sur la vie personnelle des soignants.
De bonne guerre, selon Stanislas. “Ça complique les choses mais c’est le prix de la liberté”.