PORTRAIT. Découvrez le destin peu commun de Ty Jomessy, orphelin de La Monique

Ty Jomessy porte le prénom de son père, matelot sur la Monique disparu juste avant sa naissance. À Ouvéa, l’ancien marin, ici devant la stèle commémorative de Fayaoué, a décidé de faire son deuil et de se consacrer à la transmission de l’histoire.
Ty Jomessy aura 70 ans en novembre. Avant sa naissance, cet habitant d’Ouvéa a perdu son père, matelot sur La Monique. Un récit qu'il a découvert une fois adulte. Depuis, il essaye de comprendre. Aujourd'hui, il a décidé de faire son deuil. Découvrez son portrait dans Destins peu communs.

Face à la stèle en mémoire des disparus de La Monique, à Maré, Ty Jomessy découvre son nom inscrit. Il a presque trente ans et apprend, en posant des questions à son oncle, que ce nom gravé est celui de son père, disparu en mer avec La Monique, et dont il porte le prénom. "En juillet 1953, ma maman était enceinte de moi. Mon père devait passer la récupérer à Ouvéa avec la rotation du bateau, pour qu’elle aille accoucher à Nouméa. Mais mes grands-parents paternels l’ont suppliée de ne pas monter sur le caboteur et de rester avec eux pour accoucher à Ouvéa. C’est pour cela que je suis là aujourd’hui. Si elle était montée à bord, je ne serais même pas sur la liste des personnes disparues, puisque j’étais alors encore dans son ventre." Cette histoire, Ty Jomessy ne l’apprend que tard, après son service militaire dans l’Hexagone et une première expérience de travail à Nouméa. "Enfant, j’ai grandi avec mes grands-parents paternels, à Ouvéa. Ma mère s’est remariée à Maré. Mes grands-parents ne parlaient jamais de mon père, leur fils. À l’école, quand on me demandait qui était mon papa, je donnais le nom de mon grand-père. Je n’ai appris tout cela qu’après leur mort. Je n’ai jamais eu l’occasion de leur demander pourquoi ce silence."

 

Retour à la mer

 

Quand il apprend qui est son père, Ty Jomessy se renseigne sur l’histoire du caboteur disparu en mer, entre Maré et Nouméa, le 31 juillet 1953. Il lit, assiste à des conférences et essaye d’identifier un visage familier sur les photos d’archive. "J’aurais aimé connaître mon père et apprendre son histoire plus tôt. On me dit souvent que je lui ressemble, je n’ai pas vraiment de photo de lui, j’ai du mal à me le représenter, c’est flou." A la même époque, Ty Jomessy rentre à Ouvéa, se forme au sein de la Maison familiale et rurale de l’île et s’intéresse de plus en plus aux métiers de la mer. "Après avoir appris pour mon père, j’ai senti le besoin de revenir vers l’océan." Il entame une carrière d’animateur de la filière pêche et part travailler à Lifou, au siège de la province des îles Loyauté. Il y passera vingt ans. "À chaque voyage en mer, je pensais à mon père, surtout quand je rencontrais des mascarets, des courants qui peuvent t’entraîner vers le fond." Une fois, le marin est même porté disparu quatre jours en mer, entre Nouméa et Maré. "Je suis tombé en panne d’essence et j’y ai vu un signe, peut-être l’occasion de comprendre ce qu’a vécu mon père. Alors que je dérivais, je me disais : papa, si tu es là, ramène-moi à terre. À ce moment-là, ma mère a appelé ma femme en lui disant de rentrer à Ouvéa, car j’étais, selon elle, en train de partir rejoindre mon père. J’ai finalement touché terre à Canala, la tête toujours remplie de questions."

 

Le temps du deuil

 

En 2011, Ty Jomessy suit, passionné, l’expédition menée à bord du navire câblier L’île de Ré. "J’étais devant mon écran, me demandant ce qu’ils allaient trouver, si on allait enfin avoir des réponses. Quand les recherches se sont arrêtées, sans avoir trouvé l'épave, je me suis dit qu’il était temps pour moi de tourner la page, de mettre un point final à cette histoire." Sa mère décède quelques années plus tard. Quand il part pour l’enterrement à Maré, sa décision de faire son deuil est prise. "A Tadine, le cimetière surplombe la stèle en mémoire des disparus de La Monique. J’ai vécu ce jour-là comme un nouveau signe pour moi, le signe que mon papa était bel et bien parti. Je venais dire au revoir à ma mère, mais j’ai finalement fait le deuil de mes deux parents." Depuis sa retraite et son retour à Ouvéa, Ty Jomessy s’implique dans des actions de transmission de la mémoire. "Je n’avais jamais participé à des commémorations avant l’année dernière à Ouvéa, précise-t-il, mais depuis que des enfants sont venus me poser des questions, j’ai commencé à raconter mon histoire, car c’est important pour ne pas oublier ceux qui sont partis avec La Monique. J'ai donné mon prénom, qui était aussi le prénom de mon père, à mon fils. J'aimerais qu'il le transmette également à ses enfants, pour que l'histoire de mon père ne tombe ainsi jamais dans l'oubli."

 

Découvrez cet épisode ainsi que tous les autres de Destins peu Communs, l'émission qui part à la rencontre de nos identités (diffusion en radio les mardis à 12h17 et rediffusé le dimanche à 12h20).