Au milieu de sa vanilleraie, au fond d’une grande cocoteraie du sud de l’île d’Ouvéa, Virginie Wallepe (surnommée Vizéni en langue iaai), 53 ans, est intarissable. "C’est mon petit jardin d’Eden ici, il y a les vanilles, les papayers, les fleurs, je laisse aussi les oiseaux faire leur travail. A Ouvéa, tu ne peux pas dire que tu es malheureux : tu as la mer et les champs, l’auto-suffisance, c’est ça : apprendre à vivre avec ce que tu as et préserver la nature." Aujourd’hui conteuse, cette femme engagée défend une façon de vivre simple, au plus près de la coutume. "C’est ce qu’on m’a appris à l’école populaire kanak, un enseignement auquel je tiens."
Cette école (l'EPK), mise en place en 1985 à l’appel du FLNKS (pour boycotter l’école dite "coloniale"), n’a jamais été officiellement reconnue. "Quand je suis sortie de là en 93, après y avoir passé presque dix ans, comme élève puis comme animatrice, je n’avais aucun diplôme. Nous avions été basculés enfant à l’EPK et je me suis sentie un peu abandonnée car ce n’est que dans les années 2000 que des formations ont été développées pour les anciens de l’EPK, moi je me suis débrouillée comme j’ai pu pour faire reconnaître mes acquis, car je voulais travailler." Virginie Wallepe se forme alors avec les services de la Jeunesse et des Sports et devient encadrante de colonies de vacances.
Des contes pour dialoguer avec la jeunesse
Dans sa tête, une interrogation persiste : comment, en plus de la langue, transmettre les valeurs de la culture kanak ? "A l’EPK, des soirées contes étaient organisées par des vieux et j’aimais ces moments, car les métaphores utilisées répondaient à nos questions et nous transmettaient des valeurs de respect, d’humilité et de crainte, alors je me suis, un jour, dit : pourquoi ne pas poursuivre ?" Un de ses contes, Le petit poisson jaune, a récemment été publié dans un recueil à destination des scolaires. "J’ai commencé à conter, car je trouve qu’il n’y a pas que l’enseignement de la langue qui est important, il faut aussi expliquer à l’enfant d'où il vient et comment se comporter dans sa culture."
Et c’est bien la rencontre avec les enfants que Virginie Wallepe apprécie le plus. "Quand j’arrive dans les écoles primaires, je les vois courir vers moi, peut-être qu’ils sentent tout l’amour que je viens leur partager. Avec les collégiens c’est différent, quand j’entends des insultes envers les professeurs, je me dis qu’avec les contes je peux peut-être aider certains collégiens à se situer et à se ressaisir."
Lutter contre le fléau de l’alcool et encourager les femmes
Autre combat de la conteuse pour préserver et perpétuer sa culture à Ouvéa : la lutte contre le fléau de l’alcool. "J’ai grandi dans la chefferie à Hwadrilla, où j’apprenais les règles de la coutume et je voyais, en même temps, mon père boire et faire du mal à ma mère à la maison. L’alcool a fait beaucoup de dégâts dans mon enfance et il m’a fallu du temps pour oser prendre la parole à ce sujet et dire à mon père d’arrêter."
Aujourd’hui, elle poursuit le dialogue autour d’elle, que ce soit avec des jeunes croisés aux abords des magasins de l’île, ou encore au sein de son cercle familial. "Mon mari est un rescapé de la grotte d’Ouvéa. Je l’encourage souvent à ne pas boire, je lui rappelle qu’on s’est battu pour pouvoir conserver notre façon de vivre et l’organisation de la société kanak, alors il faut continuer et ne pas faire des choses qui découragent les jeunes."
Engagée dans plusieurs associations de femmes, Virginie Wallepe se bat également pour une plus grande reconnaissance du travail des "mamans" d’Ouvéa. "On porte des revendications d’émancipation et de parité, on demande beaucoup, car on n’est pas assez prise en considération. On a souvent peur de mettre en avant notre travail à cause de cela, mais ça commence à évoluer alors il faut continuer à montrer tout notre potentiel pour que cette situation change encore."