À un mois des élections, le reportage exclusif de "Four corners" (ABC) va forcément peser dans les débats d'une campagne déjà très centrée sur les conditions d'incarcération des Aborigènes.
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Six détenus mineurs ont été gazés à la bombe lacrymogène, sous un faux prétexte. L'incident remonte à août 2014, au centre pénitentiaire pour mineurs Don Dale, près de Darwin. Les gardiens ont toujours prétendu que les jeunes délinquants voulaient s'évader et les ont menacés avec des armes, et qu'ils n'avaient donc pas d'autre choix que d'employer la méthode forte pour neutraliser ces détenus, âgés de 14 à 17 ans.
Mais cette version de l'histoire est totalement remise en cause par les images de caméras de surveillance et celles tournées par les gardiens eux-mêmes, que "Four Corners", le magazine d'investigation d'ABC, a réussi à se procurer en excluvisité. Ces enregistrements montrent que les jeunes détenus ont en fait été victimes d'une bavure.
Les 6 jeunes étaient enfermés au quartier d'isolement. Jake Roper, un jeune aborigène de 14 ans, qu'on entend dans l'enregistrement, venait de passer 15 jours tout seul, dans le noir le plus complet, 23h/24.
Un gardien a accidentellement mal refermé la porte de sa cellule. Jake est donc sorti, il s'est retrouvé dans une autre salle, a saisi un objet et essayé d'enfoncer la porte pour s'évader. Mais les cinq autres jeunes dans les cellules voisines sont restés calmes. Deux d'entre eux ont d'ailleurs continué à jouer aux cartes, tranquillement. Mais les gardiens ont alors utilisé des gaz lacrymogènes contre les garcons, puis mis leurs masques à gaz pour rentrer dans les cellules et entraver les détenus.
Lors de l'incident du gaz lacrymogène, les gardiens étaient particulièrement sur le qui-vive, parce que cinq autres détenus mineurs s'étaient évadés du centre Don Dale trois semaines auparavant. Une fois repris, ils ont subi des mauvais traitements, mis à l'isolement dans le noir 23h/24, sans eau courante, sans aucun accès à du matériel scolaire, d'après l'avocat John Lawrence, qui a défendu l'un de ces adolescents.
« Les détenus étaient aussi molestés, menottés, enchaînés, et on leur mettait des cagoules anti-crachats et anti-morsures, témoigne l'avocat. Quand j'ai découvert le traitement auquel ils étaient soumis, je n'en croyais pas mes oreilles. Je ne pouvais pas croire que cela existe en Australie en 2016. »
Ces cagoules sont enfilées sur la tête des détenus pour les empêcher de mordre ou de cracher sur les gardiens. Ils ressemblent à un masque de chirurgien, mais avec un filet qui fait tout le tour de la tête.
Deux rapports d'enquête
Plusieurs jours après l'incident du gaz lacrymogène, John Elferink, le ministre des services correctionnels du Territoire du Nord, a félicité les gardiens et le chien qui sont intervenus pour neutraliser le jeune Jake Roper et ses cinq co-détenus.
Mais devant l'ampleur du scandale, la bavure a finalement déclenché deux enquêtes indépendantes, l'une commanditée par le gouvernement du Territoire du Nord, et l'autre réalisée par la commissaire à l'enfance du Territoire. Conclusion: les mauvais traitements infligés aux détenus mineurs sont monnaie courante, dans le Territoire du Nord.
Depuis, John Elferink a donc reconnu les failles du système carcéral. « Le système avait besoin d'être amélioré. Il y avait des problèmes structurels, et j'ai travaillé très dur pour améliorer le système, et je l'ai amélioré » , assure-t-il.
Mais la commissaire à l'enfance, Colleen Gwynne, estime que les progrès sont bien trop modestes. « Je souhaiterais une réforme plus complète, et surtout, plus rapide, en affectant des moyens financiers, pour s'assurer que nous ne nous retrouvions jamais dans cette situation », réclame-t-elle.
Ruth Barson, une avocate spécialisée dans les droits de l'homme, a déclaré dans "Four corners" que le placement à l'isolement des mineurs contrevient à la Convention de l'ONU contre la torture.
Le régime d'incarcération des mineurs, principal enjeu de la campagne dans le Territoire du Nord
Les habitants du Territoire du Nord vont élire leur nouvelle assemblée législative territorialele 27 août. Or la campagne est justement centrée sur les conditions d'incarcération des Aborigènes, et leur sur-représentation dans les prisons du territoire. Plus de 80% des détenus adultes et 97% des détenus mineurs sont indigènes.
Making Justice Work, une coalition d'ONG, de services sociaux, de services juridiques du territoire fait pression sur les candidats des deux principaux partis pour qu'ils se mettent d'accord sur un plan d'urgence pour faire baisser la proportion d'indigènes dans les prisons. Parmi les revendications de Making Justice Work: la création de tribunaux thérapeutiques pour prendre des décisions sur la santé mentale des prévenus; l'abolition des peines de prison obligatoires pour certains délits et crimes.