Michel Charleux n'est plus

Scientifique, anthropologue, Michel Charleux avait plus d’une corde à son arc. Grand contributeur de la sauvegarde et de la mise en valeur du patrimoine polynésien, ce grand homme s’est éteint à l’âge de 73 ans.
 
Biographie de Michel Charleux (Source : Service de la Culture et du Patrimoine) 

Michel Charleux est né le 06/09/1945 à Paris XIV. Il passe les premières années de sa vie entre Montparnasse et le jardin du Luxembourg….

Alors qu’il n’est âgé que de 7 ou 8 ans, il suit ses parents en Afrique Noire où il séjourne plusieurs années successivement en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Niger (où, sur les rives du Niger, en contrebas du palais présidentiel, il découvre son premier site archéologique).

Enthousiasmé par la découverte du milieu naturel, la culture africaine, et par tout ce qu’il est possible d’y entreprendre, c’est à cette époque-là qu’il décide que « quand il sera grand » ce sera en Afrique Noire. Rentré en France, il suit dans cette perspective des cours d’Arabe au lycée parisien Louis-le Grand où il sera ensuite élève. Malgré son jeune âge, dès que ses cours au lycée s’achèvent, il suit assidûment les cours de Géologie de la Sorbonne. Mais le destin va le faire se diriger vers un autre « continent ».

Après une licence de Sciences Naturelles, il entre à l’Education Nationale et, tout en enseignant les Mathématiques ou les Sciences Naturelles au gré des postes, il reprend des études d’archéologie préhistorique à l’Institut d’Art et d’Archéologie de la rue Michelet (Paris I). Durant les vacances scolaires, il anime des stages « Archéologie, Géologie, Spéléologie » dans le Lubéron avec les MIJE.

A la demande de la municipalité d’Apt, il fouille quelques mètres des égouts de l’amphithéâtre romain à 7 ou 8 mètres sous terre. Alors qu’il obtient sa Licence d’Archéologie à Paris I-Sorbonne, José Garanger lui offre l’opportunité de participer à la mission CNRS-ORSTOM de 1973 pour restaurer certains marae de la vallée de laVaitapiha et débuter la restauration du marae Ta’ata. Durant son séjour, il en profite pour effectuer le relevé des sites archéologiques de la vallée de la Vaiote avec Pierre Ottino alors adolescent. Des sites qui seront hélas très dégradés par le cyclone Veena une décennie plus tard. Cette mission sera déterminante. Adieu l’Afrique, ce sera le Pacifique ! 

Suite à sa candidature, il obtient un poste de professeur aux Nouvelles-Hébrides (aujourd’hui Vanuatu). Il est prévu qu’il poursuive dans la lignée des travaux de José Garanger sur la sépulture de Roy Mata sur l’un des îlots du Nord de Efate, mais, au lendemain de son arrivée, de sombres magouilles administratives locales l’envoient sur Santo – pour les besoins du service - à plusieurs centaines de kilomètres de là...

Le projet sur le Nord Efate est abandonné au profit de prospections à la recherche de sites Lapita sur l’îlot de Malo où il obtient le soutien amical de plusieurs planteurs qui l’autorisent à parcourir leurs vastes domaines. Professeur certifié, créateur d’un club de jeunes, correspondant du Nabanga le bulletin de la Résidence de France (1) , il trouve quand même le temps de monter deux expéditions sur les volcans actifs d’Ambrym et de descendre à l’intérieur du cratère du Marum alors que le volcan est dans une phase d’activité importante. 

Nous sommes en 1975-1976. Les prémices de l’indépendance font qu’il devient suspect aux yeux des grandes compagnies néo-hébridaises (CFNH, SFNH et autres) qui craignent que la découverte de sépultures n’entraîne des revendications foncières. Sur Malo, malgré de premiers travaux en association avec le chef d’un village qui laissaient prévoir de fructueux résultats, et alors qu’il est hébergé dans la case du chef, il est agressé un soir par un individu à moitié ivre et armé d’une hache qui hurle « mi wanden cutem yu », l’accusant de venir faire la politique des « white men ». Une dramatique fuite de nuit dans une cocoteraie et l’évolution politique de l’archipel le contraignent à mettre un terme à ses travaux sur le Lapita. Il poursuivra un travail ethnographique sur les paniers en feuille de cocotier verte utilisés par les femmes du marché, nettement moins politiquement sensible, dont il tirera son mémoire de DEA.

C’est finalement en Polynésie française, tout en enseignant, qu’il reprendra ses recherches archéologiques dès 1977. Fidèle à son idée de sensibiliser et former les jeunes polynésiens à leur patrimoine, il anime un stage d’initiation à l’archéologie proposé par la FOL à Papara, participe à diverses manifestations au Musée de Tahiti et prend la direction de la fouille du site noyé de Vai’hi sur Raiatea. Ce site d’une richesse exceptionnelle sera partiellement fouillé avec Hiro Ouwenet François Semah (2).

Dans les années 1980, il entreprend avec l’accord du Département Archéologie du CPSH (Centre Polynésien des Sciences Humaines) et avec l’aide de la municipalité de Paea et d’une troupe d’Eclaireurs, le débroussaillage et la restauration du marae Ta’ata , alors très dégradé et malheureusement sans entretien.

Grâce au soutien de Maco Tevane et de Anne Lavondes, il est chargé d’animation au Musée de Tahiti et des Îles à raison de 7 ou 8 heures de décharge par semaine. Il crée les fameuses muséo-valises destinées à « transporter une petite partie du musée dans les îles ». Il convainc la Marquisienne Titi Peters de se prêter au tournage d’un film sur le tapa.

A cette époque-là, plus personne ne bat les écorces. Ce film est tourné et monté en U-Matic avec l’aide l’Unité de Production Vidéo du Haut-Commissariat. Il est copié sur support VHS et intégré à la muséo-valise sur le tapa. 

Avec la complicité de Titi Peters, il anime plusieurs ateliers tapa au MTI, pour les enseignants, des classes et des associations. Il rédige un livret-guide sur certaines salles du musée. D’autres muséo-valises suivront, impliquant des contributions de professeurs de disciplines aussi variées que le Français, l’Histoire, les Sciences Naturelles ou même l’Anglais, l’objectif étant que les enseignants trouvent dans la muséo-valise tous les outils pour une utilisation du thème dans leur cours. 

Au Lycée Gauguin, bien qu’il enseigne les Mathématiques, il monte un Club d’histoire et, avec un petit groupe d’élève, dresse l’inventaire des dernières maisons « coloniales » qui subsistent encore sur l’agglomération. Il restaure la petite maison qui est en face du LPG.

Entre son enseignement, ses activités au musée, il trouve encore le temps de produire durant plus d’une année une émission sur RFO-Radio « Nos voisins du Pacifique » consacré à l’actualité du Pacifique alors totalement ignorée. Il contribue à l’Encyclopédie de la Polynésie avec un article sur le tapa et un autre sur le tupa (Cardisoma carnifex) s’appuyant sur l’étude qu’il a menée à Mo’orea et qui reste encore aujourd’hui le seul article publié sur ce Crustacé Décapode pourtant commun mais menacé de disparition par l’urbanisation.

Sa première visite sur Rapa Nui en 1978 l’enthousiasme. L’île ne reçoit alors que 4 ou 5 000 touristes par an et est très paisible. Les choses vont hélas vite évoluer… Le Professeur Jean Guiart, alors Directeur du Musée de l’Homme, lui donne l’accès aux collections de mata’a recueillis par les différentes missions (Lavachery, Métraux,..).

A partir de cette collection et des collections privées en région parisienne, les 287 pages de son mémoire de Maîtrise sur les mata’a (3) et la découverte de l’utilisation de la méthode Kombewa pour leur fabrication lui valent la mention « Très bien ». Outre un très récent article « Les mata’a , pièces pédonculées en obsidienne de Rapa Nui (île de Pâques) : un outil original dans la panoplie de l’outillage lithique polynésien » en hommage au Professeur Claude Allibert (INALCO), il poursuit des recherches sur les rares mata’a emmanchés conservés dans différents musées du monde. 

Conjointement à la parution sur son ouvrage sur les « Thèses et travaux universitaires sur le Pacifique » il propose en 1985 de créer un fond de thèses sur la Polynésie pour que les étudiants polynésiens aient accès à cette riche littérature grise. Hélas, le financement qui lui est promis et même débloqué – mais pris sans concertation sur le budget des Archives au grand dam de Pierre Morillon - « s’évapore » entre Tahiti et Paris, et ce projet ne verra hélas jamais le jour.

A Pâques 1987, il organise un voyage d’étude de 18 jours sur Tahiti et Mo’orea pour toute une classe de 5e d’Ivry-sur-Seine. Il négocie les prix des billets d’avion, obtient des subventions diverses et, malgré les critiques parues dans l’Humanité qui l’accusent de tous les maux, les parents s’investissent et trouvent divers moyens pour collecter des fonds.

Le coût par élève devient très faible et l’accueil des familles et des autorités (Haut-Commissaire, Président, Député-Maire,…) de Tahiti et Mo’orea sera extraordinaire. L’année suivante une classe de Tahiti passera par Ivry-sur-Seine et recevra en aide financière, l’important reliquat du voyage des petits élèves de 5ème. Grâce à Facebook, Michel Charleux est toujours en relation avec la quasi totalité des anciens élèves de ce groupe chanceux qui ont évidemment gardé un souvenir inoubliable de leur aventure polynésienne. 

A Paris, il est chargé d’animation au Musée National des arts Africains et Océaniens. Il crée des ateliers et participe à certaines expositions.

Encouragé par José Garanger, avec le soutien de la Marine Nationale (bâtiment hydrographique Estafette 9, RR4000 Revi), il effectue en Juillet-Août 1987 une première mission de 32 jours sur l’île de Eiao. La mission CNRS-Département Archéologie du MTI bénéficie de soutiens divers (Gendarmerie, Armée, Hôpital,..).A l’époque le GPS n’existe pas, et le relevé des sites se fait au Topofil et à la boussole, et en fonction de la topographie. Une masse importante de matériel archéologique est collectée et rapportée sur Tahiti avec l’aide de Siki et de Rudy Tevivi. 

Les lourdes responsabilités pédagogiques, financières et politiques qu’implique le poste de French Principal de la prestigieuse French-Australian Telopea Park School de Canberra (Australie) où il est nommé en Septembre 1987 l’obligeront à mettre en sommeil l’exploitation du volumineux matériel collecté et ses recherches archéologiques sur la Polynésie. Et ce sera durant presque 20 longues années une sorte de traversée du désert avec quand même la construction d’un écomusée de la vanille et de l’ylang-ylang à Mayotte.

A Lyon, il cumule son enseignement des Mathématiques avec l’animation au Musée Historique de Lyon et la direction de projets pédagogiques sur le patrimoine au Rectorat. 

En 2007, la mission pluridisciplinaire de la DIREN à qui il offre l’ensemble de la volumineuse documentation qu’il avait pu rassembler en 1987 après avoir fait lever le « secret-défense », lui fournit l’opportunité de reprendre ses recherches sur Eiao. En compagnie de son ami Jean-Louis Candelot, il parcourt l’île quelques jours et décide de reprendre le travail entamé durant l’hiver austral de 1987. Pour cela, il se réinscrit à l’Université Paris I-Sorbonne dans l’objectif d’une thèse sous la direction du Professeur Eric Conte (Paris I/UPF).

Retraité de l’Education Nationale depuis le 6 Septembre 2007, il profite en Mars 2008 d’une mission de surveillance du patrouilleur « La Tapageuse » sur les Marquises pour mener de nouvelles investigations. Mais ces deux dernières missions ne font que renforcer son idée du départ : pour faire un véritable travail archéologique, des sondages et des fouilles, il est impératif de monter une mission de longue durée avec un camp sur le plateau Tohuanui.

Cette option implique une logistique nécessairement lourde et coûteuse, un transport fiable, un financement, une équipe. Il lui faudra plus de deux années pour monter la mission « EIAO.2010 ». Les difficultés seront à la hauteur du défi mais ne le rebutent pas bien que certains doutent de ses chances de réussite. Par expérience, il sait qu’« Il n’y a pas de grand projet sans grandes difficultés » !

Bien que son projet paraisse un peu fou, il parvient à fédérer diverses institutions. Dans le cadre d’un contrat de projet Etat-Pays accordé à l’Université de Polynésie Française, le CIRAP lui accorde une subvention. Les Forces Armées en Polynésie française acceptent que l’équipe et les 5,5 tonnes de matériel, vivres et eau, soient transportées en profitant d’une mission de la frégate Le Prairial et du patrouilleur P 400 La Railleuse. L’hélicoptère embarqué apportera une aide décisive à l’installation du camp au sommet de l’île. Benoît Kautai, Conseiller et Maire de Taiohae accepte de demander des CPIA pour la mission.

L’association Motu Haka prête un CPIA et l’Administrateur d’Etat de la Subdivision des Marquises fait les démarches pour obtenir 3 CDL. La mission séjournera 50 jours sur le plateau Tohuanui, mettant au jour plusieurs nouveaux sites inconnus de grandes dimensions. Des relevés sont effectués et du matériel archéologique est rapporté pour étude.

A peine rentré de cette expédition, apprenant que le Ministère de la Culture via le Service de la Culture et du Patrimoine lui a accordé une subvention, Michel Charleux décide de repartir sur Eiao pour poursuivre les recherches. Ce sera la mission « EIAO.2010.2 ».

Les moyens étant plus limités, les conditions seront plus dures et la mission de 22 jours se focalisera sur la fouille de quelques mètres carrés avec deux CPIA de Motu Haka et Comothe et deux CDL obtenus par la Subdvision Etat. Plusieurs milliers d’éclats de basalte seront rapportés de cette mission pour étudier la chaîne opératoire. 

Basé sur Mo’orea, Michel Charleux consacrait tout son temps et ses loisirs à l’étude du volumineux matériel qu’il a pu rapporter de Eiao. Durant les trois missions principales. Cela ne l’empêchait pas de répondre à des demandes de conférences et il lui arrivait d’animer des ateliers tapa.

Michel Charleux est Chevalier dans l’Ordre des Palmes Académiques depuis 2001. Il a également été élevé au rang de Chevalier de l'ordre de Tahiti Nui le 29 juin 2018 par le président Edouard Fritch. 

Polynésie la 1ère recevait Michel Charleux en novembre 2017 dans l'émission "L'invité Café". 
Le directeur de publication de l’ouvrage « Tapa, de l’écorce à l’étoffe, art millénaire d’Océanie de l’Asie du Sud-Est à la Polynésie occidentale. », était venu parler de cet ouvrage qui entend contribuer au rayonnement du tapa, notamment par rapport à son inscription au patrimoine mondial culturel immatériel de l’Unesco.