Huit femmes inspirantes de Polynésie reçoivent le prix Poerava

Les huit Poerava 2024 de gauche à droite : Janet LEOU BOISSIN Françoise AUBRY TERIIROOITERAI Lee RURUA Rava MAIARII Jeanne LECOURT BOUVERET (la vice présidente Eliane TEVAHITUA) Maiana BAMBRIDGE Tetuaura TI-PAON réprésentée par son père Rosita OPETA TEAURAI
À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, célébrée le 8 mars, elles sont huit Polynésiennes à recevoir la distinction "Poerava 2024". Un prix décerné pour la sixième fois, par l'association UFFO-Polynésie, qui consacre leurs parcours inspirants dans la société polynésienne. Maiana Bambridge, Françoise Aubry Teriirooiterai, Janet Leou Boissin, Jeanne Lecourt Bouveret, Lee Rurua, Rosita Opeta Teaurai, Tetuaura Ti Paon et Rava Maiarii ont reçu ce prix aujourd'hui à 11 heures, sous le fare potee de l'Assemblée de Polynésie française. Leurs portraits, empreints de bravoure, de détermination et de résilience à découvrir dans cet article.

Qu'elles soient artisane, couturière, sportive, cheffe d'entreprise ou encore engagée au service de la culture et du Pays, ces huit femmes ont toutes un point en commun : elles démontrent par leur parcours de vie en donnant tout son sens à cette phrase « rien n'est impossible pour qui rêve, ose, travaille et n'abandonne jamais ! »

Rosita Opeta Teaurai, Lee Rurua, Janet Leou Boissin, Maiana Bambridge, Françoise Aubry Teriirooiterai, Jeanne Lecourt Bouveret, Tetuaura Ti Paon et Rava Maiarii sont les huit Polynésiennes à recevoir cette année le prix Poerava 2024. Découvrez l'histoire et le parcours de chacune d'entre elles.

 Rosita OPETA TEAURAI, ou la transmission de l'héritage du tressage traditionnel

Rosita appartient à la génération de Polynésiens dont la vie a été bouleversée par l’histoire : leur jeunesse s’est déroulée selon la vie traditionnelle des îles, mais devenus adultes, ils ont dû s’adapter aux bouleversements des années 1960-1970. Née en 1949 à Raivavae, dans l'archipel des Australes, Rosita a choisi de s’installer à Papeete en 1988, pour accompagner sa fille venue pour sa scolarité. Heureusement, elle emporte en elle la connaissance des savoir-faire traditionnels de son île, trésor qui lui a permis de gagner sa vie en milieu urbain et ainsi d’être autonome financièrement.

À l’âge d’un an, sa vie est déjà bouleversée par la perte de sa mère et de son grand-père maternel, lors d’une épidémie. Fa'amu par sa tante, elle grandit, aide dans les tâches quotidiennes, avant d’aller à l'école où elle est bonne élève. Vers seize ans, elle part vivre chez sa grand-mère maternelle, une femme douce, aimante qui lui transmet son savoir-faire : le tressage du pae'ore (pandanus). 

« Je vivais chez ma grand-mère dans sa maison faite de bambou. Nous dormions à même le sol sur un peue. Elle tressait tout le temps. Il n'y avait pas de robinet, d'électricité. Nous vivions de notre fa’apu et de notre artisanat. On allait à la mer ramasser du « remu » (algue marine), attraper des « tupa » (crabes). On travaillait dans les champs de café. Pour moi c'était une belle époque. »

Rosita OPETA TEAURAI

Elle fréquente le fare amuira’a, maison artisanale de l’île, acquiert de nouvelles techniques de tressages, grâce aux autres femmes. Son lien avec sa grand-mère s'approfondit, car elles partagent leurs connaissances. La transmission générationnelle, descendante au départ, remonte vers sa tupuna. Pour Rosita, cet échange de savoirs d’une personne à l’autre est important, car non seulement on transmet à l’autre mais aussi on devient techniquement meilleure : « Plus je donne, plus mon savoir augmente ».

Le choix de son époux est guidé par son père, qui entend que ses enfants lui obéissent. Elle aura quatre enfants. Comme de nombreux hommes à cette époque, son mari trouve du travail à Moruroa et fait l’aller-retour tous les six mois. Alors qu’elle vient de perdre son fils aîné âgé de dix ans, sa fille a la possibilité de continuer l'école à Tahiti. « Mon déclic a été ma fille. Je ne pouvais pas la laisser partir seule, pas aussi jeune. Nous avons quitté Raivavae et nous sommes repartis de zéro. Nous étions hébergées dans le quartier Paraita et je subvenais aux besoins en travaillant de nuit dans un magasin proche ».

Un jour, par curiosité, elle pousse la porte du Princesse, un salon de coiffure. Elle y rencontre Christiane EBB, présidente du club Vahine Ratere, appelé plus tard Vahinetea, qui offrait des activités manuelles, en particulier aux femmes de militaires en poste à Tahiti. Elle cherchait quelqu’un qui savait tresser le paeore. « Je lui ai dit : moi, je sais. ». Et ainsi, elle est devenue professeur de tressage paeore … et femme de ménage pour compléter le gagne-pain. Elle a pu louer une maison et faire venir les autres membres de sa famille. Plus tard, elle a accueilli ses neveux et nièces pendant leur scolarité.

En tant que fille des îles Australes, elle est fière de son parcours avec ses hauts et ses bas. Le plus grand obstacle a été selon elle, l’incompréhension de ceux qui s’opposent à la transmission des savoirs, en particulier aux Popa’a. « Ce don m’a été transmis par le Seigneur et je souhaite le partager avec tous ceux qui veulent apprendre ».

Elle regrette que ses petits enfants ne manifestent pas beaucoup d’intérêt pour la transmission. Recevoir cette distinction de Poerava 2024 représente pour elle, l’occasion de rendre hommage à son mootua, parti trop tôt et qui avait aussi ce don.

Mamie Rosita, émue, lors la réception de son pendentif Poerava 2024.

Rosita, Mamie Opeta pour nous, poursuit avec bonheur son œuvre de transmission dans les ateliers de tressage de l’association UFFO.

Lee RURUA, engagée pour la transmission des traditions polynésiennes

Lee est née à Faatemu, un district de Raiatea, qui à l’époque n’était accessible qu’en pirogue. Son père était Anglais, sa mère originaire des Tuamotu, mais elle fut élevée par ses grands-parents à Moorea, précisément à Pihaena où elle vit toujours.

En 1973, elle épouse l’homme de sa vie, Maurice Rurua, qui est charpentier. Très vite, le couple donne naissance à des jumelles, ce qui n’empêche pas Lee d’entrer à l’école normale pour deux années de formation, pendant que Maurice s’occupe des bébés. Lee diplômée, ils repartent s’installer à Moorea et elle enseignera 23 ans à l’école de Paopao. Entre-temps, le couple aura donné naissance à quatre autres enfants, dont la petite dernière est aujourd’hui, docteure en archéologie.

Lee et Maurice ont été tous deux très marqués par leur enfance dans des familles où l’on ne parlait que le tahitien, où l’on vivait de manière traditionnelle en harmonie avec la nature : la pêche, le fa’a’apu, le ‘ahima’a, sans le souci de gagner plus d’argent, avec aussi la foi et la prière, le respect des anciens, la connaissance des légendes et des himene. Ils ont souhaité poursuivre cette façon de vivre pour la transmettre à leurs enfants et les enraciner dans leur terre, leur langue, leur culture, leur identité.

Face à l’accélération du modernisme et la dilution de la vie familiale et culturelle, Lee et ses collègues, sous la houlette de leur directrice, Nelly Heuberger, mettent en place des séances d’ateliers traditionnels de deux heures tous les vendredis matin. « Tout en confectionnant un oini ou en pratiquant des jeux de ficelles, on parlait tahitien et les parents étaient encouragés à participer et à partager leurs connaissances ». Ces ateliers « Reo et Culture » ont décliné lorsqu’en 1984, le statut de la Polynésie a changé et que le reo tahiti a perdu son statut de langue officielle, au détriment du français. Pourtant, le bénéfice était reconnu par les familles et les élèves, enrichis durablement dans leur identité.

En l'an 2000 s’est produit un évènement déterminant pour Maurice et Lee : un complexe hôtelier de la place avait pour projet d’extraire du sable du lagon pour réalimenter la plage de l’hôtel. « Avec l’Association Pihaena Toa Mata Ara, montée pour défendre la préservation du lagon, nous nous sommes levés car le banc de sable pi’opi’o est une nurserie de poissons. Les conséquences de tels travaux auraient été tragiques pour les habitants de Pihaena, car la pêche dans le lagon était essentielle à leur vie. Pendant 3 mois, nous avons occupé la plage et le lagon pour empêcher cette extraction. Le Haut-Commissaire a demandé le retrait de la barge signifiant l’arrêt des travaux après trois mois de sitting et de présence sur le lagon ! Suite à ce mouvement, les femmes de Pihaena ont décidé de continuer à défendre leur milieu de vie et de participer à l’éducation des enfants de notre zone ».

Nostalgique et forte de l’expérience vécue à l’école de Paopao, Lee veut, avec Maurice, agir pour aider les enfants à s’ancrer dans leur langue, leur environnement et leur culture. Inspirés par l’expérience des kohanga reo de Nouvelle Zélande - nids de langue - qui accueillent les enfants maori en immersion culturelle, ils décident de créer Puna reo. Ils aménagent un lieu d’accueil pour les enfants, hors temps scolaire et pendant les vacances. Très vite, leur action est reconnue par les pouvoirs publics, qui leur donnent les moyens de se développer. Sur la terre communale Pererau, un site légendaire situé au pied du mont Rotui à Moorea, Lee et Maurice, avec leur association et les habitants de Pihaena, ont défriché et construit, dans le respect de la tradition architecturale ma'ohi, un nouveau centre d’accueil qu’ils dénomment naturellement Pererau - les ailes - tout un symbole pour nourrir de leur identité ma'ohi des générations d’enfants capables de s’envoler et d’être, tels des va’a tau’ati, forts de leurs deux cultures, des adultes épanouis et responsables.

« Nous avons voulu prouver que malgré le lourd héritage colonial et la stigmatisation de « l’être » ma'ohi, il est possible de s’en sortir en revenant à nos propres fondamentaux. Par l’éducation de nos enfants en reo tahiti à la maison et en accompagnant le français à l’école, on peut réussir, contrairement aux idées reçues. Je suis convaincue qu’être structuré dans sa langue et sa culture permet l’ouverture aux autres cultures. »

Lee RURUA

Lee et son époux Maurice sont aujourd’hui des personnes unanimement reconnues et respectées au fenua et dans la région océanienne, pour leur engagement authentique. Ils ont été des précurseurs passionnés, portés par leurs convictions, leurs valeurs et par leur foi.

Janet LEOU-BOISSIN, de la couture à l'engagement culturel

Janet Leou-Boissin se définit comme Polynésienne d’origine chinoise. Cette expression prend un sens concret lorsque l’on découvre son parcours de vie. Si elle est reconnue comme une couturière styliste de talent, elle est aussi remarquable par son investissement pour des causes culturelles et des actions sociales en faveur des femmes.

Les parents de Janet, nés tous les deux à Tahiti, sont partis en Chine jeunes adultes, car leurs familles souhaitaient qu’ils aient aussi une culture chinoise. Ils y ont fondé une famille au moment de la Révolution Rouge. Janet, née à Canton, est l’aînée de six enfants. Son père, auquel elle était très attachée, lui a donné un nom chinois : « Sousin », signifiant le « Cœur de l’automne » mais aussi « Nostalgie », sans doute en souvenir de Tahiti dont il a été éloigné. Alors qu’elle est âgée de dix ans, ses parents décident de migrer à Hong Kong, pour s’éloigner du régime communiste qui ne leur est pas favorable. Heureusement, grâce à sa grand-mère maternelle demie-tahitienne née à Pueu, la famille obtient un passeport français pour être autorisée à sortir. C’est un premier déchirement, mais Janet comprend mieux alors l’importance du mot « Liberté ». Après avoir appris le cantonais, elle apprend le mandarin et l’anglais au collège de Hong Kong.

La vie à Hong Kong est difficile pour la famille qui s’agrandit. Janet va en classe le matin, et l’après-midi, pour compléter les revenus modestes de son père, elle effectue des petits travaux qui lui rapportent de l’argent. Elle est attirée par la couture, suit une formation dans une école professionnelle d’inspiration française et obtient un diplôme de styliste. Mais les parents sont inquiets de l’avenir incertain de Hong Kong et comme les grands-parents à Tahiti les réclament, ils décident de revenir. Janet a 17 ans et ne souhaite pas partir à nouveau. Pourtant, c‘est une nouvelle rupture et une installation dans un environnement qu’elle ne connaît pas.

Mais Janet est une jeune femme de caractère qui sait s’adapter. Elle apprend le français en travaillant notamment comme petite main pour madame Redon. « Je gagnais 9 000 francs » se souvient-elle. La couture devient une passion. À vingt ans, elle ouvre sa première boutique et se fait une clientèle. Sa notoriété grandit et c’est le succès. Elle aime créer, la nature polynésienne, les couleurs, les femmes qu’elle observe dans la rue l’inspirent. Janet ouvre un atelier de couture, puis deux autres boutiques, reçoit des commandes d’entreprises tahitiennes comme celles de compagnies aériennes ou encore de l’OPT (office des postes et télécommunications). Elle organise des défilés pour ses collections avec souvent un volet caritatif.

Parallèlement, sa connaissance de la culture et des langues chinoises l’entraînent vers d’autres activités. Il n’y a pas encore de consulat de Chine et l’on fait appel à elle pour des traductions, ou pour servir d’interprète dans des affaires administratives et de justice impliquant des Chinois. Il faut dire qu’elle aime aider en se servant de ses compétences. Janet s’implique aussi dans les activités culturelles de la communauté chinoise de Tahiti. Aujourd’hui elle est membre du Sinitong et de l’association philanthropique chinoise.

Janet intègre également le groupe de Makau Foster : « Pendant que je danse, j’oublie tout ». Elle fonde aussi une association : « Vahine A Rohi ». Membre du Conseil des Femmes qui assure des formations à la couture dans les quartiers : « dans la vie, savoir coudre est utile et valorisant ». Elle constate que les participantes acquièrent plus de confiance en elles et certaines en font un vrai gagne-pain. C’est pourquoi elle a proposé que dans l’extension en construction du Pu O Te Hau à Pirae, soit installé un atelier de couture permanent.

La première partie de la vie de Janet n’a pas été facile mais elle a su trouver la voie de la résilience. Outre son bon contact avec les autres, sa force face aux difficultés est de toujours analyser la situation pour la comprendre et trouver les solutions. Aux femmes elle voudrait dire :

« Soyez autonomes financièrement, travaillez. Ne baissez jamais les bras, mettez la tête haute et ayez confiance ».

Janet Leou-Boissin

Rava Maiarii (à gauche) Janet Leou Boissin (au centre) et Françoise Aubry Teriirooiterai (à droite)

Françoise AUBRY TERIIEROOITERAI, l'athlète au service du sport polynésien

Françoise a consacré sa vie au sport et particulièrement à l’athlétisme à Tahiti : athlète, puis bénévole associative très engagée, elle est également à l'initiative de manifestations sportives devenues des classiques. Figure emblématique du sport polynésien, Françoise, née à Faa’a, fait partie de la grande famille Aubry. Son père Maxime Aubry, qui vécut jusqu’à l’âge de 103 ans, était un vétéran de la seconde guerre mondiale, engagé dans le bataillon du Pacifique.

Après sa scolarité à l’école Notre-Dame des anges, elle devient hygiéniste dentaire et contribue au programme de prévention des caries, qui permit l’importante amélioration de la santé dentaire des jeunes polynésiens. Comme ses collègues, elle partage son temps professionnel entre des visites dans les écoles pour donner aux enfants des habitudes saines, des actions d’informations auprès des parents et des émissions à la radio. Des stages aux îles Fidji et en Nouvelle-Zélande la forment aux techniques d’enseignement à l’hygiène dentaire, qu’elle pratique pendant 38 ans jusqu’à sa retraite.

Comme son père, sportif accompli, elle aime les activités physiques. Au collège, les professeurs et les Sœurs lui proposaient des prises de responsabilités dans le domaine sportif et la pratique de l’athlétisme avait déjà trouvé une place importante dans sa vie. Ainsi, alors qu’elle est en classe de troisième, elle participe aux Jeux du Pacifique Sud de 1966 à Nouméa en s’alignant sur le 100m.

Maman de quatre enfants, elle change de rôle, devient accompagnatrice puis officielle lors des compétitions. Épaulée par Colette Besson, médaillée olympique alors en poste à Tahiti comme conseillère technique régionale, et Jean-Yves Bambridge, elle devient présidente de l’AS Tefana Athlétisme, responsabilité qu’elle assume entre 1989 et 2023, soit durant 34 ans, avec un engagement auprès des jeunes dépassant le strict cadre sportif. Par exemple aller chercher les enfants, parfois loin et les ramener chez eux, car sans cela, ils ne viendraient pas.

Françoise aime prendre des responsabilités et très vite, elle devient vice-présidente de la Fédération polynésienne d’athlétisme. Elle forme, avec Jean-Yves Bambridge, un duo efficace. Aujourd’hui, à 74 ans, elle occupe encore cette fonction.

Cette longévité sportive révèle l’engagement d’une femme pour autrui, mais aussi la confiance qu’elle inspire et les bonnes relations nouées avec les différents partenaires. C’est ainsi qu’elle peut toujours compter sur le soutien de la commune, des sponsors et bien sûr, de son époux et de ses enfants, qu’elle a entraînés dans son sillage. Elle a reçu en 2011 l’insigne d’officier dans l’ordre national du mérite.

Son investissement s’est étendu à l’organisation de plusieurs compétitions hors les stades, comme la Corrida de la ville de Faa’a depuis 27 ans, la Feria de Carrefour, la course de la Saint Sylvestre ou le Trail Aito Sport. Plus récemment, en juillet 2023, elle a été désignée par le Conseil des Femmes en Polynésie pour mettre sur pied la première Nuit des Relais à Tahiti, selon un concept créé par la Fondation des femmes, pour sensibiliser aux violences faites aux femmes. Car en plus de son investissement dans le domaine sportif, Françoise est présidente de l’Association Pirirava et vice-présidente du Conseil des Femmes.

Françoise se soucie de l’avenir et espère que les volontaires bénévoles seront plus nombreux pour s’occuper des jeunes : « On est récompensé et heureux de leurs résultats ». Et elle poursuit :

« il n’y a pas d’âge pour faire du sport et il ne faut pas avoir honte de courir, de marcher vite. »

Françoise TERIIROOITERAI

Alors que le vieillissement de la population polynésienne s’accentue, elle trouve merveilleux de voir des vétérans (masters) faire de la hauteur, de la longueur ou du lancer de poids.

 Jeanne LECOURT BOUVERET, de la bijouterie à la valorisation de l'entrepreneuriat

Jeanne Heipua LECOURT épouse BOUVERET est née à Papeete. Après avoir fait des études supérieures de commerce à Paris, elle revient au fenua et trouve très vite sa passion : la perle de Tahiti. Femme de caractère, elle entraîne aujourd’hui dans son sillage des femmes Polynésiennes cheffes d’entreprise au sein de l’association Vahine Arata’i no Porinetia.

Un peu par hasard, elle rencontre George, un Paumotu, alors qu’elle travaille dans une entreprise d’import-export. Cet homme, elle le qualifie d’ange, car il a été envoyé pour la guider vers la perle. C’est aussi à ce moment qu’elle fait la connaissance d’un gemmologue, qui deviendra plus tard son époux.

Elle travaille pendant dix ans pour des perliculteurs à Manihi, où elle organisait les visites des fermes perlières. Puis, grâce à une de ces visites, elle a l’opportunité de préparer sa première exposition à l’international : un évènement privé de dix jours à Vienne. Sa passion pour la gemme polynésienne grandit quand elle perçoit les regards surpris et émerveillés des invités. En toute humilité, elle se sent fière d’être une ambassadrice de la perle de Tahiti.

Son engouement est tel qu’elle se forme pour en apprendre davantage sur l’export de la perle. Et c’est à l’international qu'elle se réalise : elle organise des salons de bijouterie à Hong Kong, Las Vegas, Tucson, des salons privés, une tournée européenne des palaces pour Robert Wan (Paris, Milan, Londres, Vienne). Elle visite la bourse du diamant de Tel Aviv. En 2012, elle se voit proposer le titre de vice-présidente de la commission perlière de la CIBJO (Confédération Internationale de Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie). C’est au sein de cette commission, en 2011 au congrès de Porto, que Jeanne demande aux professionnels internationaux de mettre en place la première classification universelle des perles « The Pearl Grading system ». Elle en fera le sujet d’une conférence à l'IRCP (Institut des récifs coralliens du Pacifique) à Moorea, 11 ans plus tard. Cette classification est utilisée aujourd'hui par les laboratoires de gemmologie.

Tout n’a pas été facile, elle a eu des moments de doute où sa confiance a vacillé. Toutefois, elle croit en ses compétences et ses talents. Être une femme lui a permis d’oser et notamment de prendre la parole. Elle a aussi rencontré beaucoup de jalousie sur son chemin.

Encore trop de personnes mettent leur intérêt personnel en premier, au détriment de l’objectif collectif. Mais comme je me plais à le dire : « l’Univers se souvient et remet les pendules à l’heure ».

Jeanne Lecourt Bouveret

Sa carrière à l'international a toujours été l'un de ses vœux pour valoriser son fenua. Aujourd'hui, elle motive la jeunesse polynésienne, au travers de ses cours. Elle forme et soutient ceux qui osent se lancer dans le « business » à l'international, dans l’entrepreneuriat, ou qui doivent gérer un projet.

Passionnée, authentique et vraie, elle s’épanouit en révélant le trésor chez les autres : « Le secret quand tu entreprends quelque chose ? C’est être créatif, enthousiaste et serein dans ce que l’on entreprend. Et en révélant l’autre, on se révèle soi-même ».

Jeanne est animée par l’envie de valoriser les savoir-faire des vahine polynésiennes. Créer l’espace pour les faire grandir et trouver leur chemin. Ce chemin passe par le savoir être. C’est dans ce but qu’a été créée l’association Vahine Arata’i dont elle est la présidente. En novembre 2023, l’association a organisé le premier Salon de l’Entreprenariat au Féminin.

Son message pour l’avenir : « Nous sommes toutes des perles différentes sur le même fil de l’amour » - Amma

De gauche à droite: Mamie Rosita, Jeanne Lecourt et Maiana Bambridge.

Maiana BAMBRIDGE, engagée pour son Pays

Le parcours de vie de Maiana est jalonné par de multiples responsabilités. Ses fonctions successives lui ont donné des compétences précieuses qui expliquent que l’on ait fait si souvent appel à elle. Alternant postes auprès de responsables politiques et directions de grands établissements de services publics, Maiana s’est aussi fortement investie dans le social. Pour elle le point commun entre tous ces engagements est de « servir le Pays ».

Maiana s’est inscrite naturellement dans la ligne familiale, inspirée par l’action de son grand-père Antony Bambridge puis par celle son père Rudy. Chacun à leur manière l’ont influencée. Après des études de droit à Paris, Maiana est un temps clerc de notaire à Papeete, puis cadre de l’administration au service des Affaires de terres, où elle se passionne pour les liens entre familles, généalogies et terres.

Lorsqu’elle devient en 1987, directrice de cabinet de Huguette Hong Kiou au ministère des affaires sociales, la réalité sociale est une révélation ou plutôt une redécouverte, puisque dans son enfance, sa famille soutenait des personnes en difficulté comme les lépreux d’Orofara. Elle comprend à ce poste que pour avancer, il faut trouver des solutions concrètes à chaque problème rencontré et pour cela travailler avec les autres.

À partir de là, sa vie professionnelle est une succession de postes à responsabilités dans des secteurs diversifiés. Secrétaire générale du CESC pendant six ans, elle structure le fonctionnement de la quatrième institution du Pays, où les représentants de la société civile polynésienne peuvent exprimer leurs points de vue. Elle retrouve les représentants syndicaux et patronaux lorsqu’elle est nommée directrice de la CPS par Gaston Flosse, au moment clé où il faut asseoir la nouvelle Protection Sociale Généralisée, mais aussi veiller à utiliser au mieux les moyens financiers mis au service de toute la population, notamment les nouvelles spécialités à ouvrir au sein de l’hôpital de Taaone, comme la cancérologie, ou l’organisation des EVASAN (évacuations sanitaires) vers la Nouvelle-Zélande, pour la cardiologie, les grands brûlés ou les prématurés. Comme elle le fera par la suite dans les autres postes occupés, elle s’entoure d’une équipe de personnes solides et de confiance qui deviennent des amis.

 Sept ans plus tard, après des fonctions à l’inspection générale de l’administration qui lui permettent de parfaire sa connaissance de l’organisation administrative et du fonctionnement des services et établissements publics, Maiana est nommée directrice de l’office polynésien de l'habitat. Nouveau domaine, nouveaux défis dans un secteur essentiel pour apporter plus d’équité entre les Polynésiens, grâce à l’accès au logement. La politique du logement social a besoin d’être plus performante et innovante et l’OPH, son outil principal, doit s’adapter.

Puis Maiana alterne entre des retours dans l’administration polynésienne, notamment à la DPAM (Direction polynésienne des affaires maritimes) et des fonctions importantes auprès de hauts responsables politiques. Ainsi, elle assure des fonctions au sein du cabinet du président Oscar Temaru, puis quelques années plus tard, auprès du ministre en charge de la Santé et de la Solidarité.

Tout en exerçant ces responsabilités, elle trouve du temps et de l’énergie pour impulser des activités associatives pour des causes qui lui tiennent à cœur. Parmi celles-ci et pour n'en citer que quelques-unes : Te Aho Nui, foyer d’accueil en urgence d’enfants placés, dont elle est présidente depuis sa création en 1994, le Village d’enfants SOS de Polynésie à Papara en 1995, qui assure l’éducation de fratries pour une longue durée, le Foyer d’Actions Educatives de l’association Te Pare, qui accueille des adolescents fragilisés. Et aussi la Croix Rouge de Tahiti, où sa fille Maeva a repris le flambeau familial de l’engagement social au service des plus fragiles.

Dans tous ces projets, devenus des institutions indispensables, il lui a fallu convaincre des décideurs, passer outre les critiques, trouver des financements. Et se battre pour défendre ces outils de notre cohésion sociale, qui redonnent une chance aux personnes à qui la vie n’a pas souri. La force de ses convictions, un caractère trempé, combinés à un travail en réseau, ont permis à Maiana d’être aujourd’hui une actrice reconnue et respectée de la communauté polynésienne. Aujourd’hui, elle siège au sein du CESEC, où son expérience est précieuse.

Tetuaura TI-PAON, de la pêche à la ligne à pêcheuse professionnelle

Tetuaura Ti-Paon est connue sur les réseaux sociaux, et reconnue parmi les pêcheurs de Polynésie. Petit bout de femme dotée d’une force incroyable et d’un mental d’acier, elle exerce un métier qui, depuis des générations n’était destiné qu’aux hommes !

Tetuaura, appelée Tetua, est originaire de Tautira Village au Fenua Aihere et fille d’un grand pêcheur de la presqu’île, Félix Ti-Paon. Dans le ventre de sa mère Nathalie, et jusqu’à six mois de grossesse, elle naviguait déjà dans nos eaux à la conquête des poissons du large. Elle a appris au bord de l’eau en pêchant des petits poissons dans le lagon avant de se lancer dans la pêche en haute mer.

Après une scolarité à la Presqu’île, alors qu’elle devait poursuivre ses études au lycée hôtelier à Pirae, Tetua décide, le jour de la rentrée, d’arrêter ses études et de se lancer dans la pêche professionnelle, car l’envie est plus forte. « La pêche, c’est dans le sang » affirme-t-elle.

L’exemple de son père a pesé dans le choix de ce métier. Voir son père partir seul à la pêche au large la rendait triste. Elle a donc décidé de l’accompagner après l’école. La première fois, elle n’avait que onze ans et c’était un bateau de dix-sept pieds. Après la pêche, elle allait vendre le poisson à vélo dans le village et a pris conscience que le fruit de leur pêche rapportait l’argent dont sa famille avait besoin.

À seize ans, elle a suivi une formation de deux ans au SEFI avec son papa, dans le but d’obtenir sa licence de pêche. Sa première motivation a été, bien évidemment, de ramener de grosses prises pour faire la fierté de son père. Toujours encouragée par ses parents, ses frères et ses sœurs, elle a également reçu le soutien exceptionnel de sa grand-mère paternelle Miriama Taurei, qui a vu en elle une jeune femme courageuse et pleine d’ambitions pour l’avenir.

« Si tu n’es pas suffisamment courageuse pour t’accrocher et que tu n’as pas le soutien de tes proches, il est très difficile de faire aboutir tes projets particulièrement si tu dois t’engager toute seule dans l’entreprenariat. »

Tetuaura TI-PAON

Sa maman a été d’une grande aide pour la concrétisation de son projet. Le fait d’être une femme n’a pas été un frein, car elle avait ses parents à ses côtés et c’était sa force. Sa motivation lui a donné l’envie d’aller jusqu’au bout de ses rêves. Ce choix professionnel, si jeune, n’a pas été évident pour elle, et parfois très compliqué, car certains pêcheurs n’ont pas été tendres avec elle sur l’eau. Cela ne l’a en aucun cas découragée, car elle savait ce qu’elle valait et qu’elle avait autant le droit d’être sur l’eau que n’importe qui d’autre pour exercer le métier qui l’a toujours fascinée. Elle reconnaît que revenir du large avec de grosses prises jamais pêchées auparavant par une femme était redouté par les autres pêcheurs.

Aujourd’hui Tetua n’a pas encore 36 ans et elle n'envisage son avenir que sur l’eau. Mais elle pense aussi en personne responsable, à la population de son village et souhaiterait que la marina de Tautira soit réaménagée et modernisée, car la majorité de la population vit uniquement de la pêche et de l’agriculture.

Aux femmes, pour l’avenir, elle dit : « Allez jusqu’au bout de vos rêves et ne doutez jamais de vous car nous sommes toutes exceptionnelles, peu importe le métier que nous exerçons ! Si c’est la pêche, lancez-vous ! ».

 Rava MAIARII, de Miss Tahiti à l'engagement dans le reo ma'ohi

Le parcours et la personnalité de Rava MAIARII révèlent une jeune femme accomplie et moderne, conciliant ses responsabilités professionnelles, avec un engagement ancré dans des valeurs polynésiennes authentiques. Maman de deux adolescents, elle ressent un besoin de transmission et d’engagement quant à l’empreinte à laisser aux générations à venir.

Son enfance à Taha’a a été déterminante dans ses choix de vie. En connexion avec la nature, dans une vallée terrain de jeux et de vie, elle a été élevée au sein d’une grande famille, avec ses cousins et ses cousines. Un quotidien sans eau au robinet ni électricité, une participation aux tâches de la vie courantes, tels le coprah, la pêche et la culture des plantes vivrières pour nourrir la famille, ont marqué sa première partie de vie et forgé ses convictions.

Dans cet environnement préservé et privilégié, Rava a puisé les valeurs qui guident sa vie : travail, persévérance et rigueur dans une vie en communauté respectant la nature, avec au cœur une transmission entre les aînés et les plus jeunes. Elle retrouve cet aspect communautaire en pensionnat au lycée de Raiatea. Sa maman, enseignante puis directrice d’école, l’a conditionnée très tôt à se dépasser, à se motiver pour faire des études et « à aller voir ailleurs pour mieux revenir ».

Sans savoir encore quelle filière choisir, mais imprégnée par sa vie d’enfant, elle souhaite que cela soit en rapport avec les animaux, les végétaux, la nature. Après un DEUG de biologie à l’Université de la Polynésie française, elle poursuit ses études à Toulouse et entre dans une école d’ingénieur en agro-environnement, où elle obtient un master.

Dans ce contexte, elle fait un stage chez Technival, société spécialisée dans la collecte et la gestion des déchets. En 2005, Rava a vingt-deux ans et saisit l’opportunité d’une offre de recrutement à la TSP (Tahitienne de Secteurs Publics). Elle occupe des fonctions successives et gravit les échelons. Aujourd’hui, elle est Directrice du Développement et apprécie le management de sa direction qui laisse une place à la liberté d’entreprendre.

Être jeune cadre n’est pas toujours facile, surtout lorsqu’il faut manager des équipes d’âges variés et convaincre les usagers qu’il faut non seulement trier ses déchets mais aussi payer pour le service.

Rava considère que la maîtrise du reo maohi a été son point fort. Il met de la confiance et du lien avec les collaborateurs, les partenaires et les populations des archipels éloignés. D’autant qu’aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de convaincre de trier les déchets, mais aussi de sensibiliser à leur réduction, de réfléchir à leur stockage et au rapatriement depuis les îles éloignées. Ce travail avec les autorités du Pays, les communes, les armateurs, les associations et les industriels a, pour elle, un sens en harmonie avec ses convictions.

Son grand-père lui a dit un jour : « Tu as un truc en plus ! ». Elle a décidé que ce serait d’être une femme. Elle le démontre en étant sacrée Miss Tahiti en 2002.

« C’est une formidable école de la vie qui permet à des jeunes filles de s’armer pour rentrer dans le monde adulte. Je l’ai pris comme une opportunité d’apprendre sur un monde nouveau à l’opposé de celui dans lequel j’ai grandi. Aujourd’hui je suis engagée activement dans le Comité organisateur Miss Tahiti, parce que je crois sincèrement qu’on peut aider de nombreuses jeunes femmes à se révéler et à s’affirmer. »

Rava Maiarii

« Les femmes sont multitâches » dit-elle. Dès le réveil il faut se préparer à endosser les différentes casquettes : femme, maman, épouse, responsable d’équipes au travail et engagée dans l’associatif. Sa mère et sa belle-mère sont des modèles et elle peut compter sur l’indéfectible soutien de son mari, qui lui apporte stabilité et fidélité. Et pour lâcher la pression, rien de mieux que de se retrouver de temps en temps avec les amies. Elle est également sportive au sein de l’association Tahiti Running Team.

Rava est convaincue que l’avenir des Polynésiens doit être ancré sur les valeurs culturelles authentiques comme la langue. Son dernier engagement dans une start up, « Speak Tahiti », met en avant la promotion de notre langue. Elle est heureuse de voir ses enfants vivre une partie de son enfance, lors de vacances à Taha’a. Chacun à sa manière a choisi, un aspect de la culture qui le rattache à son identité polynésienne.

Si elle avait un conseil motivant ce serait : « Faire des choix de vie qui ont un sens pour soi afin de savoir pourquoi on se lève chaque matin ».

Le pendentif représentant le prix "Poerava 2024" remis cette année à huit Polynésiennes.

Le pendentif qui représente la distinction POERAVA 2024 a été réalisé par une des membres de l'UFFO et son compagnon, tous deux artisans. Une œuvre unique, différente de celle de l'an dernier, et qui est décerné pour la sixième année.