Intense moment de justice ce vendredi 14 juin, au tribunal de Papeete.
Ariimatatini Vairaaroa est relaxé. Il était poursuivi depuis 2 ans pour usage illicite de stupéfiants en récidive, déjà condamné pour des faits similaires en 2021 et encourait une peine de prison ferme.
Lorsqu’il prend la parole à la barre, son fils aujourd’hui âgé de 13 ans, assoupi dans son fauteuil roulant dans la salle d’audience, se réveille et l’appelle par des gémissements.
Face au juge, Ariimatatini raconte : les 20 crises d’épilepsie de son fils chaque jour pendant plus de 10 ans, les nuits sans sommeil, sa démission pour s’en occuper, l’absence de médicament efficace, les traitements au cannabis testés dans d’autres pays et interdits ici et l’huile de cannabis qu’il préparait et avec laquelle il a massé son fils, stoppant ses crises pendant 1 mois, avant que les gendarmes n’arrachent les plants. « Un dossier humainement dramatique », a résumé son avocat, maître Thibaud Millet.
« Il avait même commencé à marcher »
En avril 2022, une patrouille pédestre de gendarmerie avait constaté 110 pieds de cannabis dans le jardin de la famille Vairaaroa, à Taiarapu. Le père, Ariimatatini, avait expliqué aux enquêteurs qu’il fabriquait une huile pour soulager son fils et fumait lui-même « pour se détendre ». Une goutte sous la langue de l’enfant et des massages quotidiens avaient amené, selon lui, à « stopper complètement » ses crises d’épilepsie. « Il avait même commencé à marcher ». Le jeune garçon, aujourd’hui lourdement handicapé, faisait jusqu’à 20 crises d’épilepsie chaque jour, suite à un vaccin obligatoire à ses 9 mois, « une des rares victimes de vaccin, mais pour laquelle le fonds d’indemnisation ne s’applique pas en Polynésie. » Alors, les parents alternent une nuit sur deux pour le veiller et se partager la fatigue, consultent plusieurs médecins sans résultat. Les médicaments puissants administrés ont des effets secondaires qui le plongent dans l’autisme, mais n’ont aucun effet sur l’épilepsie. Alors, le père de famille apprend que des traitements ont été testés en Israël pour les épilepsies pharmaco-résistantes, mais ils sont interdits en Polynésie française. Il se lance dans la fabrication artisanale d’huile de cannabis, avec une variété « avec un taux de THC très faible et un taux de CBD très élevé. » « Cette variété ne doit même pas être considérée comme un stupéfiant, » plaide son avocat, maître Thibaud Millet, qui demande la relaxe de son client. « C’est un drame humain que vous avez à juger. Je vous demande de ne pas condamner ce père pour le combat qu’il mène contre la maladie de son fils. »
« Je veux que ce soit mon fils qui m’enterre. Ce n’est pas moi qui vais enterrer mon fils »
Après l’arrachage des plants de cannabis, l’état du garçon « se dégrade rapidement ». Il faut reprendre un autre médicament puissant, il perd 10 kilos. « Je veux que ce soit mon fils qui m’enterre. Ce n’est pas moi qui vais enterrer mon fils, » déclare le père de famille, ému, à la barre. Son fils n’a plus jamais retrouvé cet équilibre. « C’est une course pour le soigner à nouveau et c’est la raison pour laquelle je suis là. »
Maître Millet fournit des attestations médicales certifiant que le cannabis a atténué les crises du garçon pendant cette période.
Sur le plan juridique, maître Thibaud Millet pointe la défaillance de la réglementation locale, qui ne prévoit aucune dérogation à la classification du cannabis, contrairement à la loi métropolitaine qui retient un seuil de 0,3% de delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) pour classer dans la catégorie « stupéfiant ». Aussi, au sens strict de la loi polynésienne, les cordages, pare-chocs, huile de consommation ou le textile à base de chanvre, sont des stupéfiants.
Réquisitoire exceptionnel et intense émotion
Le procureur, Michel Mazars, visiblement ému, commence un réquisitoire exceptionnel. Il demande une dispense de peine. « La justice est parfois démunie face à certaines situations. Notre droit positif permet aux magistrats d’exercer l’opportunité des poursuites. C’est l’honneur du législateur d’avoir prévu ces facultés. […] Si j’avais eu à connaître la situation, je n’aurais pas entamé de poursuites. Je ne peux que m’incliner face à la détresse de ce monsieur et cette famille. Est-ce qu’il serait juste de condamner cet homme ? Je ne le crois pas. »
« Votre décision va faire jurisprudence dans la vie de cette famille, » a plaidé maître Thibaud Millet. « Le père est poursuivi, mais le fils est déjà condamné avec une privation de soins. Les gendarmes ont détruit le cannabis. Les crises d’épilepsie ont repris, avec la souffrance de l’impression de s’étouffer. » L’avocat du père de famille n’a pas mâché ses mots et a dénoncé « des poursuites indignes » et « une politique pénale extrémiste » de la part du procureur et du vice-procureur d’alors qui avaient lancé les poursuites, « une hypocrisie et une atteinte à l’intégrité de cet enfant ». « Le procureur Mazars vient de mettre un frein à la folie de ce dossier, avec beaucoup d’élégance et de classe. »
Après en avoir délibéré pendant 5 minutes, le juge unique, Thierry Fragnoli, prononce la relaxe. Dans la salle, le soulagement se substitue à l’émotion. « Je suis soulagé, déclare Ariimatatini, à la sortie de la salle d’audience. Je remercie la justice d’avoir été clémente. Je ne vois que la guérison de mon fils. C’est ma motivation, mon diamant. J’espère une nouvelle loi, pour pouvoir planter normalement et qu’on me laisse tranquille dans mon petit coin. » En attendant, il espère une « autorisation » du président du Pays pour pouvoir continuer à cultiver du cannabis qui apaiserait son fils.
La loi sur le cannabis thérapeutique doit être débattue prochainement l’Assemblée de Polynésie.