Iriatai, la résidence de la discorde

L'image de la résidence Iriatai vendue par les agences immobilières
Sur le papier, elle est vendue comme une résidence à la vue imprenable sur Moorea et la forêt, située sur les hauteurs de Punaauia. Une réalité obscurcie par des contentieux judiciaires entre des propriétaires du quartier et les promoteurs de la SARL Les Hauts de Taapuna. Alors que le projet est en cours de construction, les procédures s’enchaînent. Dix au total depuis 2018.

« À seulement quelques minutes de la route des plaines, nichée en petite hauteur dans un écrin de verdure face à Moorea, une résidence tournée vers le bien-être de ses résidents ». L’annonce des agences immobilières est alléchante. Elle fait la promotion d’une toute nouvelle résidence sur les Hauts de Taapuna. Une résidence en construction de 15 appartements standing dont des penthouses. Mais, derrière cette belle vitrine se cache une autre réalité. Celle d’un conflit entre des voisins propriétaires et les promoteurs de ce projet, la SARL Les Hauts de Taapuna. Six ans de procédures judiciaires entre les deux parties. Pour les plaignants, c’est autant d’années de combat, d’attente et bien souvent de déception.

« Ils jouent avec les règles, ils les connaissent. Ils sont malhonnêtes, on a le sentiment de se faire piétiner »

Une propriétaire d'une maison dans le lotissement

Agacés, la quadragénaire et son mari, tous deux membres de l’association syndicale des propriétaires du lotissement Taapuna, vivent dans l’une des dernières maisons du lotissement. Elle est sur le chemin où les dizaines de futurs résidents vont passer en voiture tous les jours, là aussi où ils auront l’accès à l’eau et l’électricité. Sauf qu’à la base, il n’était pas question d’une résidence sur cette parcelle de terrain situé en contrebas mais d’une maison individuelle. C’est en tout cas ce qui est indiqué dans l’acte notarié de départ et dans la convention de concession. « On a un extrait du plan cadastral qui est très clair, et je viens d’avoir une attestation du notaire qui est aussi très claire : lorsque cette convention a été signée, il était clair et net que pour les 5 personnes qui avaient ces 5 parcelles, personne ne pourrait construire autre chose qu’une maison individuelle. On est en référé pour demander la cessation de travaux », affirme Me Eftimie-Spitz qui défend les plaignants. Des propriétaires qui ont le sentiment de s’être fait rouler dans la farine.

« Des affirmations mensongères »

Marjorie a acheté sa maison en 2022, une belle villa avec piscine située en amont de cette résidence en construction. À la base, sa vue sur Moorea est imprenable : « Quand j’ai acheté ma maison, l’agence m’a affirmé qu’il n’y aurait pas de résidence mais une maison individuelle sur le terrain. C’est ce que les promoteurs leur avaient dit, et d’ailleurs l’agence nous a fait une attestation en ce sens », confie la trentenaire attablée sur la terrasse dont la vue est désormais amputée par des penthouses en construction. Un géomètre mandaté par le tribunal administratif à la suite d’un référé a d’ailleurs signalé dans son expertise un « horizon obstrué ». Ce même expert y dénonce les « affirmations mensongères » d’Island Studio Architecture en charge du projet. Dans la note architecturale, jointe au dossier du permis de construire, l’architecte assure en effet qu’« aucune gène ne pourra être ressentie par les propriétaires en amont » et que « le niveau de toiture du bâtiment est inférieur au niveau du terrain supérieur ». 

La vue de la maison de Marjorie avant les travaux, puis pendant les travaux. Des images qui donnent une idée d'une vue désormais obstruée.

Pourtant, cette résidence dépasse de 3,64 mètres sur le terrain de Marjorie. Dans ce rapport rendu le 1er août dernier, l’expert conclut néanmoins que les hauteurs du bâtiment sont conformes au permis de construire. Un permis délivré par la Direction de la Construction et de l’Aménagement le 9 mai 2017 mais qui sera attaqué par les propriétaires. Après trois ans de procédures, ils perdront en cassation suite au rejet du Conseil d’État. Cette décision a suscité l'incompréhension des opposants qui dénoncent une construction non respectueuse du Plan Général d'Aménagement 2005 de la commune de Punaauia sur lequel les promoteurs ont obtenu le permis de construire, notamment grâce à la note de l’architecte.

La vue désormais de la maison d'un des propriétaires en amont de la résidence

Pascal vit en contrebas dans une maison achetée en 2014 et se dit déjà envahi par cette future résidence. Le manque d’intimité l’inquiète. « D'après le plan de masse du permis de construire, le bâtiment sera à 3,35 m de ma limite de propriété. Les balcons surplombant mon séjour seront à moins de 8 m de ma chambre à coucher et le parking principal accolé à ma clôture. Ce qui ne respecte pas les règles du PGA 2005 ». Il pointe du doigt également des problèmes liés au chantier comme le déversement de ciment dans son jardin et le manque de gestion des eaux.

« Ils mentent, l’expert le dit dans son rapport, et ils ont le culot de m’attaquer en justice pour dégager mes arbres car ils gâchent leur vue sur Moorea qu’ils vendent comme un rêve dans leur maquette ».

Pascal - propriétaire

Après le rejet du Conseil d'État, ces propriétaires bien décidés à aller plus loin se lancent dans d’autres procédures auprès du tribunal administratif et au civil. L’affaire devient complexe, difficile de démêler les ficelles de ce dossier aux multiples facettes. Mais élément important, l’une des procédures concerne un deuxième permis de construire obtenu en 2019 sur la même parcelle que la résidence, cette fois pour une maison individuelle. Cette information induit alors en erreur les propriétaires pensant que ce deuxième permis annulerait ainsi le premier et signait donc l’abandon du projet de résidence.

Le jardin de Pascal dont la résidence est très proche... Il dénonce également des déversements de ciment et des problèmes de gestion d'eau dûs au chantier de la résidence

Il n’en sera rien puisque le tribunal administratif valide ce deuxième permis au motif qu’il s’agit d’une personne différente des promoteurs. « Il s’agit de la mandataire de la SARL Les Hauts de Taapuna mais le tribunal ne l’a pas vu et pensé qu’il s’agissait d’une autre personne », assure l’avocate des plaignants qui attend la décision de la cour administrative d’appel de Paris. Cette personne en question est en effet proche d’au moins l’un des promoteurs puisqu’elle partage la gérance d’une société civile immobilière, la SCI CICOLAS, et le même domicile au moment de sa création en 2022. Cette dernière a été attaquée en justice avant que la procédure ne tombe à l’eau après le désistement des plaignants.

« C’est de la malfaçon »

Ce n’est donc pas la première fois que les promoteurs de la SARL Les Hauts de Taapuna font l’objet de procédures à leur encontre. À l’origine d’une autre société, la NLD, ils ont été poursuivis sur le permis de construire par un syndicat de copropriétaires. Ils ont perdu, la résidence de 46 logements n’a donc pas vu le jour. Par ailleurs, l’un des promoteurs a lui été condamné, cette fois en correctionnel, pour « travail clandestin » dans une affaire qui remonte aux années 2003-2004. Quoi qu’il en soit, ces promoteurs sont des adeptes dans le montage de sociétés. Au moins cinq ont vu le jour ces dix dernières années dont trois en l’espace de trois ans. Certaines ont depuis fermé. Créer une société, monter un projet, puis la fermer une fois que tout est terminé… La pratique est légion dans le milieu, et permet souvent d’échapper aux éventuelles procédures judiciaires. « Quand on a envisagé d’aller au tribunal, on s’est rendu compte qu’elle n’existait plus » raconte une propriétaire de la résidence NOA NOA à Faa’a. Cette dernière a été construite en 2016 par les mêmes promoteurs que la résidence Iriatai mais qui à l’époque avait donc une autre société du nom d'AMOA.

« Les promoteurs l’ont vendue comme leur premier projet, qui serait leur vitrine. Sauf que plusieurs résidents ont eu des problèmes depuis qu’ils ont emménagé. Quand on m’a remis les clés de ma villa, la poignée de la porte d’entrée est restée dans les mains du promoteur. Il y a des vrais soucis de finitions, de choses mal faites. C’est de la malfaçon ».

Propriétaire d'une villa dans la résidence NOA NOA

Problème de carrelages, peintures qui s’écaillent ou pas terminées, trous dans les murs… Une liste exhaustive de dysfonctionnements établie par cette propriétaire lors de l’état des lieux. « Je n’ai pas arrêté de leur envoyer des mails, j’ai fini par avoir des retours mais chacun se renvoyait la balle », s’agace la résidente qui énumère aussi les problèmes des autres habitants. Le syndic de copropriétés a d’ailleurs fait appel à un expert qui a relevé des soucis d’évacuation d’eau, des effondrements de talus, des canalisations des systèmes d’assainissement « mal foutus ». Un système réalisé par une société spécialisée dont l’un des promoteurs est ou a été directeur commercial. Il est aussi à la tête en co-gesiton d’une entreprise de travaux « TGBT » ouverte en janvier 2017. « C’est elle qui a fait les travaux de mes carrelages après que la première société n’a pas voulu revenir », affirme la propriétaire.

« Une guérilla judiciaire » répond l’avocat de la SARL

Caducité de permis, péremption de permis, cessation de travaux… Aujourd’hui, sur toutes les procédures engagées par les propriétaires des Hauts de Taapuna, une seule a été définitivement jugée : celle du permis de construire initial. Les autres sont en cours d’instruction, dont certaines à la cour administrative d’appel de Paris. Au total, ce ne sont pas moins de 10 procédures en cours ou achevées, 6 auprès de juridictions administratives et 4 en référé au civil. Et, parmi les recours faits auprès de la Direction de la Construction et de l’Aménagement (DCA), deux ont été rejetés. La DCA qui reçoit en moyenne 150 signalements par an et assure tous les traiter, estime ces procédures « abusives », parle même « d’acharnement » de la part des requérants et rappelle que le permis délivré en mai 2017 est valable suite à l’arrêt du Conseil d’État.

« C’est une guérilla judiciaire. Mes clients n’en peuvent plus car cela a eu des incidences financières surtout qu’ils ont bénéficié d’une défiscalisation ».

Me François Mestre - avocat de la SARL Les Hauts de Taapuna

De son côté, le conseil de la SARL répond point par point aux attaques des opposants et assure que les requérants étaient au courant de cette résidence. « Quand les propriétaires des deux parcelles en amont ont acheté, le permis existait, les travaux avaient commencé en 2018 avec le terrassement, ils étaient donc parfaitement au courant de ce projet d’un petit immeuble. L’un des deux a d’ailleurs été consulté pour la construction de cette résidence. Donc, ils ont acheté en toute connaissance de cause », affirme Me Mestre qui a assigné l’ASL, l’Association Syndicale des propriétaires du Lotissement Taapuna. L’objet : l’interprétation de la convention de concession. Cette convention permettait-elle « uniquement » la construction d’une maison individuelle sur chaque parcelle ? Une question qui n’a pas encore été tranchée et va donc être débattue sur le fond. Elle pourrait bien mettre un point final à cet imbroglio.