Joseph Zima, l’homme qui sauva en 1973 le seul rescapé du crash de la Pan Am, et d'autres vies

Joseph Zima pilotant l'un de ses bateaux.
Il y a 50 ans, le 22 juillet 1973, un avion de la Pan Am s’écrasa dans la passe de Papeete juste après avoir décollé. Une catastrophe aérienne qui fit des dizaines de morts. Et marqua les esprits. Notamment celui de Zamora, la fille de Joseph Zima, l’homme qui sauva le seul survivant de l’accident. Par la suite, il risqua sa propre vie pour en sauver d’autres.

Les 4 filles de Joseph Zima auraient pu faire comme celles du docteur March : guetter chaque jour une lettre de leur père parti au front, loin du foyer. Sauf que le père de Zamora et de ses 3 sœurs a toujours été là pour sa famille. Un pilier, "un héros" dit-elle, à l’apparence rude mais au cœur gros comme ça. Et une générosité à toute épreuve. La plus terrible a sans doute été celle du crash de la Pan Am.

C’était il y a 50 ans, le 22 juillet 1973, quand l’avion qui devait rejoindre Los Angeles connut un ennui technique. En pleine phase de décollage, "un témoin a déclaré avoir vu l’avion tourner brusquement à gauche comme pour éviter quelque danger ou pour retourner au plus vite sur la piste", relatait à l’époque une dépêche de l’agence AP. 

Appels à l’aide

 Ce témoin, c’était Joseph Zima en balade nocturne à Papeete avec son épouse Louise. "A ce moment-là, mon mari me dit que l’avion fait un drôle de bruit", se souvient sa femme aujourd’hui âgée de 80 ans. Rien qu’au bruit, il avait ainsi détecté que quelque chose n’allait pas. En effet, " Joseph était mécanicien sur les hydravions, les Catalina. Donc au son du moteur, il avait remarqué qu’il avait un souci", précise sa fille Zamora.

Louise Zima, l'épouse de Joseph.

Après le crash, son père se précipita sur le quai de Papeete où ses bonitiers étaient amarrés. Il sauta dans l’un d’eux, mit les moteurs à fond "sans se soucier du cordage", lequel, dans l’urgence, cassa évidemment sous la pression. Seul sur son bateau et n’écoutant que son courage, il fila à toute allure vers le lieu de l’accident. Sur zone, un spectacle de désolation : "la forte odeur du kérosène, des valises, des affaires et des gens qui flottaient, des corps mutilés, ou d’autres sans vêtements à cause du souffle de l’explosion", explique Zamora reprenant les propos de son père.

Il accomplit alors une macabre tâche, celle de "ramasser les cadavres semblables à des mannequins. Parmi eux, des hôtesses", qu’il plaça dans le bonitier. Il s’avéra que l’une d’elles était encore vivante. Ensuite, il entendit des cris. C’était "les appels de James Campbell", un autre survivant. Au moment de le tirer hors de l’eau, "il s’aperçut que deux de ses côtes étaient sorties de sa cage thoracique", indique effarée Zamora.

Maigre récompense

Le temps qu’il l’installa dans le bateau, au loin "il voyait l’avion couler tout doucement vers le fond avec les lumières encore allumées à l’intérieur". "Il est probable que la plupart des victimes sont restées prisonnières de la carcasse métallique", précisait en 1973 la dépêche de l’AP.

Ce soir-là, douze cadavres furent repêchés par les sauveteurs. James Campbell, un Australien, fut le seul survivant, car l’hôtesse de l’air récupérée par Joseph Zima décéda probablement lors de son transport vers l’hôpital. Au total, 78 personnes périrent dans cette catastrophe. Un an après, le destin rattrapa l’Australien puisqu’il mourut dans un accident de la route.

Un article de la presse locale de l'époque avec la photo de Joseph Zima et de sa femme.

Pour son acte de bravoure, Joseph fut décoré de la médaille du mérite par le gouverneur et les autorités de l’époque. De son côté, la Pan Am lui offrit une montre en or massif en guise de remerciements.

Une médaille et une montre, le maigre salaire de la peur que Joseph surmonta sans problème la nuit du crash "parce qu’il savait bien qu’il fallait les sauver", rappelle Zamora.

Se jeter à l’eau

Quand elle y repense, "toute sa vie mon père a été un homme qui a sauvé quand même beaucoup de gens !"

Ce fut ainsi le cas quand "de l’autre côté de chez nous il y avait une forte pluie [provoquant] un fort débit dans les égouts de Faa’a. Un enfant était tombé à l’intérieur et personne ne voulait sauter parce que le débit était si fort que tu risquais ta vie".
Voyant que personne ne bougeait, "il n’a pas cherché à comprendre…il a sauté et on l’avait perdu de vue, on ne le voyait plus, pendant un moment on a cru que lui aussi était passé. Vraiment, vraiment plus loin il a pu attraper par les cheveux l’enfant, le maintenir au-dessus de l’eau et le sauver", dit admirative Zamora.

Un véritable casse-cou mais avec une tête bien faite et bien vissée sur les épaules. Car après avoir été dans une première vie mécanicien aéronautique, Joseph passa le concours de la police nationale. Et le réussit haut la main. Il travailla ainsi à l’ex-DSP puis à la police de l’air et des frontières.

"C’était un homme accompli, un perfectionniste également parce qu’il était aussi à l’aise dans l’air, que sur l’eau et sur terre. Il a tout fait", résume sa fille. Comme par exemple fabriquer des woks, ou encore des bateaux.

Et c’est sur l’un d’eux que Zamora a vécu un événement qui aurait être fatal à toute sa famille. C’était dans le chenal entre Tahiti et Moorea où le père de Zamora devait rejoindre ses travailleurs. Elle avait 18 ans et avec ses 3 sœurs, "on était à bord d’un speed-boat que mon père avait construit, avec un moteur de 300 CV, donc ce n’est pas rien, et à un moment donné ma petite soeur Patricia a voulu le piloter". 

Survivre en mer

Mais elle n’avait pas vu un immense tronc d’arbre qui flottait entre deux eaux. "Le hasard a voulu qu’on passe en plein sur son passage, le bateau s’est carrément disloqué… Mes souvenirs, c’est de voir cette coque qui, avec la houle, montait et descendait…Il devait être 17h, Papy est allé dans la cale chercher des cordages et nous a demandé de nous dévêtir pour ne pas qu’on s’alourdisse. Je me souviens que j’avais mes règles, donc Papy nous avait attachées, moi j’étais sur son dos, parce qu’il avait cette crainte que j’attire les requins [à cause du sang]. Et donc il tirait, il poussait. Je me souviens qu’on avait une bouée qui était carrément déchirée, je le vois avec sa force qui nous tirait, il soufflait dans cette bouée pour que Mamie soit allongée dedans et qu’elle soit plus à l’aise que nous. Il faisait ça en même temps. Puis ma mère hurle en disant « laissez-moi mourir ! » A ce moment, mon père se retourne et lui met une baffe magistrale pour ne pas qu’elle nous contamine, qu’elle nous stresse. La claque a été radicale, et ensuite on a continué à nager", raconte amusée Zamora.

La famille se trouvait encore loin des côtes de Moorea. "Je me souviens aussi qu’on avait vu d’immenses méduses…on voyait bien leurs tentacules, on aurait dit qu’elles traçaient un chemin, une route pour nous, jusqu’à Vaiare. Papy nous a demandé de suivre les méduses parce que les requins, d’après lui, ne vont pas aller dedans de crainte se faire piquer. On a poussé les méduses, même si on était piqués, dans nos têtes il fallait qu’on arrive vivantes. Je me souviens que Papy nous avait demandé d’appeler mon grand-père décédé pour nous aider. C’est ce que j’ai fait", note Zamora.

Prier le ciel et l'aïeul

A ce moment-là, non loin du récif, la houle était immense, et "Papy a voulu surfer une vague, pour rejoindre le récif et nous, pareil, on devait le faire ! J’étais contre parce que je me suis dit qu’on allait se fracasser, et Dieu merci à ce moment-là, un vieux passait sur sa pirogue. On l’a appelé, il a d’abord eu peur de nous, il pensait que c’était des tupapau ! Papy nous a mis dans la pirogue, avec une ou deux soeurs, et lui dans l’eau se maintenait sur le rebord de la pirogue, ainsi que Mamie et ma petite soeur. Et on est arrivés comme ça à Vaiare. Du monde nous attendait, en petite culotte à 18 ans [rires] devant tous ces gens, certains pleuraient", se remémore Zamora.

Joseph et ses filles après le naufrage entre Tahiti et Moorea.

Ensuite, direction Pao Pao, où patientaient de la famille et les ouvriers de son père. Et là, surprise, retour à Papeete "en remontant sur nos bonitiers, une chose terrible pour nous de remettre les pieds [sur un bateau] tout de suite après un naufrage !"
Une fois à Papeete, "je vois ma grand-mère qui pleurait déjà, je lui parlais, elle a dit en tahitien « stop, grand-père est déjà venu me dire », mon grand-père déjà décédé"Les plus superstitieux diront que l’aïeul de Zamora avait sans doute entendu son appel quand la famille était en pleine mer au large de Moorea.

Zamora avoue qu’elle a mis plusieurs années avant de se remettre de cette terrible mésaventure.

Autre déboire pour sa famille, cette fois sur terre. C'était en 1982, quand l’incendie de la maison familiale avait détruit tous les souvenirs de ses parents. "Ca été terrible pour eux, ils avaient tout perdu, plus de maison, tout était rasé en bas à Faa’a, en face de chez Dora, quartier Tarahu, les affaires des enfants, et même la montre en or offerte par la Pan Am", sans doute fondue par la chaleur du brasier et enfouie sous des tonnes de cendres et d’affaires brûlées.

Un sauveur-né

Une épreuve que Joseph Zima, sa femme Louise et leurs filles parvinrent malgré tout à surmonter à nouveau.
Ensemble pour contourner les obstacles de l’existence, ensemble pour voir la famille plus soudée que jamais.

L’exemple le plus frappant pour Zamora a trait à ce rituel familial du week-end : le patriarche ordonnait à ses filles de venir le voir chaque dimanche avec maris et enfants pour déguster ensemble le traditionnel tama’a !

Un fort caractère exempt de faiblesse apparente mais qui cachait au fond un trésor de générosité. 
Une force de la nature capable de partir des jours durant à la chasse avec ses chiens et revenir après avoir abattu un cochon sauvage.

Un amoureux des grands espaces, lui qui prenait régulièrement les airs à bord d’un avion en embarquant ses enfants dans des virées jusqu’à Moorea voire Tupai.

"Un homme accompli", ne cesse de dire de lui Zamora, que seuls plusieurs AVC avaient eu raison de sa fougue en l’obligeant à rester alité durant plusieurs années.
Avec le temps, Joseph s’est affaibli, puis s’est éteint. C’était il y a déjà 5 ans. 

Un de ces hommes qui marquent à jamais la vie des gens. Parce qu’il les a sauvés. Aujourd’hui, grâce à lui, ses filles peuvent en témoigner.

Zamora Zima Nena, l'une des filles de Joseph Zima.