Le cliché pour la Polynésie, c’est cocotiers, plages blanches et lagons bleu azur…La Polynésie que l’on vend, que l'on fait miroiter. Mais la Polynésie aujourd’hui ce sont aussi près de 700 personnes dans la rue, près de 700 Polynésiens devenus eux aussi un cliché de la modernité. Avec son lot de préjugés, de regards condescendants. Tous au ban de la société.
Et pour changer ces regards, d’autres clichés, ceux de Doris Ramseyer. Cette ancienne infirmière suisse, installée en Polynésie depuis 13 ans, a battu pendant plusieurs mois le goudron de Papeete et capturé des instants, des regards, des vies, leurs vie.
Nous la rencontrons en ce dimanche, sur le parking de l’assemblée de Polynésie. Aujourd’hui ils sont une dizaine de SDF ici. On peut en voir, allongés, leurs effets personnels tout près d’eux, dans des sacs poubelle, des cartons, des caddies. D’autres ont profité d’une éclaircie pour étendre leur linge mouillé par les intempéries de la semaine. Certains font la manche, mais pas tous.
Romana Teupoohuitua est SDF depuis 2017. Elle a une patente et travaille quand elle peut en faisant des ménages. Son compagnon a gagné un concours et travaille aujourd’hui dans une grosse boîte de la place… mais il ne veut pas qu’on sache qu’il est dans la rue… nous ne l’embêterons pas. Romana fait partie des 46 personnes qui ont bien voulu être photographiées. " C’est pour montrer aux gens que nous ne sommes pas tous des méchants, il y a des gens qui veulent travailler, qui travaillent...la rue c’est bien moins difficile que les regards, les gens qui jugent sans nous connaître...on n’est pas des méchants on ne mord pas !", dit-elle avec le sourire.
"Quand j’ai initié le projet, je ne savais pas comment j’allais être accueillie dans la rue. Certains n’ont pas voulu et je les ai laissés tranquilles, mais beaucoup m’ont très bien acceptée et on a pu échanger beaucoup avant le premier cliché. Toutes ces personnes, je les ai trouvées courageuses", confie Doris.
Après 10 mois de travail, Doris a découvert aujourd’hui les premiers tirages grand format qui seront exposés en octobre. 42 portraits de 46 SDF, une exposition pour changer les regards…
Leçons de vie
Le premier cliché est celui d’un homme d’un certain âge, l’air grave, et un regard dans lequel on peut lire une vie passée dans la rue. Un autre cliché représente une femme qui se cache le visage derrière ses mains jointes. "Elle, ça fait 25 ans qu’elle est dans la rue, mais elle y croit encore ! Elle veut s’en sortir". Des leçons de courage, et de vie, voilà ce qui transpire de ces 4 premiers portraits…
La jeune femme est assise devant des planches de bois qui donnent une texture particulière à cette photo en noir et blanc. "Le noir et blanc c’est brutal, ça te donne la profondeur de l’instant, la gravité du regard", continue Doris. Il est vrai que le noir et blanc montre la dureté de la vie de la rue, que l’on peut deviner dans les rides, dans les cicatrices de la jeune femme, dans la minéralité de la ville omniprésente, que ce soit un bout de trottoir, une palette de bois, ou encore un rideau de fer.
Doris qui "aime l’humain", a été bouleversée par ce qu’elle a pu voir dans la rue, et les êtres qui s’y sont fait une place malgré eux, qui s’y sont fait une famille. "Ca m’a bouleversée ! Je souhaiterais que les regards changent à défaut de changer leur situation, que les gens qui viendront voir l’expo se posent la question de leur propre regard sur ces personnes. Pourquoi ils pensent ceci ou cela ? Pourquoi ils ont évité leur regard peut-être ? J’aimerais ça, changer les regards sur ces personnes".
Sous le parrainage de la ministre des Solidarités Chantal Galenon, l'exposition Regards sera à découvrir dès le 2 octobre à la Brasserie Te Hoa. Les bénéfices seront entièrement reversés aux associations qui aident les SDF.