Mathilde Zampieri est une tamarii Raromatai ambitieuse. Raiatea l’a vu grandir et atteindre par deux fois le top 3 mondial en windsurf dans la catégorie Junior...mais en 2020, le covid s’en mêle. Toutes les compétitions sont au point mort. Mathilde, qui a déjà un beau parcours sportif, décide alors de passer à autre chose. Elle et son frère prennent le même chemin, celui du cinéma.
Nouvelles ambitions
Depuis quelque temps déjà, ce milieu l’attire. Si ses performances sportives ont inspiré des documentaires, elle rêve d’être de l’autre côté de la caméra. “C’est aussi l’année où je passais de Junior à Senior : je savais que je n’allais plus faire les mêmes résultats. Si c’était pour faire des résultats médiocres, pourquoi continuer ?” confie-t-elle.
Son projet voit le jour, quelques années plus tard. À la tête d’une boîte de production créée en parallèle de ses études supérieures à Tahiti, Mathilde donne naissance à un court-métrage relatant le combat LGBT à travers l’histoire d’Amélie et sa soeur transgenre. Le film, disponible sur Youtube, a été entièrement tourné à Tahiti avec une équipe de production et des acteurs Polynésiens.
Pour Deux Sœurs, j’ai réalisé, produit et coécrit avec mon frère. (...) On voulait faire un film d’ici, par des gens d’ici pour des gens d’ici. Au cinéma, la Polynésie est souvent racontée par des gens d’ailleurs. Je trouve cela cool d’avoir pu exprimer ce qu’on avait à dire.
Mathilde Zampieri
C’est ce même film qui a été projeté à Hollywood le 13 septembre. Avant cela, il a déjà remporté le prix du meilleur court-métrage LGBTQ+ au Festival international de Paris. À Bruxelles, Deux Soeurs fait également partie des finalistes. Aux Etats-Unis, aucun prix n’est attribué mais “rien que d’être projeté dans l’un des plus grands cinémas imax du monde, c’est déjà trop cool !” s’enthousiasme Mathilde. Certainement l’une des plus belles expériences de sa vie et le début d’une carrière prometteuse, à force d’audace…
Sa ténacité lui permet d’ailleurs d’intégrer, cette année, l’école Kourtrajmé, dans la section scénariste, “la meilleure école à mes yeux” dit-elle. Et pour cause : le collectif fondateur de l’école est à l'origine du film La Haine (1994) devenu culte. Ce même collectif a ensuite bâti l'école en 2018.
Au bout de la seconde tentative, la jeune femme peut se targuer de faire partie des 15 profils sélectionnés sur les 500 dossiers déposés…
De projet en projet
À 23 ans à peine, Mathilde Zampieri est déjà une figure du windsurf et du paysage audiovisuel polynésien. Son premier court-métrage à succès marque le début d’une longue aventure. Les projets continuent de fleurir par le biais de sa société et au terme de ses six mois d’apprentissage à Paris, elle devrait commencer la réalisation de son premier long métrage, l’adaptation du roman La chute du flamboyant de Marc Hélias.
Je suis venue à Paris pour réécrire tout le roman en scénario et l’envoyer en production pour espérer une diffusion au cinéma. En ce moment, on est en grosse pré-production pour ce film-là. (...) Il y aurait une partie du tournage en France et une autre partie à Tahiti. Le but serait de réussir à illustrer cette facette de la Polynésie par une équipe locale. On a tout ici pour le faire. Il y a vraiment du potentiel, que ce soit dans les acteurs, les techniciens ou les réalisateurs.
Mathilde Zampieri
En parallèle, Mathilde a également produit une série sur Tik Tok intitulée The End of Us, en collaboration avec l’influenceuse Jessica Errero. Elle va dévoiler The Sacred Speaker en mars prochain, un court-métrage original sous forme de orero entièrement en Tahitien, sur le thème de l’océan. Cinq minutes de vidéo “moderne” et “percutante”, décrit-elle.
Il va donc falloir continuer à démarcher des producteurs...
J’avais la chance d’avoir un peu l’expérience sponsors avec le sport donc je savais comment ça marchait. Après il n’a pas coûté très cher le film [Deux Sœurs, ndlr], on a fait ça "à la locale." Et puis, je l’ai remboursé avant même qu’on l’ait tourné grâce aux financements des partenaires. Ce n’est que du culot !
Mathilde Zampieri
Si elle est déjà bien équipée en lumières, caméra et son, le long-métrage va être une autre paire de manches. Heureusement, elle peut compter sur l'aide de son frère Simon pour la guider dans les moments de doutes. Tout droit sorti des cours Florent, Simon Zampieri s’est rapidement fait repérer en tant qu’acteur. Au bout de trois mois, il a décroché un contrat et tourne désormais dans de grosses productions. “Souvent quand j’écris des trucs, il les relit et on les réécrit ensemble” raconte Mathilde.
Les deux jeunes artistes en herbe ont même retenu l’attention du président de la Polynésie en personne. Moetai Brotherson les a félicités dans un discours, le 7 septembre dernier. “À Paris, l’excellence polynésienne continue de s'affirmer avec Simon Zampieri, acteur de talent originaire de Raiatea (...). Sa sœur, Mathilde Zampieri n’est pas en reste, elle vient d’être acceptée dans une école de cinéma réputée à Paris et va de succès en succès, avec son dernier court-métrage Deux Soeurs distingué à Cannes, récompensé à Paris, et diffusé au Silicon Beach Festival à Hollywood” a-t-il déclaré.
De quoi motiver la petite fratrie et tous les autres Polynésiens à aller au bout de leurs ambitions. C’est l’objectif du président…et de Mathilde. Elle a franchi le pas et veut désormais faire briller la Polynésie.
C’est un milieu qui paraît très fermé surtout quand tu viens du Pacifique, surtout quand t’as 23 ans, surtout quand tu es une fille…mais ça ne l’est pas tant que ça. Et ce n’est pas parce-que tu n’as pas de caméras à 10 000 euros ou des acteurs connus que tu ne peux pas faire quelque chose. Maintenant, on peut créer du contenu et des films de malade avec du matériel pas trop cher. La première personne pour qui j’ai travaillé dans l’audiovisuel m’a dit un jour : ‘ce n’est pas l’outil qui est important, c’est la main qui l’utilise’ et je trouve cela tellement vrai...
Mathilde Zampieri
La Polynésie, aussi insignifiante soit elle aux yeux du monde, regorge de potentiel qui attend timidement de se dévoiler…