Danaë Rousseau est française. Née à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, elle a grandi en Guyane. Ses parents, son petit frère, sa grande sœur, sa famille, tous sont complètement entendants. Elle est la seule sourde, sourde profonde et cela depuis la naissance mais Danaë insiste : " Je ne suis pas handicapée. Je suis juste sourde. Et je ne souffre pas du fait d’être sourde. Ma mère et ma grande sœur signent un peu, mon père n’a jamais appris. "
Un parcours scolaire avec mention mais pas le droit au lycée
Danaë a débuté sa scolarité à Cayenne. L’APADAG, l’Association des Parents et Amis des Déficients Auditifs de Guyane l’accompagnait dans l’apprentissage de la langue des signes. Elle était scolarisée à la fois dans une classe de CP en intégration avec des entendants et dans une classe ULIS 2 (unités localisées pour l’inclusion scolaire) avec d’autres sourds. Du CE1 au CM2, Danaë est allée à l’école à Kourou où elle était également en intégration et dans une classe sourde.
Danaë intègre ensuite le collège Auguste Dédé dans la commune de Rémire-Montjoly, également en intégration mais plus souvent avec des sourds " car on avait un professeur qui parlait et qui signait en même temps. Puis à Soula, à Macouria, je me suis retrouvée seule. Il n’y avait plus de sourds avec moi. J’avais un AVS (auxiliaire de vie scolaire) qui m’accompagnait en langue des signes via l’APADAG. J’ai eu mon brevet mais pour la suite, c’était compliqué parce que mon professeur ne voulait pas que j’aille en lycée général à cause de ma surdité, mais en professionnel. "
Poursuivre au lycée en Guyane s’avère donc difficile. En 2017, la jeune écolière quitte la Guyane pour la France où elle rencontrera plus de sourds et où l’accessibilité est plus développée. Elle intègre une classe de sourds mais revient au niveau de la 3e où elle fait une année et ne comprend pas qu’à la fin de cette 3e on ne la laisse pas accéder au lycée. Danaë refait une année de 3e à l’issue de laquelle on lui refuse une nouvelle fois l’entrée au lycée professionnel cette fois. C’en est trop. Arrivent en plus la covid et le premier confinement.
Travailler à défaut de pouvoir aller à l’école, et encore ...
Danaë décide d’arrêter l’école et de chercher un emploi mais le monde du travail n’est guère plus clément. Les entreprises ont peur que la jeune femme ne puisse communiquer : " J’essayais d’expliquer que je pouvais parler, que j’entendais bien grâce à mon implant … Je n’ai trouvé aucun travail, sauf une fois en crèche mais ils ne voulaient pas s’adapter à moi. Après, il y a eu la covid, nous sommes restés confinés pendant longtemps. Finalement, en juillet 2020, ma mère m’a trouvé un travail en Guyane pour un an à l’association Les écuries. Alors, je suis rentrée. Après cette première expérience, le SERAC (surdité, entraide, rencontre, accessibilité, communication) m’a embauchée en service civique. "
En service civique au SERAC pour huit mois, Danaë est essentiellement animatrice en binôme. Elle se rend dans les écoles pour sensibiliser aux dangers du bruit et pour initier à la langue des signes à travers des histoires et des chants signés. Elle aide également l’association lors de l’organisation d’évènements.
" … J’ai déjà appris beaucoup de choses mais ce n’est pas fini car je viens de commencer. J’aime travailler donc ça se passe bien. Parfois, je sens qu’il me manque du vocabulaire mais c’est tout. Je pose des questions. Toute l’équipe connaît la langue des signes donc c’est plus simple. Au début par exemple, pour l’ordinateur, c’était difficile mais maintenant, on m’a expliqué donc j’y arrive. Ça vient avec l’expérience. J’ai trouvé ma place ici … Quand j’étais plus jeune, j’étais plus isolée, je n’osais pas parler avec des entendants. J’avais une amie chinoise avec qui j’aimais être mais sinon, c’était dur. J’étais très souvent isolée jusqu’à récemment. Ma mère m’a beaucoup aidée pour ça. J’aimerais continuer à travailler au SERAC. Je ne vais pas abandonner. Les gens sont sympas et travaillent bien. "
La crise sanitaire de la covid-19, un cauchemar pour les sourds
Le port du masque, le premier drame de cette crise pour Danaë et pour tous ceux pour lesquels l’expression du visage participe activement et de façon essentielle à la communication : " quand quelqu’un porte le masque et qu’il y a du bruit autour, je ne comprends rien. Il faut donc un masque transparent ou s’éloigner et enlever le masque. Par exemple, pour les cours de code, je ne comprends pas parce que la personne porte un masque. Le mieux, ça reste quand même la langue des signes. "
Comment Danaë s’est-elle ouverte au monde
Quand elle a six ans et jusqu’à ses quinze ans et demi, Danaë apprend à parler avec une orthophoniste. Elle parle et répète les sons que l’implant lui envoie au cerveau : " Je déteste ça mais j’ai dû le faire pour pouvoir parler et entendre. Maintenant, j’ai arrêté d’aller chez l’orthophoniste. "
Danaë porte en effet un implant depuis l’âge de quatre ans et demi. Ceci explique très clairement ses progrès et son aisance aujourd’hui mais ce n’est pas sans effets indésirables : " certaines personnes vous diront que c’est très mauvais, qu’on souffre, que ça ne fonctionne pas, que c’est dangereux … Pour ma part, l’implant, ça s’est très bien passé et j’en suis fière. Le soir, avec la fatigue, j’ai mal à la tête. J’enlève l’implant et je me repose pour aller mieux. Pour d’autres, ça se passe moins bien. "
L’apprentissage de la langue des signes, une autre clé
" J’ai appris à signer très jeune, c’était très dur. On m’a vraiment poussée pour apprendre la langue des signes parce que c’est très important pour les sourds qui ne parlent pas. Et à l’époque, je ne parlais pas. Quand on ne parle pas, signer et écrire sont les seuls moyens de communication. J’ai donc pris l’habitude petit à petit et maintenant, c’est devenu un automatisme. C’est très positif. Quand j’ai mal à la tête et que j’enlève l’implant, je reviens immédiatement à la langue des signes. Je suis vraiment à l’aise. La langue des signes est ma langue maternelle, ma première langue, le français est ma deuxième langue. Je suis bilingue ! "
Le permis de conduire, le projet de Danaë
Obtenir son permis de conduire, un long parcours d’obstacles : " Le code est difficile parce que je ne connais pas tous les mots et les phrases en français font des pièges. Les images ne correspondent pas aux phrases. Je l’ai déjà raté plusieurs fois. Ce serait mieux s’il y avait de la langue des signes. Mais je veux passer mon permis, j’en ai vraiment besoin. "
Danaë Rousseau, une belle illustration du courage et de la persévérance. Reste à la société à se montrer plus inclusive. « Inclusion », le mot prend tout son sens et représente d’autant plus un défi que l’heure est, peut-on le regretter, à la « distanciation sociale ».