Sudel Fuma avait beaucoup fréquenté les archives départementales pour ses travaux d’historien. Le conseil départemental lui rend hommage ce lundi. Une plaque commémorative a été dévoilée ce lundi.
A cette occasion la présidente du conseil départemental Nassimah Dindar a prononcé le discours suivant :
"C’est avec une grande émotion que je prends la parole devant vous aujourd’hui, alors que nous rendons un dernier hommage à Sudel Fuma, athlète, historien, universitaire, ancien conseiller général et conseiller municipal, mais qui était avant tout un mari, un père, et pour moi un ami, un GRAND ami.
Sa disparition subite nous a tous émus. Les hommages ont afflué, venant du monde politique, du monde associatif, du monde culturel, du monde universitaire… Tous vous expriment leur soutien, à vous sa famille, à ses enfants, Ryan et Morine.
C’est aussi à vous que je pensais quand j’ai appris la dramatique nouvelle, ou quand je travaillais sur ces quelques mots que l’on m’avait demandés de prononcer devant vous et devant cette assistance, venue si nombreuse dire un dernier « adieu » à celui qui fut votre mari et votre père. Car comment pourrais-je parler du Sudel que j’ai connu sans d’abord penser à vous, qui étiez ses piliers, sa colonne vertébrale ?
Notre peine est immense, elle n’est rien comparée à la vôtre, et je vous redis du fond de moi ma compassion et mon soutien. J’ai aussi, permettez le moi, une pensée émue pour Jacky Suzanne, ce Saint-Paulois disparu en même temps que Sudel, car je sais que la peine de sa famille est tout aussi grande et qu’elle aussi a besoin de ce soutien.
Sportif, universitaire, historien, acteur culturel, militant associatif, homme politique, comme d’autres l’ont dit et le diront après moi : Sudel fut tout cela, et plus encore.
C’est d’abord comme sportif que Sudel s’illustra. Alors étudiant, il décida de s’essayer au karaté. Commencer une telle discipline à 21 ans n’est pas chose facile. Mais déjà Sudel Fuma faisait preuve de la volonté et de l’ambition qui toujours l’animeront, puisqu’il décrochera la ceinture noire !
Il sera aussi athlète, champion sur le 800 m, représentant La Réunion aux premiers Jeux de l’Ile de l’Océan Indien de l’histoire, en 1979.
Parallèlement, il poursuit ses études universitaires après avoir obtenu sa licence d’histoire à la faculté d’Aix-en-Provence, un autre point commun avec moi.
Il va alors consacrer sa vie universitaire à travailler sur l’esclavage à La Réunion.
C’est lui qui, le premier, défricha les archives, elles qui dormaient poussiéreuses sur les rayons mais aussi dans nos esprits.
Ses travaux portèrent notamment sur le marronnage, célébrant ainsi, à sa manière, la révolte et l’esprit de liberté de ces esclaves, dont il était lui-même l’un des descendants. Il fut d’ailleurs à l’origine de la reconnaissance des révoltes des esclaves, à Saint-Leu mais aussi à Saint-Denis où furent érigés des monuments pour rendre hommage à ces hommes et ces femmes que l’on pensait brisés sous le joug mais aux âmes plus fortes que le chabouk des maîtres.
Redonner à l’identité réunionnaise ses lettres de noblesse ; redonner aussi un nom, une vie, à ces hommes et ces femmes arrachés de leur terre, de leur famille ; nous redonner à nous des racines, et des racines dont nous puissions être fiers : c’était ça aussi, l’œuvre de Sudel Fuma. Comment ne pas adhérer à cette juste cause ?
Surtout quand c’est un homme aussi passionné que lui qui vous la présente ?
C’est ainsi que le Conseil général a été l’un des ses partenaires dans son projet de « Route des esclaves et des engagés », qui l’a mené aux origines du peuplement de La Réunion. Car pour lui, comme pour moi, cette route n’était pas finie. Installer des portes ne signifie rien si c’est pour qu’elles restent fermées ! Et c’était ça que voulait montrer Sudel Fuma : ces portes attestent que notre identité réunionnaise est plurielle et unique ; elles symbolisent aussi la communauté d’hommes unis dans une communauté de destin que nous formons avec les îles de l’océan Indien comme avec les pays du second cercle, la Chine, l’Inde, le Mozambique…
S
udel Fuma, c’est le combattant de toutes les libertés, celui que l’on retrouve aux côtés de tous les opprimés, aux côtés de tous les oubliés de l’Histoire. C’est lui qui, le premier, a rejoint le juste combat des Exilés de la Creuse, ces Réunionnais déportés qui avaient sombré dans l’anonymat. C’est grâce à lui que leur drame a été connu du grand public, grâce à lui que l’action des associations a été légitimée. Je me rappelle encore avec quelle émotion, avec quelle rage positive, il me parlait de ces drames humains, ignorés. C’est ainsi que je me suis retrouvée, moi aussi, à les soutenir dans leur combat pour leur reconnaissance. Et je me souviens de ce jour empli d’émotion où, avec les associations, avec l’artiste Nelson Boyer, et avec évidemment Sudel, nous avons érigé l’œuvre en souvenir de ces drames devant l’aéroport Roland Garros.
Que Sudel s’engage en politique, au sens noble du terme, était donc logique, de même qu’il était logique que son engagement soit un engagement de conviction, et non pas de parti. Il me disait encore récemment, que plus les années passaient, plus il réalisait n’être ni de droite ni de gauche, mais être seulement un Réunionnais progressiste. Nous ne retrouvions là encore dans cette volonté de dépasser les clivages traditionnels. Et il était un élu qui défendait ses positions avec cœur, avec conviction. Dernièrement, vous le savez, il s’était opposé à l’adoption du drapeau régional Lo Maheveli, au sens péjoratif en malgache. Comme il s’était aussi opposé à la transformation du lieu de mémoire qu’est la prison Juliette Dodu. En accord ou opposé à ses positions, chacun lui reconnaissait de les défendre sans parti pris, mais avec passion.
Toutes ces vies, toutes ces qualités ne peuvent, seules, expliquer l’émotion qui a saisi toute La Réunion à l’annonce de sa disparition, et qui fait qu’aujourd’hui nous sommes si nombreux ici, à lui rendre un dernier hommage. Si La Réunion pleure, c’est que Sudel fut avant tout un Réunionnais, un Réunionnais habité par la joie de vivre, un Réunionnais animé de passions. C’est pour cela qu’il était aimé de tous ; sa chaleur, son entrain étaient communicatifs ; ses talents admirés.
Mais sa simplicité était peut-être plus encore ce qui marquait ceux qui le rencontraient : qu’importent les honneurs, il était toujours resté le même, capable d’apprécier un carri tangue ou un carri poulet, dégusté entre amis ; d’arpenter les sentiers des Hauts comme les classements des Archives ; de vous prendre dans ses bras comme si vous étiez ami depuis 40 ans alors même que vous le voyiez pour la première fois ; et de vous expliquer l’Histoire et vous faire partager ses combats en véritable passionné qu’il était mais sans jamais faire preuve de condescendance.
La passion, je crois en réalité que c’est le maître mot de la vie de Sudel Fuma. Passion de La Réunion, celle des Hauts qui a abrité le marronnage, comme celle des Bas et de l’océan. Il ne vivait pas à La Réunion, Sudel : il vivait La Réunion et La Réunion vivait en lui. Elle battait au fond de lui, c’est elle qui animait son cœur, ses muscles, ses poumons.
« La passion, c’est moi et c’est plus fort que moi », disait Alain. Ce pourrait être une belle épitaphe pour Sudel, mon ami. Il m’avait invitée à l’accompagner lors d’une de ses sorties en bateau, où la pêche ne servait que de prétexte à tutoyer la mer et à méditer devant cette belle immensité. Malheureusement, ta passion, a été plus forte que toi, Sudel, et elle t’a emporté avant que tu puisses me la faire partager.
Pour l’un de tes travaux sur le marronage, tu avais repris une belle expression de Hubert Gerbeau, parlant d’ « histoire du silence ». Te voilà désormais entré dans le silence de l’histoire. Mais compte sur moi, compte sur nous, pour que ton œuvre soit prolongée ; compte sur nous pour que tes travaux se poursuivent, et tes projets aboutissent ; compte sur nous, sur ceux qui sont là ce matin comme sur ceux qui n’ont pas pu venir, pour que La Réunion que tu aimais tant et qui t’aimait tant continue à grandir !"
Sudel Fuma est décédé le 12 juillet 2014. La commission permanente avait décidé le 23 juillet 2014 de donner son nom aux archives départementales.
"C’est avec une grande émotion que je prends la parole devant vous aujourd’hui, alors que nous rendons un dernier hommage à Sudel Fuma, athlète, historien, universitaire, ancien conseiller général et conseiller municipal, mais qui était avant tout un mari, un père, et pour moi un ami, un GRAND ami.
Sa disparition subite nous a tous émus. Les hommages ont afflué, venant du monde politique, du monde associatif, du monde culturel, du monde universitaire… Tous vous expriment leur soutien, à vous sa famille, à ses enfants, Ryan et Morine.
C’est aussi à vous que je pensais quand j’ai appris la dramatique nouvelle, ou quand je travaillais sur ces quelques mots que l’on m’avait demandés de prononcer devant vous et devant cette assistance, venue si nombreuse dire un dernier « adieu » à celui qui fut votre mari et votre père. Car comment pourrais-je parler du Sudel que j’ai connu sans d’abord penser à vous, qui étiez ses piliers, sa colonne vertébrale ?
Notre peine est immense, elle n’est rien comparée à la vôtre, et je vous redis du fond de moi ma compassion et mon soutien. J’ai aussi, permettez le moi, une pensée émue pour Jacky Suzanne, ce Saint-Paulois disparu en même temps que Sudel, car je sais que la peine de sa famille est tout aussi grande et qu’elle aussi a besoin de ce soutien.
Sportif, universitaire, historien, acteur culturel, militant associatif, homme politique, comme d’autres l’ont dit et le diront après moi : Sudel fut tout cela, et plus encore.
C’est d’abord comme sportif que Sudel s’illustra. Alors étudiant, il décida de s’essayer au karaté. Commencer une telle discipline à 21 ans n’est pas chose facile. Mais déjà Sudel Fuma faisait preuve de la volonté et de l’ambition qui toujours l’animeront, puisqu’il décrochera la ceinture noire !
Il sera aussi athlète, champion sur le 800 m, représentant La Réunion aux premiers Jeux de l’Ile de l’Océan Indien de l’histoire, en 1979.
Parallèlement, il poursuit ses études universitaires après avoir obtenu sa licence d’histoire à la faculté d’Aix-en-Provence, un autre point commun avec moi.
Il va alors consacrer sa vie universitaire à travailler sur l’esclavage à La Réunion.
C’est lui qui, le premier, défricha les archives, elles qui dormaient poussiéreuses sur les rayons mais aussi dans nos esprits.
Ses travaux portèrent notamment sur le marronnage, célébrant ainsi, à sa manière, la révolte et l’esprit de liberté de ces esclaves, dont il était lui-même l’un des descendants. Il fut d’ailleurs à l’origine de la reconnaissance des révoltes des esclaves, à Saint-Leu mais aussi à Saint-Denis où furent érigés des monuments pour rendre hommage à ces hommes et ces femmes que l’on pensait brisés sous le joug mais aux âmes plus fortes que le chabouk des maîtres.
Redonner à l’identité réunionnaise ses lettres de noblesse ; redonner aussi un nom, une vie, à ces hommes et ces femmes arrachés de leur terre, de leur famille ; nous redonner à nous des racines, et des racines dont nous puissions être fiers : c’était ça aussi, l’œuvre de Sudel Fuma. Comment ne pas adhérer à cette juste cause ?
Surtout quand c’est un homme aussi passionné que lui qui vous la présente ?
C’est ainsi que le Conseil général a été l’un des ses partenaires dans son projet de « Route des esclaves et des engagés », qui l’a mené aux origines du peuplement de La Réunion. Car pour lui, comme pour moi, cette route n’était pas finie. Installer des portes ne signifie rien si c’est pour qu’elles restent fermées ! Et c’était ça que voulait montrer Sudel Fuma : ces portes attestent que notre identité réunionnaise est plurielle et unique ; elles symbolisent aussi la communauté d’hommes unis dans une communauté de destin que nous formons avec les îles de l’océan Indien comme avec les pays du second cercle, la Chine, l’Inde, le Mozambique…
S
udel Fuma, c’est le combattant de toutes les libertés, celui que l’on retrouve aux côtés de tous les opprimés, aux côtés de tous les oubliés de l’Histoire. C’est lui qui, le premier, a rejoint le juste combat des Exilés de la Creuse, ces Réunionnais déportés qui avaient sombré dans l’anonymat. C’est grâce à lui que leur drame a été connu du grand public, grâce à lui que l’action des associations a été légitimée. Je me rappelle encore avec quelle émotion, avec quelle rage positive, il me parlait de ces drames humains, ignorés. C’est ainsi que je me suis retrouvée, moi aussi, à les soutenir dans leur combat pour leur reconnaissance. Et je me souviens de ce jour empli d’émotion où, avec les associations, avec l’artiste Nelson Boyer, et avec évidemment Sudel, nous avons érigé l’œuvre en souvenir de ces drames devant l’aéroport Roland Garros.
Que Sudel s’engage en politique, au sens noble du terme, était donc logique, de même qu’il était logique que son engagement soit un engagement de conviction, et non pas de parti. Il me disait encore récemment, que plus les années passaient, plus il réalisait n’être ni de droite ni de gauche, mais être seulement un Réunionnais progressiste. Nous ne retrouvions là encore dans cette volonté de dépasser les clivages traditionnels. Et il était un élu qui défendait ses positions avec cœur, avec conviction. Dernièrement, vous le savez, il s’était opposé à l’adoption du drapeau régional Lo Maheveli, au sens péjoratif en malgache. Comme il s’était aussi opposé à la transformation du lieu de mémoire qu’est la prison Juliette Dodu. En accord ou opposé à ses positions, chacun lui reconnaissait de les défendre sans parti pris, mais avec passion.
Toutes ces vies, toutes ces qualités ne peuvent, seules, expliquer l’émotion qui a saisi toute La Réunion à l’annonce de sa disparition, et qui fait qu’aujourd’hui nous sommes si nombreux ici, à lui rendre un dernier hommage. Si La Réunion pleure, c’est que Sudel fut avant tout un Réunionnais, un Réunionnais habité par la joie de vivre, un Réunionnais animé de passions. C’est pour cela qu’il était aimé de tous ; sa chaleur, son entrain étaient communicatifs ; ses talents admirés.
Mais sa simplicité était peut-être plus encore ce qui marquait ceux qui le rencontraient : qu’importent les honneurs, il était toujours resté le même, capable d’apprécier un carri tangue ou un carri poulet, dégusté entre amis ; d’arpenter les sentiers des Hauts comme les classements des Archives ; de vous prendre dans ses bras comme si vous étiez ami depuis 40 ans alors même que vous le voyiez pour la première fois ; et de vous expliquer l’Histoire et vous faire partager ses combats en véritable passionné qu’il était mais sans jamais faire preuve de condescendance.
La passion, je crois en réalité que c’est le maître mot de la vie de Sudel Fuma. Passion de La Réunion, celle des Hauts qui a abrité le marronnage, comme celle des Bas et de l’océan. Il ne vivait pas à La Réunion, Sudel : il vivait La Réunion et La Réunion vivait en lui. Elle battait au fond de lui, c’est elle qui animait son cœur, ses muscles, ses poumons.
« La passion, c’est moi et c’est plus fort que moi », disait Alain. Ce pourrait être une belle épitaphe pour Sudel, mon ami. Il m’avait invitée à l’accompagner lors d’une de ses sorties en bateau, où la pêche ne servait que de prétexte à tutoyer la mer et à méditer devant cette belle immensité. Malheureusement, ta passion, a été plus forte que toi, Sudel, et elle t’a emporté avant que tu puisses me la faire partager.
Pour l’un de tes travaux sur le marronage, tu avais repris une belle expression de Hubert Gerbeau, parlant d’ « histoire du silence ». Te voilà désormais entré dans le silence de l’histoire. Mais compte sur moi, compte sur nous, pour que ton œuvre soit prolongée ; compte sur nous pour que tes travaux se poursuivent, et tes projets aboutissent ; compte sur nous, sur ceux qui sont là ce matin comme sur ceux qui n’ont pas pu venir, pour que La Réunion que tu aimais tant et qui t’aimait tant continue à grandir !"
Sudel Fuma est décédé le 12 juillet 2014. La commission permanente avait décidé le 23 juillet 2014 de donner son nom aux archives départementales.