Ce week-end encore, des violences urbaines ont continué à agiter les nuits à La Réunion. La nuit de dimanche à lundi, si la situation s'est quelque peu calmée globalement, plusieurs faits ont encore été constatés dans certains quartiers, à Saint-Denis notamment.
"Cinq ou six interventions ont été constatées sur le Tampon, Saint-Paul, Saint-Benoît ou Sainte-Marie, mais on peut considérer que cette nuit ça a été un retour au calme"
Général Pierre Poty, commandant de la gendarmerie de La Réunion
"Des jeunes extrêmement mobiles"
Les précédentes nuits ont néanmoins été "très intenses", relève le général Pierre Poty. Notamment en raison de la mobilité des individus sur le terrain, note le commandant de gendarmerie. "Ce sont des jeunes qui sont extrêmement mobiles et qui jouent un peu au chat et à la souris avec les gendarmes sur le terrain", dit-il. Il mentionne également une tentative d'attaque au cocktail molotov contre la police municipale à Saint-Louis, la dispersion de jeunes en pleine préparation de cocktails molotov...
22 mineurs dont neuf de moins de 16 ans
Ainsi, depuis la nuit de jeudi et vendredi, ce sont 32 personnes qui ont été placées en garde à vue rien que sur le territoire du ressort du tribunal judiciaire de Saint-Denis, dans le cadre de ces violences urbaines. Le parquet relève que parmi ces gardés à vue, on compte 22 mineurs, dont neuf sont même âgés de moins de 16 ans.
Des violences sur fonctionnaires de police, dégrations de biens...
De très jeunes individus à qui on reproche principalement des participations à un groupement formé en vue de commettre des violences et dégradations, des violences sur personnes dépositaires de l'autorité publique, des violences sur fonctionnaires de police avec arme par destination, des dégradations de biens privés et bien publics, ou encore la fabrication, la détention ou le transport d'engins explosifs ou incendiaires...
Quelles suites judiciaires pour ces mineurs ?
Selon le point du parquet, à ce jour, six mis en cause dont cinq mineurs ont été remis en liberté sans poursuites, les charges relevées apparaissant comme insuffisantes. Deux mineurs ont fait l'objet d'une mesure alternative de réparation, confiée à la protection judiciaire de la jeunesse, deux autres ont été présentés devant le juge des enfants... et dix autres convoqués à bref délai devant le juge des enfants pour une audience culpabilité. Enfin, quatre gardes à vue sont encore en cours concernant trois mineurs.
"Des gamins de parfois 12 ou 13 ans"
Cette énorme proportion de mineurs parmi les personnes placées en garde à vue dans le cadre des violences urbaines de ces derniers jours corrobore le constat du général Pierre Poty, invité de la matinale de Réunion La 1ère ce lundi, lorsqu'il évoquait la principale difficulté des gendarmes lors de ces interventions.
"C'est la mobilité de l'adversaire qui nous pose problème. On est souvent sur des jeunes, très jeunes. Je suis toujours très surpris que des parents laissent des gamins de parfois 12 ou 13 ans dehors à 23h ou minuit pour venir harceler les forces de l'ordre, c'est toujours un grand étonnement pour moi malgré mes 35 ans de service"
Général Pierre Poty, commandant de la gendarmerie de La Réunion
La responsabilité des parents pointée du doigt
Il faut dire que depuis que les tensions survenues suite à la mort du jeune Nahel, mardi dernier, la présence de très jeunes individus parmi les fauteurs de trouble interroge. Plusieurs pointent du doigt la responsabilité des parents, à l'instar du garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti qui il y a quelques jours appelait les familles à "tenir leurs enfants". "Nous exigeons qu’ils tiennent leurs enfants. Il n’est pas normal que des enfants traînent dans les rues pour aller piller des magasins", disait-il, rappelant que les parents pouvaient être poursuivis et risquer jusqu'à deux ans d'emprisonnement pour défaillance dans l'éducation ou la sécurité de leur enfant.
Des parents entendus et convoqués
Effectivement, le parquet de Saint-Denis souligne ce lundi que "tous les parents des mineurs placés en garde à vue ont été entendus sur l'infraction de soustraction par un parent à ses obligations légales compromettant la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant". Aussi, des convocations devant le délégué du procureur en vue d'un avertissement pénal probabatoire ont été délivrées, leur signifiant qu'ils risquent jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.
"Les parents sont responsables de l'enfant mineur. (...) Si le mineur a commis des dégradations et qu'il est interpellé, ce sont les parents qui vont être financièrement responsables de ces dégradations", ajoute quant à lui le commandant de la gendarmerie de La Réunion.
"C'est le fait d'une minorité"
Dimanche, le préfet de La Réunion Jérôme Filippini a lui aussi lancé un appel à la responsabilité des parents. Un appel "entendu", selon le général Pierre Poty. "On est sur une décrue des événements. Il faut rappeler que c'est le fait d'une minorité, et une immense majorité inspire à vivre tranquillement et dans la paix".
"Il y a des situations de détresse importantes dans certaines familles"
Le chef de la gendarmerie, s'il reconnaît bien entendu que les parents ont une responsabilité engagée dans les actes de leurs enfants, tient aussi à souligner qu'il faut aussi "regarder ça avec un peu de recul".
"Souvent on a des familles monoparentales, avec des mamans toutes seules et en difficulté avec la gestion de leurs enfants. (...) Ce n'est pas aussi simple qu'on peut le présenter parfois, il y a des situations de détresse importantes dans certaines familles, c'est la réalité. Bien entendu il y a la responsabilité des parents, mais il faut regarder ça avec un peu de recul"
Général Pierre Poty, commandant de gendarmerie de La Réunion
Regardez le reportage de Réunion La 1ère :
"Quand la misère se fédère, elle peut devenir une arme terrible"
Cette détresse dans les quartiers, Renaldo Monserrat la constate depuis des années à La Réunion. Le président-fondateur de l'association An Gren Koulèr qui "lutte contre la misère et vise à responsabiliser les habitants, créer du lien social et lutter contre la marginalisation" au Port, voit des familles "lutter contre les problèmes qui entravent leur vie".
"Il y a une colère latente dans les quartiers, souvent individuelle : on gère ses misères, ses difficultés comme on peut, et quand cette misère elle se fédère, ça peut devenir une arme terrible"
Renaldo Monserrat, président-fondateur de l'association An Gren Koulèr
"Créer des activités qui responsabilisent"
Pour ce responsable associatif engagé depuis des décennies, une des pistes à explorer, en dehors de la création de lien social, est la "création d'emplois et d'activité économique sur les quartiers".
"Il faut qu'on crée des activités qui responsabilisent les personnes et les rendent fières d'elles-mêmes. Rentrer avec un salaire, un réseau d'amis qu'on s'est fait au travail, un accompagnement social...", souligne Renaldo Montserrat, rappelant qu'à une certaine époque, des dispositifs comme les emplois jeunes permettaient de "maintenir une parole libre et positive dans les quartiers".
"Il y a des mères de famille qui essaient de gérer le quotidien dans des quartiers en grande difficulté, avec l'influence commerciale, l'endettement des familles... Il y a tout ça qui entre en jeu, il faut se battre au quotidien"
Renaldo Montserrat, An Grèn Koulèr
Difficile de "maintenir les jeunes à la maison"
Le responsable d'association, qui intervient dans les quartiers du Port, fait aussi le constat de la difficulté aujourd'hui de "maintenir les jeunes à la maison" et de "les sortir de la consommation". "Les ados sont très difficiles à mobiliser actuellement, et ça concerne les familles riches comme les familles pauvres", achève-t-il.
"Des jeunes qui lancent un cri d'alerte"
Et qu'en pensent les mamans elles-mêmes ? Au Port, Anyichan, maman de deux enfants, souligne qu'"on ne règle pas forcément les problèmes avec les émeutes", parce que ce faisant, "on montre qu'on est faibles". Pour autant, sans nier la responsabilité des parents, elle voit aussi dans ces violences "des jeunes qui lancent un cri d'alerte". "Il ne faut pas tenir rigueur à ces enfants-là parce que c'est un moyen pour eux de se faire entendre et comprendre", estime-t-elle.
Des parents qui "n'en peuvent plus non plus"
Plus loin, Marie-Solange, maman de trois enfants entre 20 et 32 ans, évoque des jeunes qui "se sentent laissés de côté, livrés à eux-mêmes" et dont les "parents ne peuvent pas faire grand-chose non plus".
"Leurs parents n'en peuvent plus non plus. Nous on élève bien nos enfants, mais dans la rue avec les autres on ne sait pas ce qu'il se passe entre eux."
Marie-Solange, maman
Une mentalité différente à La Réunion ?
Tout comme Marie-Solange, Brigitte, elle aussi maman de trois enfants entre 29 et 34 ans, estime que le point noir c'est "l'entraînement" des autres. "Il y a des parents qui assument leurs responsabilités, mais le problème c'est l'entraînement : les enfants ont tendance à écouter d'autres personnes", dit-elle.
Brigitte veut aussi croire que la mentalité des jeunes à La Réunion est "différente" de celle de leurs pairs en métropole.
"Les jeunes à La Réunion ne sont pas si mauvais que ça, ils ont envie de montrer qu'ils sont capables de faire des choses aussi, il faut leur donner l'occasion d'avoir des choix dans la vie. On n'a pas cette même mentalité qu'en métropole, il ne faut pas que les jeunes prennent les mêmes habitudes, les mêmes dérives".
Brigitte, maman de trois enfants