Y a-t-il eu un pacte de trafic d'influence autour des travaux d'extension du centre commercial Cap Sacré-Cœur entre un représentant du groupe Casino et la mairie du Port ? C'est ce que vont devoir déterminer les juges au terme du procès qui s'ouvre ce mercredi 13 novembre et pour trois jours devant le tribunal correctionnel de Saint-Denis.
Cinq prévenus à la barre
Après presque cinq ans d'enquête et d'instruction, sont renvoyés à la barre : le maire du Port Olivier Hoarau, son directeur de cabinet Bernard Payet, l'ancien premier adjoint Fayzal Ahmed-Vali et son épouse, ainsi qu'un représentant du groupe Casino.
Poursuivi pour corruption active, ce dernier est soupçonné d'avoir, au travers de conventions de partenariat signées entre 2014 et 2019 avec des associations communales, versé pour 400 000 euros de subventions afin d'inciter la mairie du Port à faciliter le projet d'agrandissement du centre commercial du Sacré-Coeur.
Une extension contestée
En 2014, le groupe Casino souhaite procéder à l'extension du centre commercial du Cap Sacré-Cœur, sur la commune du Port. Or, le maire nouvellement élu Olivier Hoarau vient de faire campagne en faveur de la "redynamisation du centre-ville". Il soutient en ce sens les commerçants portois, farouchement opposés à l'agrandissement du centre commercial et qui ont déposé un recours sur le sujet devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Peu de temps après son élection en mai 2014, Olivier Hoarau change de position, se disant désormais favorable au projet. L'association des commerçants du Port (ACP) va, elle, se désister de son recours quelques mois plus tard. Et en décembre 2015, les terrains visés par Casino, déclassés par la mairie, sont cédés au groupe de grande distribution.
Mouvements financiers suspects
En octobre 2019, le procureur de la République de Saint-Denis est destinataire d'un signalement Tracfin portant sur des mouvements bancaires suspects entre le maire du Port, son premier adjoint Fayzal Ahmed-Vali et l'épouse de ce dernier.
Des chèques et des dépôts d'espèces pour plusieurs dizaines de milliers d'euros, provenant des comptes d'associations portoises, sont encaissés sur les comptes du couple, qui verse par ailleurs de l'argent à Olivier Hoarau par chèques. Une enquête est ouverte pour corruption et confiée à la Sûreté départementale, les domiciles des mis en cause et la mairie sont perquisitionnés.
Des conventions de "sponsoring" dans le viseur
Les investigations permettent d'établir des liens entre Eric Heinz, représentant du groupe Casino à La Réunion, et Fayzal Ahmed-Vali, qui est aussi l'ancien président de l'ACP. Le premier va signer des "conventions de partenariat" ou de "sponsoring" avec plusieurs associations de la ville.
Certaines sont bien connues, comme l'AS Jeanne-d'Arc, le club de foot de la ville, qui traverse une mauvaise passe financière ou l'ACP, où Fayzak Ahled Vali joue toujours un rôle important. D'autres, comme l'association Sirandane ou Musculation Le Port, sont en sommeil depuis années.
Entre 2015 et 2018, ces associations vont recevoir pour 400 000 euros de subventions de la part de filiales du groupe Casino, par l'intermédiaire d'Eric Heinz. Pour le groupe, il s'agit "de participer à la vie locale."
Mais des sommes transitent ensuite entre ces associations et les comptes du couple Ahmed-Vali.
"Kilos de mangues et de letchis"
Problème : ce même couple transfère de l'argent régulièrement vers les comptes d'Olivier Hoarau. Et l'exploitation des lignes téléphoniques du maire et de ses proches va faire remonter des SMS pour le moins douteux.
Il y est question de "kilos de mangues" ou de "kilos de letchis" à remettre. "Que les letchis soient livrés avant le 31 décembre", écrit le maire à son adjoint. Qui le texte un autre jour : "Je remets à Bernard 1 kg de mangue ce matin."
Au fil des investigations, certains des mis en cause reconnaissent qu'il s'agissait bien de milliers d'euros auxquels il est fait allusion dans ces textos, et non pas de kilos de fruits.
Le maire évoque des emprunts personnels
Mis en examen en février 2021, Olivier Hoarau conteste tout fait de trafic d'influence. Il justifie les sommes versées de 2016 à 2019 sur son compte par les époux Ahmed-Vali, 54 300 euros au total, comme "des prêts" alors qu'il connaissait "des difficultés financières."
En outre, il assure que le projet d'extension du Cap Sacré-Coeur était déjà trop avancé par la précédente majorité pour qu'il puisse s'y opposer.
Bernard Payet, son directeur de cabinet décrit comme "le maire de fait, qui gère tout jusqu'aux propres discours du maire" et qui échangeait régulièrement avec Eric Heinz, nie également tout pacte d'influence, d'autant qu'aucun mouvement d'argent suspect n'a été repéré ses comptes.
"Naïveté"
Fayzal Ahmed-Vali aura lui bien du mal à justifier certains flux financiers, évoquant parfois "l'achat de matériel de musculation" pour une association ou "l'organisation d'un voyage en Chine", mais nie toute corruption. Si l'ACP a retiré son recours, dit-il, "c'est parce que Casino s'est engagé à soutenir la rénovation du Grand Marché", autre projet-phare de la commune pour le centre-ville.
Quant à Eric Heinz, il invoque "la naïveté", en expliquant ne pas s'être "renseigné plus avant" sur l'activité réelle ou fictive des associations qu'il subventionnait.
"Existence d'un montage pour attribuer des fonds"
Mais pour le juge d'instruction, l'enquête a bien révélé, en dépit d'un certain "amateurisme" des protagonistes, "l'existence d'un montage pour attribuer des fonds en contrepartie de la réalisation de l'extension du centre commercial." Et qu'Olivier Hoarau y a joué en rôle en "abusant de son influence au sein de l'équipe municipale pour obtenir les décisions favorables nécessaires", notamment la vente des parcelles déclassées et l'obtention du permis de construire.
Dix ans de prison encourus
Pour les faits de trafic d'influence par personne exerçant un mandat électif ou une mission de service public, Olivier Hoarau, Bernard Payet et Fayzal Ahmed-Vali encourent dix ans d'emprisonnement et une amende d'un million d'euros. Pour les faits de corruption, Eric Heinz risque la même peine.
Mais en tant qu'élus, Olivier Hoarau et Fayzal Ahmed-Vali encourent une peine complémentaire d'inéligibilité de dix ans.