Dans le rucher de Nicolas Montauban, dans les hauts de La Possession, le cyclone Belal a laissé des traces. Ici, quatre de ses ruches ont fini au sol sous la force du vent, malgré un poids relativement élevé en pleine miellée.
Alors depuis quelques jours, il est "en mode bricolage", dit-il, afin de procéder aux réparations ici et là. Pierres artificielles, système de sangles pour éviter qu'elles s'envolent... L'apiculteur a dû ruser et s'adapter en prévision de futurs cyclones.
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Faible activité dans les ruches
Au-delà des pertes matérielles, Nicolas Montauban a également vu disparaître "pas mal d'abeilles qui sont mortes", d'autres sont "très mal en point". "L'activité est faible, il y a peu d'abeilles qui entrent et sortent. (...) Vue la période, on aurait dû avoir des cellules pleines de larves destinées à devenir les futures ouvrières", constate-t-il en observant ses ruches.
"Il y avait de l'activité sur ce rucher avant le cyclone : on est passés huit cadres remplis de miel à seulement deux ou trois. Là quand on ouvre les hausses, elles sont vides. Les abeilles ont arrêté le travail de butinage et se concentrent sur la survie de la colonie."
Nicolas Montauban, apiculteur
Préparer la miellée de baie rose
Cette semaine, il s'agit donc de retaper ruches et colonies pour préparer la miellée de baie rose, sur les mois de mars et d'avril. Si celle-ci est cruciale, c'est qu'à l'échelle de la production péi, la miellée de baie rose représente la moitié de la récolte annuelle : environ 150 tonnes sur les 300 tonnes produites chaque année à La Réunion.
Pénurie de nectar dans la nature
Pour remettre sur pied les ruches, l'apiculteur s'arme de patience et observe la nature en souhaitant que les arbres puissent se remettre rapidement du cyclone, et refleurir. Car actuellement, les abeilles ont du mal à trouver de la nourriture dans la nature. "La pluie a lavé les plantes et cassé pas mal de branchages, ça entraîne une pénurie de nectar", explique Nicolas Montauban, qui croise les doigts en attendant une floraison providentielle.
"On a une dynamique cassée au niveau des ruches, alors que c'est à partir de cette période là qu'on prépare les ruches pour la miellée de baie rose. Il faut qu'elles soient nourries correctement, qu'elles se développent"
Nicolas Montauban, apiculteur
Un nourrissage artificiel pour maintenir les colonies
Alors en attendant, il est obligé de subvenir temporairement aux besoins de ses butineuses en les nourrissant lui-même d'un mélange semblale au nectar, composé d'eau, de miel, et d'hydrolat de géranium "pour apporter des éléments nutritifs". Une pratique qu'il limite au strict nécessaire, car il veut éviter au maximum d'impacter ce qui sera produit. "Tout ce qu'on leur donne se retrouvera dans le miel", explique l'apiculteur.
"En les nourrissant, on essaie de suppléer l'alimentation qui est en carence au niveau de la nature pour maintenir la survie de l'abeille et espérer avoir des colonies assez costaudes pour la miellée de baie rose".
Nicolas Montauban, apiculteur
Trouver le bon équilibre entre les populations d'abeilles et la floraison à venir
S'il reste modéré dans cette préparation artificielle des abeilles, c'est aussi parce que point trop n'en faut : il faut trouver le bon équilibre et "ne pas fausser la donne", souligne-t-il. "Si la miellée n'est pas au rendez-vous, on aura une ruche prête, énormément d'abeilles, mais pas assez de nourriture dans la nature. Il faut être attentif à la nature et être patient", justifie l'apiculteur. Sans oublier que ce nourrissage représente un coût supplémentaire pour les apiculteurs.
Les mâles parfois chassés
Quoi qu'il en soit, les abeilles elles-même ont entamé une régulation de leur population, face au manque de nectar. "S'il n'y a pas de nourriture, l'abeille va réduire elle-même sa ponte pour équilibrer les besoins", renseigne Nicolas Montauban. Non seulement elles régulent les naissances, mais elles suppriment aussi les bouches à nourrir lorsque les temps sont durs... en éliminant les mâles sur certains ruchers, soit en les expulsant, soit en les tuant.
Ceux-ci jouent bien un rôle de thermorégulation de la ruche et de fécondation de la ruche, mais lorsqu'il s'agit de survivre à une période difficile, les ouvrières vont réorganiser leur activité. "Quand on ouvre la ruche, on voit les mâles en train d'être attaqués par les ouvrières", poursuit l'apiculteur en montrant les cadavres d'insectes mâles qui gisent autour de certaines ruches.
Des pertes plus ou moins importantes selon les régions
Nicolas Montauban, qui a disséminé ses ruches à dix endroits différents sur toute l'île, attend de voir les prochaines semaines pour se prononcer sur l'impact que Belal aura eu sur sa production. Toujours est-il que certaines zones s'annoncent moins prolifiques que d'autres, assure-t-il.
"Sur les zones vers l'Etang-Salé, c'est encore possible de faire une miellée. Sur le Nord, ça va être difficile vu l'état de la végétation. A partir de mars, avril, on pourra faire le bilan", précise-t-il. A Dos d'Âne en revanche, là où ses ruches ont subi le plus de dégâts, "le temps de remonter les colonies qui étaient au sol, l'année est perdue".
440 ruches décimées sur l'île
Une réunion était organisée ce mardi 23 janvier à la Chambre d'Agriculture pour évaluer les pertes mais aussi les besoins de la filière après le passage de Belal. Sur l'ensemble de l'île, d'après les chiffres de Dominick Cerveaux, le président de l'Association pour le développement de l'apiculture à La Réunion (ADA), 440 ruches ont été "complètement décimées" pendant le cyclone, représentant une perte de 10 tonnes de miel selon les estimations. 97% du miel de forêt est d'ores et déjà perdu, précise-t-il.
Désormais, l'attention est tournée vers la miellée de baie rose, qui représente la moitié de la production locale annuelle. Mais avec autant de ruches détruites, le président de l'ADA estime déjà qu'"entre 30 et 60% est perdue complètement".
En effet, chaque ruche produit en moyenne neuf kilos de miel. Un poids qui peut même doubler lorsque la miellée est très bonne.