Inceste et violences sexuelles : une commission indépendante est à La Réunion pour entendre les victimes

Réunion publique de la Civiise le mardi 27 juin 2023 à Saint-Denis.
La Ciivise, Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles est arrivée à La Réunion pour recueillir les paroles des victimes. Deux réunions publiques sont organisées à Saint-Denis ce mardi 27 juin, et à Saint-Pierre, mercredi.

Chaque année, en France, 160 000 enfants subissent des violences sexuelles, et notamment l'inceste, selon la Ciivise. Ce mardi 27 juin, cette Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants entame une visite de deux jours à La Réunion.

Recueillir des témoignages

"La Ciivise a deux missions centrales, explique Edouard Durand, son co-président, invité de Réunion La 1ère, ce mardi matin. La première est de recueillir les témoignages des femmes et des hommes qui ont été victimes de violences sexuelles et notamment d’inceste dans leur enfance. La seconde est de forcer la culture de la protection, évaluer les politiques publiques, et faire des préconisations de politiques publiques".

Deux réunions publiques

Deux réunions publiques sont organisées à l’Université à Saint-Denis ce mardi 27 juin, et à Saint-Pierre, demain, mercredi 28 juin.

Depuis septembre 2021, la Commission recueille la parole des victimes dans toute la France et se déplace à la demande des associations locales pour se "rendre compte de la situation".

Le reportage de Réunion La 1ère :

Des victimes d'inceste ont livré des témoignages poignants lors de la réunion publique de la Ciivise ce mardi. Un espace de parole libre plus que nécessaire.

Une maman de victime témoigne

Parmi les participants à la réunion publique de ce mardi après-midi, Désirée. Si elle-même n'a pas subi de violences sexuelles, c'est une de ses filles qui a été violée par un proche il y a deux ans, alors qu'elle était âgée de 7 ans. Quelques semaines après les faits, sans se douter de rien, c'est de la bouche du directeur de l'établissement qu'elle a appris les faits. "Ma fille a parlé avec son professeur et lui a dit que pendant les dernières vacances elle aurait subi des attouchements voire plus. J'avais du mal à y croire", explique-t-elle. "Ça a fait un grand trou noir". 

"Les problèmes c'est pas pour toi, c'est pour lui"

Après discussion avec sa fille, celle-ci lui dira qu'elle avait "peur de sa réaction". "Elle m'a raconté petit à petit ce qu'il lui avait fait, le chantage qu'il lui a fait", poursuit Désirée. Sa fille craignait en effet les menaces de son agresseur, qui lui disait que si elle en parlait, elle aurait "beaucoup de problèmes". "Je lui ai dit non, les problèmes c'est pas pour toi, mais c'est pour lui", achève cette maman émue. 

Un manque de suivi psycho-traumatique 

Ce traumatisme est aujourd'hui toujours bien présent dans la ville de cette famille mono-parentale. Désirée a trouvé de l'aide au sein de l'association "Ecoute-moi, protège-moi, aide-moi", et le groupe de soutien MeTooInceste974.

En revanche, cette maman regrette le manque de suivi des victimes, que ce soit pour les enfants ou pour leur famille. "Et le suivi il est où ? Le psycho-trauma mi vit le mien, sak de mes enfants. Parce que na des répercussions su les enfants" raconte celle qui a vu le comportement de ses filles changer après ces faits de violence. Sa fille n'aurait pu bénéficier que de trois rendez-vous au Centre médico-psychologique de l'enfant et de l'adolescent, après le viol qu'elle a subi. "Sans soigner le psycho-trauma de l'enfant, le reste i sert à rien", achève Désirée.

"La Civiise, un espace de solidarité et de reconnaissance" 

"La Ciivise n’est pas un tribunal, n’est pas un service de soin, n’est pas un service thérapeutique, c’est un espace de solidarité et de reconnaissance", assure Edouard Durant, co-président de la Ciivise.

"On a commencé une tournée dans beaucoup de grandes villes de métropole, mais aussi en Martinique, pour aller à la rencontre des personnes qui ont été victimes de ces violences sexuelles, explique Nathalie Mathieu co-présidente de la Ciivise. Pour la réunion publique de Saint-Denis, 90 personnes sont inscrites. Souvent ce sont des personnes qui n’ont jamais eu l’occasion de témoigner devant une instance officielle". 

Regardez son interview sur Réunion La 1ère :

Interview Nathalie Mathieu co-présidente de la Ciivise

"Briser le silence"

Environ 25 000 personnes ont témoigné depuis la création de la Commission en 2021. "Chaque témoignage est unique, chaque voix résonne en nous à la Ciivise comme une exigence et un espoir", assure Edouard Durand, son co-président.

A chaque fois qu’une personne vient confier son témoignage, elle dit "je le fais pour moi, j’en ai besoin, et aussi pour que demain, les enfants ne vivent pas ce que j’ai vécu".

Edouard Durand

Selon Edouard Durand, les "victimes brisent le silence suite à des déclics, des événements qui peuvent être très différent". Il reconnaît que le livre de Camille Kouchner, "La Familia Grande" a eu un "impact important dans la société". Publié il y a un an, ce livre révèle des accusations de d’incestes dans cette famille. L’auteure analyse le silence qui entoure ce crime.

"On est très attendu par les victimes, car souvent elles ont essayé de parler mais n’ont pas été entendues", remarque Nathalie Mathieu, co-présidente de la Ciivise. 

Les enfants essaient toujours de parler par les paroles ou les actions, comme des troubles du comportement, des troubles alimentaires, des conduites à risques.. Souvent ces enfants s’expriment et ont la double peine d’être victime et de ne pas être entendue.

Nathalie Mathieu

"Dans un cas sur trois, l’agresseur est le père"

Edouard Durand, co-président de la Ciivise, rappelle que "dans un cas sur trois, l’agresseur est le père".

Le viol, l’agression sexuelle est toujours une trahison, un vol, une perversion du besoin de sécurité de l’enfant. Quand c’est le père, le grand, le beau-père, l’oncle, c’est la personne qui est censée inspirer la confiance et la sécurité.

Edouard Durand

Selon lui, "la stratégie de l’agresseur et son mode opératoire vient pervertir la loi". "L’une de nos membres dit : l’agresseur remplace l’interdit de la violence par l’interdit de la parole. Il ne faut pas parler", poursuit Edouard Durant.  Les enfants victimes d’inceste se dessinent souvent sans la bouche, car il est interdit de parler.

"Gagner du terrain sur le déni"

Pour son co-président témoignage après témoignage, la Ciivise, aide à "gagner du terrain sur le déni". "L’Histoire de l’inceste et des violences sexuelles sur les enfants, c’est l’histoire d’un déni, poursuit Edouard Durant. La société veut faire comme si ce n’était pas vrai".

Des réunions ouvertes à tous

A La Réunion, ces réunions publiques sont un espace de témoignage, et "il faut courage et dignité pour témoigner". "Tout le monde est le bienvenu, rappelle Edouard Durant. Tout le monde peut venir, prendre la parole ou écouter, expérimenter la solidarité et construire avec nous la culture de la protection".

Prendre au sérieux la parole des enfants

"Nous devons progresser dans la culture de la protection", assure-t-il en rappelant que "73% des plaintes déposées pour des violences sexuelles sur des enfants sont classées sans suite". "Pour éviter ces classements sans suite, les enquêtes doivent être consolidées, explique le co-président de la Ciivise et ancien juge pour enfant.

Notre société doit davantage prendre au sérieux la parole des enfants qui révèlent des violences. Aujourd’hui, 3% des mis en cause pour viol d’enfant sont déclarés coupables.

Edouard Durand

Des soins spécialisés en psycho-trauma

"Pour les personnes qui ont subi ces violences dans l’enfance c’est toujours du présent, ce n’est jamais caché dans le passé, poursuit Edouard Durant. Il y a le présent perpétuel de la souffrance.  C’est de l’aujourd’hui, de la scène traumatique".

La Ciivise préconise pour les victimes un accès à un parcours de soin spécialisé dans le psycho trauma. "La société doit s’organiser pour réparer ce qui a été brisé dans la vie des autres", conclut-il.

A La Réunion, les réunions publiques auront lieu ce mardi à Saint-Denis, à l’université de 14h30 à 16h30, et à Saint-Pierre, amphithéâtre du campus professionnel, de 15h à 17h.