"Une forme d'entre soi", "une gouvernance bicéphale concentrée entre le président du conseil d'administration et la directrice générale", une absence de contre-pouvoir, des "statuts et règlement plus adaptés à la vie économique et sociale de l'association"... Voilà les principaux points soulevés par la Chambre régionale des comptes de La Réunion dans son dernier rapport de l'année, qui s'intéresse à l'Association de soins à domicile à La Réunion (ASDR).
Un chiffre d'affaires qui progresse de 37% en cinq ans
Créée en 1987, cette association à but non lucratif avait surtout pour objectif de développer des méthodes alternatives à la dialyse en centre lourd et à l'hospitalisation. En une trentaine d'années, les choses ont bien évolué : en 2020 l'ASDR, c'est cinq centres de dialyse pour une capacité de 264 patients, et quatre antennes d'hospitalisation à domicile de 210 places, soit des dizaines de milliers de séances ou journées de soins réalisés et facturés.
Ainsi, son offre de soins a progressé de façon remarquable : en 2020, l'association détenait 55% des parts de marché dans l'hospitalisation à domicile, et 20% dans la dialyse. Ces deux secteurs constituent la quasi-totalité du chiffre d'affaires de l'ASDR, de 34,4 millions d'euros en 2020, soit 10 millions d'euros de plus qu'en 2016. En cinq ans, entre 2016 et 2020, le chiffre d'affaires net augmentait de 37%, et progressait encore de 7,2% en 2021. C'est dire la bonne situation financière de l'association, dont les équilibres financiers sont respectés.
"Forte de cette aisance, elle peut conduire une politique généreuse, parfois peu transparente et empreinte de quelques anomalies, au profit de ses 180 salariés et du millier de libéraux conventionnés auxquels elle fait appel pour remplir ses différentes missions"
La Chambre régionale des comptes
Une gouvernance bicéphale sans délégations
Mais voilà, à la tête de cette association florissante mais "fermée", seulement "une dizaine de membres jusqu'à récemment" : ils sont passés de 11 en 2021 à 20 membres en 2022, incluant enfin des usagers et membres de la vie civile.
La CRC qualifie en outre la gouvernance de "bicéphale", partagée entre le président du conseil d'administration et la directrice générale de l'ASDR, sans "délégations en bonne et due forme" ni contrepouvoir des instances collégiales.
La CRC consacre toute une partie de son rapport à la rémunération et au remboursement des frais de missions des administrateurs de ladite "association". Pour des montants qui n'ont rien d'anodin : entre 2016 et 2019 par exemple, le président de l'ASDR et un administrateur ont bénéficié d'un total de 14 896 euros de remboursement de frais de missions, parfois sans justification ni motif. Parmi ces dépenses, la Chambre mentionne par exemple l'achat d'un billet d'avion en classe business à plus de 3 500 euros, pris en charge par l'ASDR... sans que l'objet du déplacement ne soit précisé.
183 salariés en 2020
Au fil des années, la structure qui employait en 2020 183 salariés a accru son activité tout en obtenant des certifications de la Haute autorité de santé. Dernière en date, en septembre 2022, l'ASDR était certifiée niveau 2 "qualité des soins confirmée". Bien que la qualité de soins n'est ici pas remise en cause - encore que, l'ARS n'ayant pas fourni les documents faisant suite aux contrôles ces dernières années -, elle permet à l'ASDR de maintenir une activité concurrentielle à forte profitabilité.
Echec du redressement fiscal
C'est donc sans surprise que la direction spécialisée du contrôle fiscal s'est intéressée il y a quelques années aux exercices 2015-2017 de la structure.
Elle avait alors relevé une "gestion au caractère intéressé au regard de la communauté d'intérêts liant ses membres". Autrement dit, qu'il serait juste d'appliquer à la structure - association à but non lucratif officiellement - la même fiscalité qu'à une entreprise faisant du profit. C'est pourquoi les Finances publiques proposaient que l'ASDR s'acquitte de 840 000 euros d'impôts sur les sociétés, hors pénalités, au titre de l'impôt sur les sociétés pour la période 2015 à 2017. Ce à quoi l'ASDR a répondu par le dépôt d'une "réclamation contentieuse", sans ignorer qu'elle risque un redressement pour les exercices à partir de 2018, note la CRC. Ces comptes ont été publiés
Une rémunération généreuse pour la directrice générale et certains médecins
Au regard de tous ces éléments, le rapport d'observations de la CRC suggère fortement une "réflexion sur l'évolution de ses statuts associatifs et de son modèle économique", puisqu'elle intervient dans un secteur très concurrentiel qui engrange de gros profits. Des profits qui alimentent "une pratique de rémunération généreuse au profit de sa directrice générale et des médecins coordonnateurs", souligne le document, chiffres à l'appui. En 2020, ces trois salaires, les plus élevés de l'exercice cette année-là, se chiffraient à un total de 576 215 euros, soit "plus de 7% de la somme totale des salaires bruts versés en 2020". Le salaire de la directrice générale étant en outre, "bien au-delà du seuil conventionnel" d'après la CRC.
L'ASDR peut aussi se montrer généreuse avec ses autres personnels, qui bénéficient de primes plus ou moins opaques et non conformes. Pour ses néphrologues par exemple : l'un a pu percevoir trois primes à taux plein alors qu'il exerçait à temps partiel, une valorisation de 225 euros pour chacun de ses diplômes, une prime de chef de service et une prime complémentaire ACCA (prime spécifique pour les anciens internes de CHR), le tout sans justification. Plusieurs primes ont ainsi été versées à des médecins unilatéralement, sans avis du conseil d'administration. Enfin la Chambre pointe du doigt des "traitements différentiés et discrétionnaires" quant aux négociations salariales.
Un renforcement de contrôle interne nécessaire
Sans surprise, la Chambre régionale des comptes dans la synthèse de ce rapport d'observations définitives, recommande un renforcement du contrôle interne de l'association, qui vit de prestations au tarif réglementé par l'Assurance maladie. "La recherche de l'optimisation de la facturation, au moyen de l’exhaustivité du codage des actes, pourrait susciter à l’avenir des contrôles plus approfondis de cette administration susceptibles de donner lieu également à des redressements", avertit enfin la Chambre.
Des régularisations en cours sans plus de précisions
L'ASDR a été il y a quelques mois notifiée de ces observations, et a entamé des régularisations quant à son fonctionnement interne, souligne le rapport. L'association a finalement publié ses comptes au journal officiel en juillet 2022, chose qu'elle ne faisait pas auparavant en dépit du code du commerce. Mais là encore, il y a un hic : n'y figuraient pas les revenus des trois plus hauts cadres dirigeants, ni leurs avantages en nature. "À l’issue de l’audition qui s’est déroulée au mois de novembre 2022, l’association s’est engagée à publier des comptes complets dès cette année", écrit la Chambre régionale des comptes.
Pour le reste, l'ASDR s'est "engagée à poursuivre les corrections des points relevés" et a évoqué le recrutement d'un contrôleur de gestion début 2023, sans pour autant apporter plus de précisions.
En dépit de la publication incomplète sur le site du Journal officiel, on peut s'interroger sur les raisons pour lesquelles les salaires des dirigeants de certaines collectivités territoriales, comme la Région, sont publiés et pas ceux des dirigeants de l'association. Y aurait-il des passe-droits pour certaines structures ?