Une "cotisation professionnelle obligatoire", ou CPO, voilà ce que réclame désormais le Comité des pêches de La Réunion aux "premiers acheteurs", c'est-à-dire toutes les entreprises qui s'approvisionnent directement auprès des petits pêcheurs professionnels.
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Une taxe de 250 à 1 830 euros
Récemment, des restaurateurs de l'île ont reçu un document les informant de l'instauration de cette nouvelle taxe, allant de 250 pour les entreprises de moins de 4 salariés au volume d'achat inférieur à 1 tonne par an, et pouvant aller jusqu'à 1 830 euros pour les entreprises de plus de 10 salariés dont le volume d'achat est supérieur à une tonne par an.
Un frein au circuit court ?
Pour les gérants de ces établissements, c'est la douche froide. "Ca va dissuader les restaurateurs d'acheter directement des produits péi ultra-frais directement auprès des pêcheurs professionnels", commente Julien Balbine, chef de cuisine au restaurant Ô Bar à Saint-Denis, qui explique travailler avec beaucoup de poisson frais.
1 000 euros de taxes supplémentaires par an, dans cet établissement
Ce midi, si c'est du calamar qu'il prépare en beignets, toute l'année ses cuisiniers subliement d'autres produits de la mer tels que les crabes, des thons, des daurades, parfois du marlin ou de l'espadon. Chaque année, ce restaurateur transforme "environ 500 à 600 kg sur l'année, pour un montant de 1 500 à 3000 euros d'achat".
Désormais, en tant qu'entreprise de plus de dix salariés avec un volume d'achat de moins d'une tonne de poissons par an, il devra s'acquitter de 1 000 euros supplémentaires au titre de la cotisation professionnelle obligatoire réclamée par le Comité des pêches.
"On va devoir se tourner vers les poissonneries et les GIE"
Pour Julien Balbine le chef de cuisine, la conséquence est inéluctable : "Ca me dissuade totalement d'acheter avec le pêcheur professionnel. Ce n'est plus intéressant pour moi de travailler avec eux, on va devoir se tourner vers les poissonneries et les GIE (groupements d'intérêt économique, ndrl)". Ces dernières s'acquittent déjà de cette taxe depuis 2010.
Des produits moins frais
Mais éviter ce surcoût aura probablement des conséquences sur la qualité des produits servis dans les assiettes. "C'est dommage parce que j'aime beaucoup faire découvrir ces produits à ma clientèle et à mes cuisiniers. Ce sont des produits ultra-frais de moins de 24h que je ne peux pas retrouver ailleurs", achève Julien Balbine, qui considère cette taxe comme un frein à pouvoir travailler avec qui il voudrait.
Grégory Castellanos, patron-pêcheur, confirme aussi que la cotisation professionnelle obligatoire aura un effet sur la qualité des produits.
"Avec cette taxe ils risquent de privilégier un circuit plus long, soit les usiniers et les poissonneries. Nos produits sont de qualité superbe, ils ont généralement moins de 12h. Là, ils auront un produit beaucoup moins frais".
Grégory Castellanos, patron-pêcheur
Les pêcheurs craignent des pertes
Car ces petits pêcheurs professionnels n'en mènent pas large non plus. Cette nouvelle taxe, en menaçant les circuits courts dont ils font partie, aura très certainement des conséquences sur leur activité, craignent-ils.
Car si les restaurateurs, traiteurs à domicile et autres accapareurs qui composent leur clientèle habituelle viennent à les bouder du jour au lendemain pour éviter cette CPO, ils devront se tourner vers les poissonneries et les usiniers, qui eux, leur achètent leur production moins cher.
"On risque de perdre des parts de marché et d'avoir des problèmes pour écouler notre production, en tant que vendeurs directs aux petites unités comme les poissonneries, les chefs à domicile. Au niveau du prix, ça va leur coûter plus cher de prendre du poisson avec les petits artisans. Alors ils risquent de se tourner vers d'autres moyens d'approvisionnement, à savoir les grandes unités"
David Rakotomalala, patron-pêcheur
"On va gagner moins d'argent"
Ainsi, selon à qui ils vendent leur pêche, ces petits pêcheurs pratiquent des prix différents. Le tarif d'un kilo de thon par exemple, peut varier entre 8 à 13 euros.
"Quand on pêche ces poissons-là on aimerait le valoriser le mieux possible, et pour nous cette valorisation est meilleure quand on la vend en circuit ultra-court, directement à un restaurant, un particulier ou un accapareur. Avec ces taxes, on va être obligés de vendre directement en poissonnerie, moins cher, et on va gagner moins d'argent", résume David Rakotomalala, patron-pêcheur.
"J'ai peur que dans le futur on soit obligés de vendre aux poissonneries et aux usiniers, de ne plus avoir le libre choix de nos clients. On est en train de faire tout doucement disparaître la petite pêche professionnelle"
Grégory Castellanos, patron-pêcheur
Pour le Comité des pêches, "un faux débat"
Pour le Comité régional des pêches, il s'agit là d'un faux débat, qui d'ailleurs ne concernerait qu'une quarantaine de restaurateurs pour 2023. "En achetant auprès d'un petit pêcheur en circuit court, le restaurateur gagne entre 5 et 7 euros par kilo de poisson par rapport aux achats qu'il ferait auprès des poissonneries, grossistes ou GIE. C'est-à-dire qu'à partir de 30 kilos de poisson achetés par mois au petit pêcheur, le restaurateur s'y retrouve", avance Ludovic Courtois, le secrétaire général du Comité régional des pêches.
Une taxe prévue par le Code rural et de la pêche maritime
Le Comité se défend aussi d'être à l'origine de cette CPO. "C'est une taxe qui est définie dans le Code rural et de la pêche maritime, appliquée depuis 2010 partout dans le territoire national, et à La Réunion auprès des restaurateurs depuis l'année dernière", poursuit Ludovic Courtois.
Une dette de l'ancienne équipe à combler
Aussi, cette taxe, le Comité des pêches la justifie aussi en pointant du doigt l'ancienne équipe qui, dit-il, a laissé des dettes de plusieurs centaines de milliers d'euros.
"Au moment où nous récupérons le Comité des pêches l'année dernière, dans une situation à la limite de la cessation de paiement, nous ne pouvons pas nous retourner vers nos financeurs publics sans nous-même aller recourir à l'ensemble des moyens qui nous sont donnés".
Ludovic Courtois, secrétaire général du Comité régional des pêches
Si cette taxe imposée depuis l'année dernière ne fait parler d'elle que maintenant, c'est probablement le fruit d'une "kabbale de l'ancienne équipe du Comité régional des pêches", avance le secrétaire général actuel de la structure.