Le gouvernement souhaite s'appuyer sur les fichiers personnels des voyageurs pour traquer les fraudeurs aux prestations sociales

Vos déplacements en avion pourraient être surveillés par le fisc...
Le gouvernement a récemment présenté un plan de lutte contre la fraude sociale. Parmi les mesures, l'utilisation du fichier de données des compagnies aériennes, qui permettrait de déterminer si une personne bénéficie de prestations sociales tout en n'étant pas présente sur le territoire.

Le 30 mai dernier, Gabriel Attal, ministre délégué aux Comptes publics a présenté son plan de lutte contre la fraude sociale. Parmi les nouvelles mesures qui devraient bientôt s'appliquer en France, l'accès par les caisses de sécurité sociale aux fichiers de données de voyage des Français. 

Regardez le reportage de Réunion La 1ère : 

Explications PNR Billets d’avion

Concrètement, ces organismes pourraient bientôt utiliser le PNR ou Passenger Name Record, pour contrôler la condition de résidence en France qui s'applique pour bénéficier de certaines aides sociales. 

Un fichier qui recense les données de voyage de chaque passager 

Ce fichier PNR, c'est cet ensemble de données que constituent les compagnies aériennes lorsque vous voyagez : votre nom, votre prénom, votre date de naissance, votre itinéraire de vol et dates de voyage, mais aussi votre type de billet, votre numéro de siège dans l'avion, votre repas à bord, les données relatives à vos bagages et vos coordonnés bancaires ainsi que le moyen de paiement utilisé. 

Aussi utilisé à des fins de lutte contre le terrorisme 

Ces données personnelles sont accessibles aux autorités américaines depuis les attentats du 11 septembre 2001. Voilà qui a aussi ouvert la voie en Europe et en France : après les attentats de 2015, le Parlement européen a autorisé l'utilisation des données des dossiers passagers pour prévenir et détecter d'éventuelles infractions terroristes. 

Utiliser ces données pour savoir qui est en France et qui ne l'est pas 

Aujourd'hui, c'est à des fins de lutte contre la fraude aux aides sociales que le gouvernement souhaite exploiter ces données personnelles. Sont par exemple visées les personnes qui résideraient hors de France depuis plus de six mois tout en continuant à bénéficier d'aides sociales conditionnées à la résidence en France. Mais par extension, ce contrôle pourrait aussi viser les retraités de la fonction publique ultramarine qui perçoivent une retraite sur-rémunérée et qui vivraient la majeure partie de l'année ailleurs que dans leur département d'outre-mer. Or, pour prétendre à cette pension sur-rémunérée, ils doivent vivre sur place.

Une utilisation légale à l'heure actuelle ? 

Mais une question se pose désormais : l'Etat a-t-il le droit de recourir à ces données personnelles à des fins de lutte contre la fraude, alors que leur usage se destine initialement à lutter contre la menace terroriste ? Le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, a indiqué qu'il interrogeait actuellement la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) à ce sujet, mais que selon lui, la mesure était juridiquement possible. 

Un usage "illicite" selon Sulliman Omarjee  

Pour l'avocat en droit du numérique, que l'Etat utilise ces données personnelles acquises auprès des compagnies aériennes à des fins de lutte contre la fraude sociale, est "illicite". 

"En l'état du droit actuel, ce n'est pas légal", réagit-il, invité sur le plateau de Réunion La 1ère. "La finalité du PNR aujourd'hui c'est de transporter un passager, ce n'est pas de savoir s'il est hors du département à des fins de lutte contre la fraude sociale", explique-t-il, ajoutant qu'il existe une seule exception, la lutte contre le terrorisme, "en vue d'identifier un comportement suspect". 

"A travers cette connaissance des déplacements des citoyens, c'est une menace intolérable à la vie privée"

Sulliman Omarjee, avocat en droit du numérique

"On nous bassine avec le RGPD et la protection des données personnelles, mais il y a une contradiction à surprotéger le citoyen autour de ses données, et en même temps lui dire que dans certains cas qui ne sont pas encore prévus par la loi, on aurait l'autorisation d'y accéder", estime Sulliman Omarjee. 

Les précisions de Sulliman Omarjee sur Réunion La 1ère : 

Invité plateau : Sulliman Omarjee, avocat spécialisé en droit du numérique

Plusieurs mesures pour lutter contre la fraude sociale

Parmi les autres mesures présentées par Gabriel Attal le 30 mai dernier, une potentielle fusion entre la carte nationale d’identité et la carte Vitale pour lutter contre les fraudes aux prestations de santé, une pénalité supplémentaire de 10% pour les allocataires fraudeurs, ou encore le pré-remplissage des formulaires de la CAF. 

Enfin, le gouvernement a indiqué qu'à partir du 1er juillet, les prestations sociales qui sont soumises à condition de résidence sur le territoire français ne pourront plus être versées sur un compte situé en dehors de l'Europe. 

Selon les chiffres du gouvernement, le préjudice de la fraude sociale est estimé à environ 11 milliards d'euros : 8 milliards d'euros en prélèvements sociaux éludés au titre du travail informel, 2,8 milliards d'euros en prestations sociales versées par les Caisses des allocations familiales, et 200 millions d'euros en coût pour les caisses de retraite du régime général.