Meurtre de Shana : comment faire face aux dangers des réseaux sociaux chez les jeunes à La Réunion ?

Deux jeunes de 14 et 16 ans ont reconnu avoir tué Shana, 16 ans, qu’ils avaient rencontré sur les réseaux sociaux. Comment faire face aux dangers d’internet ? Comment protéger les jeunes des réseaux sociaux à La Réunion ? Une brigade de police spécialisée dans la cybercriminalité existe à Malartic. Interview.

La semaine dernière, ce meurtre a plongé La Réunion dans l’effroi et l’incompréhension. Deux jeunes de 14 et 16 ans ont reconnu avoir tué Shana, 16 ans, qu’ils avaient rencontré sur les réseaux sociaux.

Comment faire face aux dangers d’internet ? Comment protéger les jeunes des réseaux sociaux à La Réunion ? Une brigade de police spécialisée dans la cybercriminalité existe à Malartic. Le brigadier-chef Philippe Caporossi est le chef de groupe de cette brigade. Il répond aux questions de Réunion La 1ère.

Vous constatez une digitalisation de la société à La Réunion comme en France, avez-vous des chiffres chez les jeunes ?

Le brigadier-chef Philippe Caporossi : Selon des études, les jeunes de 7-10 ans passent environ 4h40 sur les écrans, et les 11-14 ans, plus de 8 heures par jour. Les réseaux sociaux occupent 2h30 de leur temps d’écran.

Les réseaux sociaux sont ouverts aux enfants de plus de 13 ans, mais dans les chiffres on voit que 87% des 11-12 ans ont déjà des comptes sur les réseaux sociaux. C’est attractif, les parents laissent faire, mais il ne faut pas.

C’est comme les films interdits au moins de 12 ans, il faut préserver nos jeunes d’une accessibilité à des contenus qui les dépassent. Les jeunes ne se rendent pas compte de ce qu’ils regardent.

Quelles sont les conséquences de cette digitalisation de la société sur le comportement des adolescents ?

Le brigadier-chef Philippe Caporossi : Sur les réseaux sociaux, il y a une perte du sens de la réalité et de l’intensité de ce que l’on regarde. En passant beaucoup de temps sur les réseaux, les jeunes regardent des contenus de plus en plus offensants, agressifs, sexuellement de plus en plus poussés, de plus en plus proches de la mort avec une perte de l’empathie. Ils vont chercher de plus en plus loin quelque chose qui les fait vibrer, c’est le cerveau qui fonctionne ainsi. Plus ils vont loin, plus ils regardent des choses horribles et plus ils s’y habituent.

En 2018, une étude réalisée aux Etats-Unis sur 10 000 adolescents de 14 ans, montre que plus les jeunes passent de temps sur les réseaux, plus il y a de phénomène de dépression, surtout chez les jeunes filles qui sont plus présentes sur les réseaux que les garçons.

Cette accessibilité à des contenus, parfois extrêmes, peut amener les enfants à avoir une perte de lien avec la réalité, une perte de lien avec la représentation de la beauté. L’idéal féminin ou l’idéal masculin sont omniprésents, ils peuvent provoquer des frustrations et développer des dépressions.

La richesse de leur langage diminue, il y a une perte de sommeil, une perte de lien avec la réalité et tout cela augmentent les phénomènes d’agressivité. De plus, dans les films, séries et jeux vidéos, il y a sur les écrans une banalisation de la violence. Une fois cette habitude installée, il est difficile de revenir en arrière.

 

Comment protéger les jeunes qui passent autant de temps sur les écrans ?

Le brigadier-chef Philippe Caporossi : Il faut être vigilant. Sur les réseaux sociaux, les jeunes ne sont pas accompagnés. Derrière leur écran, ils sont seuls face à l’immensité d’internet et ils peuvent y faire de bonnes ou de mauvaises rencontres. S’ils ne sont pas accompagnés, ils n’ont pas les codes et règlements qu’ils ont dans la vie courante. L’enfant fait alors de bonnes et de mauvaises rencontres, avec des personnes parfois mal intentionnées.

Les jeunes peuvent se prémunir de faire des mauvaises rencontres, ils doivent s’assurer de leur interlocuteur. Mais cela est difficile pour un jeune qui n’a pas la notion d’intimité, c’est une "fausse intimité".

Pour un jeune, avoir des followers, des contacts, rencontrer des gens sur internet, c’est naturel. Alors que dans la rue, il ne parlerait pas à quelqu’un qu’il ne connait pas.

 

Que provoque cette "fausse intimité" qui se créée derrière un écran ?

Le brigadier-chef Philippe Caporossi : Les jeunes sont derrière un écran, y passe du temps, une fenêtre s’ouvre sur un monde, ils ont l’impression d’être cachés en étant chez eux dans leur cocon. Ils ont le sentiment d’une intimité cachée, mais internet a un regard sur vous autant que vous vous avez de regard sur internet.

Au travers vos photos, vidéos et publications, internet est au courant d’autant de choses de votre activité que vous vous pouvez vous informez sur internet.

Quel message vous voulez faire passer aux parents qui s’inquiètent des dangers des réseaux sociaux sur leurs enfants ? 

Le brigadier-chef Philippe Caporossi : J’invite les parents à ne pas laisser le terrain des nouvelles technologies entre les mains des enfants.

Il faut faire de l’accompagnement, s’intéresser, ne pas couper les liens, discuter de ce qui peut les choquer, les intéresser, discuter des contenus qu’ils regardent. Il faut aussi expliquer que parfois, sur internet, les choses ne sont pas ce qu’on pense qu’elles sont. Il faut être vigilant.

On remarque que les enfants partagent facilement leur intimité. Il faut leur expliquer que leur intimité d’aujourd’hui ne sera pas forcément celle de demain. Une photo qu’on envoie à quelqu’un de proche peut se retourner contre vous demain, donc préservez-vous, montrez que ce que vous voulez vraiment montrer.

Préserver son intimité est la base de tout, mais les jeunes n’ont pas la même notion de l’intimité que nous. Les enfants sont capables d’ouvrir leur intimité avec photos et vidéos pour avoir plus de followers.

 

Votre service lutte contre la cybercriminalité, quelles sont les infractions que vous traquez ?

Le brigadier-chef Philippe Caporossi : La cybercriminalité regroupe tout ce que l’on peut constater dans le champ infractionnel dans les domaines d’internet et des nouvelles technologies. On constate qu’il y a une transposition de toutes les infractions classiques du monde réel dans le monde d’internet : le harcèlement, les violences verbales, les diffamations...

Notre unité est nouvelle, elle est en place depuis un an et chaque jour notre activité augmente. On fait une veille stricte, on surveille les réseaux de téléchargement, et c’est ainsi que l’on détecte des contenus.

 

Quel est le phénomène le plus présent en cybercriminalité à La Réunion ?

Le brigadier-chef Philippe Caporossi :Le service travaille sur des phénomènes de piratage, escroquerie, harcèlement, violence, ou encore discrimination. A La Réunion, la pédopornographie est très présente.

Le service assure la sécurité et fait aussi de l’assistance dans des enquêtes pour faire parler des éléments et les mettre à disposition des enquêteurs.