C'est lors du conseil d'administration du GIP Centre de sécurité requin (CSR) en fin de semaine que la mesure a été votée, faisant évoluer le programme réunionnais de pêche de prévention du risque requin. Les requins tigre juvéniles, d'une taille inférieure à 2,5m, seront marqués puis relâchés, annonce la préfecture. Ils étaient déjà relâchés au temps des programmes Cap Requins 2, entre 2014 et 2016.
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Cette décision a notamment été motivée par les résultats d'une base de données des interactions entre humains et requins, mise en place par le CSR.
Dans 14 cas de morsure sur 56, l'espèce non identifiée
Ainsi, depuis 1980 à La Réunion, 56 cas de morsures sur un être humain ou sur son équipement ont été relevés. Mais dans 14 cas, l'espèce en cause n'a pas pu être déterminée. Dans les 42 autres cas, il s'agissait à 64% de requin bouledogue, à 12% des cas de requin tigre, et dans 24% d'autres espèces, selon les données du CSR.
Le requin tigre impliqué dans 3 attaques mortelles depuis 1980
D'ailleurs, ce sont spécifiquement les grands requins tigre qui sont impliqués dans les attaques avec morsure : dans tous les cas d'attaques relevés depuis 1980, les squales mesuraient plus de 2,5m. Dans les cas d'attaques mortelles (trois attaques, en 1989, en 1996 et en 2011), le requin tigre mesurait au moins 3 mètres. Dans le cas de la dernière attaque en date, en 2011 à l'Etang-Salé, le requin tigre mesurait plus de 3,5m.
Un requin peu présent près des côtes le jour
De plus, les requins tigre jusqu'ici capturés à la côte l'étaient principalement pendant la nuit. La journée, ils n'étaient quasiment jamais pêchés, prouvant une moindre fréquentation de cette espèce près de la côte pendant ces heures. Un constat que le programme CHARC (Connaissance de l'écologie et de l'HAbitat de deux espèces de Requins Côtiers sur la côte ouest de La Réunion) avait déjà montré il y a quelques années.
Les experts "unanimes"
Enfin, le relâcher de requins tigre juvéniles semble faire consensus à divers endroits : le Conseil scientifique d'experts du CSR, composé d'experts sud-africains et australiens qui travaillent sur cette problématique depuis des décennies, a "approuvé de manière unanime" la décision, selon la préfecture. En Australie, en Afrique du Sud et au Brésil, la relâche des tigres a déjà été expérimentée sans augmenter le risque d'attaques.
La pêche des requins contestée
L'opinion publique n'est pas en reste : le CSR a mené une enquête locale, aux résultats éloquents. 60% des enquêtés se montraient défavorables aux prélèvements de requins tigre, quelle que soit leur taille. Sans parler des associations de protection de l'environnement, vent debout contre ces pêches, comme Sea Shepherd France, Longitude 181, One Voice et Taille-Vent, qui avaient il y a quelques temps attaqué l'arrêté de la préfecture autorisant les prélèvements.
20 individus marqués et relâchés entre fin 2023 et fin 2024
Mais attention, seuls 20 requins tigre de moins de 2,5m seront marqués et relâchés, entre fin 2023 et fin 2024, précisent les services de l'Etat. Car cette évolution du programme de pêche s'inscrit dans une démarche scientifique, visant à étudier le comportement des squales après relâche.
Comprendre s'ils restent ou s'éloignent de nos côtes
"L’objectif est de comprendre si ces requins capturés et relâchés resteront à proximité des côtes, ou s’ils s’engageront dans une migration océanique", justifie la préfecture. En attendant de le savoir, tous les requins tigre juvéniles, même de moins de 2,5m, seront tout de même prélevés après la fin 2024.
Un double-marquage
Les juvéniles tigre capturés pour les besoins de l'étude seront équipés d'un double marquage avant de retourner à l'eau : des marques acoustiques pour détecter leur présence à proximité des côtes, et des balises GPS pour suivre leur mouvement sur de grandes distances. "Une communication sera réalisée régulièrement par le centre sur les résultats de cette expérimentation", précise la préfecture.
Pour l'association Vagues, "une excellente chose"
Pour l'association Vagues (Vivre activement pour garder un environnement sain) présidée par Didier Dérand, il s'agit d'un "timide virage" tout comme d'une "excellente chose". "Il n'en reste pas moins que la route est encore longue vers une gestion plus rationnelle, moins guidée par l'émotion, de la problématique requin". Vagues aurait préféré que la décision de relâcher concerne "tous les requins-tigre de moins de 3m, soit les 2/3 des specimens tués en pure perte ces 5 dernières années".
Jean-François Nativel dénonce une "décision imposée" par le CSR
Mais certains crient leur désaccord face à cette décision de relâche de requins juvéniles, à l'image de Jean-François Nativel. Le conseiller municipal de l'opposition à Saint-Paul, regrette que lors de la mise au vote de cette décision au conseil d'administration du CSR, il n'y aurait eu aucune communication sur "sa dangerosité avérée (du requin-tigre, ndrl), son abondance autour de la Réunion (demandez à n’importe quel pêcheur), ou encore sa grande capacité de reproduction".
"On prend ça comme une décision imposée puisque l'Etat est quasi-majoritaire dans le CSR. J'ai fourni de nombreux éléments qui auraient dû inviter à la prudence et à la réflexion par rapport à cette mesure, mais comme à chaque fois, on ne tient pas compte de la voix des acteurs de terrain. Tous ceux qui sont proches de la mer ont voté contre cette mesure"
Jean-François Nativel, conseiller municipal de l'opposition à Saint-Paul
En faveur d'une relâche des juvéniles de moins de 2m
Selon lui, cette décision de relâche aurait dû concerner les requins tigre de moins de 2m, et non 2,50m. "On a des constats d'attaque avec des requins tigre de 2,5m justement, des attaques mortelles", martèle-t-il.
Jean-François Nativel cite par exemple ce cas en 2016 en Nouvelle-Calédonie, où un requin tigre de 2,50m avait attaqué mortellement une baigneuse. Il cite également cette attaque constatée ce dimanche à Hawaï impliquant un requin tigre. Le squale de 2,40m a mordu un surfeur de 58 ans à la jambe.
Pour rappel, le programme de pêche de prévention est porté par le CSR depuis 2018, visant à "réduire le risque requin pour les usagers de la mer, tout en limitant les impacts sur l’écosystème réunionnais". Il cible les requins bouledogue et tigre présents à proximité des zones de pratiques d'activités nautiques.