Sur le papier les affiches étaient belles. Ben Harper, Peter Doherty, Morcheeba, Tricky ou encore Lindigo Connexion, Dobet Gnahoré, Racine Tatane pour l’hommage à Kaya, DJ Sebb, et bien d’autres ont attirés les foules. Une programmation dense, éclectique et aux horizons multiples, fidèle à l’esprit du Sakifo.
2019, un tournant ?
Une programmation que le patron du Sakifo, Jérôme Galabert, ne veut pas figée, mais bien en permanente évolution. Une programmation qui a notamment été influencée ces dernières années par l’entrée du Sakifo dans la fédération des festivals européens. Les choix en la matière ont été différents, la présence de davantage d’artistes "bankables", issus des circuits du moment, n’aura pas échappé à certains. Les découvertes nationales ayant été très présentes, les régionales un peu moins." Le festival a grandi et il y a peut-être un moment où on s’est pas égaré, mais laissé griser par le succès du festival, laissé emporter par une adhésion à ce qui pouvait se passer par ailleurs, on a épousé ce mouvement musical mondial ", Jérôme Galabert.
Des choix de programmation qu’il ne regrette absolument pas. Mais une réflexion s’est tout de même faite. Jérôme Galabert dit en effet ne pas vouloir oublier l’essence du festival. Les artistes ayant émergé notamment dans le cadre du IOMMA y ont toujours eu une place. Cette tendance semble de retour cette année, notamment avec la présence de la formation kenyane, Maia & The Big Sky.
Le développement du Zakifo en Afrique du Sud en est aussi l’expression, une façon de s’ancrer, d'exporter la musique réunionnaise mais aussi de se remettre en capacité de recevoir d'autres artistes.
Faire face à un monde qui change
L’industrie musicale a changé depuis plusieurs années, explique Jérôme Galabert. " On a vécu l’effondrement du disque, on a vécu l’ascension des festivals, la perte de fréquentation des salles, l’augmentation des cachets vu que les artistes se sont transférés vers le live. On savait que ça allait arriver et maintenant ça s’accélère ".Aujourd’hui, des entreprises mondiales rachètent les festivals, les salles, les boîtes de communication, de billetterie. Derrière ça, il y a un phénomène de concentration énorme. Les catalogues se concentrent de plus en plus et mécaniquement les prix augmentent. " Les liens que nous, en tant qu’ "artisans" du métier, on pouvait avoir avec les artistes et les managers se distendent ", ajoute-t-il.
Et si les niveaux de qualité de production ont été rattrapés grâce à la professionnalisation du festival, cette concentration complique fortement l’accès aux têtes d’affiches. " Au Sakifo, on a un prix moyen qui est plus bas qu’ailleurs et des frais d’approche bien supérieurs. Pour l’instant, on arrive à s’en sortir mais on n’est pas en dehors du phénomène ", assure le boss du Sakifo.
" Face à cela, tu te dis aussi que tu dois vraiment conserver tout ce qui fait ce que tu es. "
Son " unicité ", elle est dans ce qu’il a toujours défendu à savoir les musiques locales, les musiques régionales, " ça c’est ce qu’on va apporter au monde et que le monde n’a pas ". Le Cap est fixé : redonner une place centrale à ces musiques.
La créolité pour force
Le premier soir, celui du vendredi, fût celui de la démonstration de cette volonté. Les musiques créoles ont résonné une bonne partie de la soirée sur le site de la Ravine Blanche. Des groupes Réunionnais, de la zone et des créations. Encourager la création, comme le projet Lindigo Connexion en 2019, c’est justement la touche Sakifo.Après 20 ans d’existence le groupe continue d’évoluer, fidèle à la tradition, il s’ouvre également vers d’autres horizons. Le résultat est étonnant et détonnant. Les influences de la zone Océan Indien, les influences africaines y sont bien présentes, avec notamment des artistes comme l’Angolaise Pongo.
La musique du Réunionnais Tiloun également fusionnée à celle de la Capverdienne Elida Almeida autour de la créolité est aussi un exemple de ces créations dont seul le Sakifo a le secret. Des créations vers lesquelles Jérôme Galabert veut revenir un peu plus encore à l’avenir. Et puis, il y a aussi les évolutions structurelles.
" On s’est rendu compte qu’il y avait aussi des pages à tourner. Le Vince Corner a par exemple évolué, s'est arrêté et aujourd'hui il y a le Ti Bird. "
D’abord localisée dans l’espace VIP, cette scène créée en hommage à Pierre Macquart, et ainsi baptisée Ti Bird, s’est installée plus au centre du festival, dans le sable, et s’est offerte à tous. Et la salle Verte s’est au fil du temps inscrite dans une logique de lieu très particulier, seul endroit " où certaines choses peuvent se passer ".
Pas sans les artistes internationaux
Mais Jérôme Galabert voudrait qu’on arrête d’opposer les choses. La force de ce festival, c’est de proposer plusieurs univers, rappelle-t-il.
" Le public réunionnais est en droit, et c’est de fait même un devoir que de leur amener Ben Harper, c’est un devoir d’amener Georges Clinton, de faire l’hommage à Césaria, d’amener Manu Chao, d’amener Damian Marley, parce que ce n’est pas acceptable en 2019 qu’on soit encore potentiellement en attente d’une salle de spectacle digne de ce nom pour accueillir ces productions toute l’année. "
Le succès du festival vient aussi de là, quand dès les premières années des artistes comme Corneille ou Ayo affichent complet. Ces artistes internationaux permettent aussi d’attirer le public qui de fait voit les artistes locaux. " Un truc n’a jamais changé, c’est qu’aujourd’hui encore les festivaliers disent : je suis venu pour voir un tel, j’ai découvert un tel ".
" L’église remise au centre du village "
Quand on lui parle de l’avenir, Jérôme Galabert commence par dire : " Aujourd’hui c’est comme si on avait remis l’église au centre du village, c’est quelque chose qu’on va continuer à cultiver ". Son objectif : avoir des têtes d’affiche, une par soirée au moins, pour que la fréquentation augmente, conserver cette dynamique sur les créations, faire que les jeunes groupes locaux aient leur place et grandissent.Enfin, son prochain cheval de bataille sera aussi de permettre à davantage de Réunionnais de profiter du festival, notamment en reprenant les discussions avec des sociétés de transports en commun, comme les Cars Jaunes. L’idée serait ainsi de faire que même les publics les plus éloignés, qui ne peuvent pas dormir sur place, puissent tout de même venir profiter de ce festival péi.