Commémoration du 10 mai : à Sainte-Suzanne, un site pour rendre hommage aux affranchis, aux engagés, et à Camille Jurien de la Gravière

Commémoration du 10 mai au Bocage à Sainte-Suzanne
A l'occasion de ce 10 mai, journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage, et de leurs abolitions, des cérémonies étaient organisées à Sainte-Suzanne. Le Mémorial aux affranchis et aux engagés du domaine de Bel Air notamment a présenté au public un lieu dédié à Camille Jurien de la Gravière, qui est la seule notable de l'époque à avoir reconnu l'esclavage comme un crime.

Il est à La Réunion moins célébré que le 20 décembre, mais commémore aussi l'abolition de l'esclavage, entre autres : le 10 mai est la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions. Une journée nationale instituée en 2006, après la loi Taubira qui reconnaît l'esclavage comme crime contre l'humanité depuis 2001.

Regardez le reportage de Réunion La 1ère : 

A Sainte-Suzanne, la cérémonie du 10 mai a rendu hommage aux affranchis et aux engagés

A cette occasion, une cérémonie d'hommage aux ancêtres esclaves était organisée au Jardin du Patrimoine et de la Mémoire au Bocage à Sainte-Suzanne, au son du maloya. Une gerbe a été déposée au pied d'une stèle rendant hommage à Edmond Albius, cet esclave à l'origine de la découverte du procédé de fécondation de la vanille.

Commémoration du 10 mai au Bocage à Sainte-Suzanne

Camille Jurien, petite-fille de madame Desbassayns

Un peu plus tôt, c'est toujours à Sainte-Suzanne, mais vers le domaine de Bel Air, que les regards se sont tournés pour un autre temps fort de ce 10 mai. Ce domaine qui accueillait auparavant deux habitations, appartenait à Camille Jurien de la Gravière (ou Marie-Antoinette Camille Panon Desbassayns), petite-fille d'Ombline Desbassayns, et fille de Joseph Panon Desbassayns et d'Elisabeth Pajot. 

Réécoutez le podcast "Sou le piédbwa" de Réunion La 1ère retraçant l'histoire de l'habitation de Bel-Air : 

Une tentative d'expiation de l'esclavage

Cette petite-fille de madame Desbassayns, après l'abolition de l'esclavage en 1848, se lancera dans une oeuvre d'expiation de ce crime. Les indemnités coloniales reçues pour compenser les maîtres de la perte de leur main d'oeuvre, Camille Jurien refuse de l'utiliser pour son intérêt propre et s'en servira pour construire des hôpitaux et hospices, à La Réunion comme dans l'Hexagone où elle reconstruit notamment le monastère de Prouilhe. Elle est aussi à l'origine de la construction de la chapelle de style néogothique présente sur le domaine de Bel Air. 

Un parcours méditatif sur le domaine de Bel-Air

Aujourd'hui, c'est tout un parcours méditatif qui a été imaginé, de l'entrée du domaine jusqu'aux vestiges de la chapelle de Bel-Air, pour mettre en lumière la présence, à cet endroit, de centaines d'affranchis et d'engagés. 

Commémoration du 10 mai au Bocage à Sainte-Suzanne

357 esclaves ici affranchis

Dans l'allée qui mène à la chapelle de Bel-Air, les noms des 357 esclaves du domaine, affranchis en 1848, sont reproduits : 154 "créoles", 148 "cafres", 42 "malgaches" et 7 "malais" qui deviennent citoyens et quittent en grande partie l'habitation après la dernière coupe des cannes de l'année. Un peu moins d'une centaine restera sur l'habitation pour y travailler aux côtés des engagés. 

Un millier d'engagés entre 1850 et 1878

La présence de ces engagés est également mise en lumière sur le site : arrivés de l'Inde dans un premier temps, puis du pourtour de l'océan Indien (Madagascar, Afrique, Chine, Cochinchine...), ils prennent le relais des esclaves dans les habitations, mais en étant rémunérés et libres de rentrer chez eux au bout de cinq ans. L'association estime qu'un millier d'hommes, de femmes et d'enfants ont été engagés entre 1850 et 1878 sur ce domaine, pour y travailler cinq ou dix ans. Un hommage leur est rendu dans un petit jardin au coeur de la nef de la chapelle. Les noms de 184 engagés retrouvés dans les registres d'Etat civil figurent ici sur une stèle. 

Commémoration du 10 mai au Bocage à Sainte-Suzanne

Un mémorial dédié à Camille Jurien

Mais, sous le porche de la sacristie, le mémorial Camille Jurien rend aussi hommage à cette femme, considérée comme la seule notable de l'époque à reconnaître l'esclavage comme un crime. C'est entre 1858 et 1860 que Camille Jurien de la Gravière lance la construction de cet édifice sur l'habitation. Elle sera achevée par son neveu Albert de Villèle, et par tous les engagés et affranchis du domaine. Mais ce ne sont que les vestiges qui persistent aujourd'hui, après la destruction de la chapelle par un cyclone en 1881.

Commémoration du 10 mai au Bocage à Sainte-Suzanne

Un appel aux dons pour poursuivre les travaux

Pour rappel, ces vestiges ont été consolidés avec l'aide du Loto du Patrimoine, une subvention de la Région Réunion, et les fonds propres de l'association Mémorial Camille Jurien. "Mais aujourd'hui nous sommes arrivés au bout de nos ressources, nous lançons un appel aux dons pour continuer les travaux sur ces vestiges", souligne Florence Rivière.

"Ce site valait la peine d'être installé, nous allons continuer notre action pour transmettre aux jeunes, aux écoliers, ce passé qui n'a de sens que si on en parle et qu'on se rend compte qu'il y a eu des êtres humains, des enfants esclaves, des femmes, qui ont oeuvré pour humaniser leur environnement et humaniser ce qui reste un crime contre l'humanité."

Florence Rivière, présidente de l'association Mémorial Camille Jurien

Le site du Mémorial aux affranchis et aux engagés du domaine de Bel Air se visite sur rendez-vous une grande partie de l'année, et gratuitement le 10 mai et le 20 décembre.