Ce mercredi 6 mars 2024, à 19h50, le magazine Archipels de Réunion La 1ère s'intéressera à une figure emblématique de la lutte en faveur des droits des femmes sur l'île : Thérèse Baillif. Elle est au centre du documentaire "Thérèse Baillif, de la colonie aux honneurs de La République", réalisé par Jarmila Buzkova.
Cette dernière raconte la génèse du projet, dont l'idée a été soufflée il y a quelques années par le sociologue réunionnais Raoul Lucas. Car Jarmila Buzkova est également l'autrice du documentaire "Les 30 Courageuses de La Réunion", sur ces femmes avortées et stérilisées de force dans les années 60 et 70 sur l'île.
Un précédent documentaire sur les avortements forcés
Diffusé en 2019, le film a connu "beaucoup de retentissement" sur l'île, dit la réalisatrice. Ce qui lui a permis, lors d'échanges et de débats, de faire connaissance non seulement avec Raoul Lucas, mais aussi avec Thérèse Baillif. Lorsque l'idée d'un documentaire sur Thérèse Baillif émerge, c'est tout naturellement Jarmila Buzkova qui est sollicitée pour s'intéresser à ce parcours d'exception.
Thérèse Baillif, "la force tranquille"
De ce tournage qui a lieu en juin 2023 sur l'île, Jarmila Buzkova fait donc plus ample connaissance avec Thérèse Baillif, et en reparle, plusieurs mois après, avec une certaine émotion.
"Il y a beaucoup de choses qui m'ont marqué chez elle, mais c'est surtout sa force tranquille. C'est très rare, elle a quelque chose qui inspire à la fois de l'autorité et de la confiance. C'est ce don là qui a fait que les gens la respectent et sont capables de se confier à elle. Vous ne la soupçonnez pas de vous trahir"
Jarmila Buzkova, réalisatrice de "Thérèse Baillif, de la colonie aux honneurs de La République"
Une militante qui trouve les mots justes
De cette rencontre, la réalisation retire une "admiration" devant l'"envie de progresser, de s'instruire, d'aller de l'avant, sa volonté d'enjamber les obstacles" de son interlocutrice. Mais aussi ce "tact" tout particulier qui fait que Thérèse Baillif sait trouver les mots justes lorsqu'elle apporte son aide.
"Dans cet univers-là il faut faire très attention à ce qu'on dit et à quel moment on le dit, de peur de heurter la personne et de la bloquer. Elle (Thérèse Baillif, ndlr) sait exactement à quel moment il faut un peu essayer de pousser la personne, et à quel moment il faut au contraire la mettre à l'aise"
Jarmila Buzkova, réalisatrice de "Thérèse Baillif, de la colonie aux honneurs de La République"
Près d'un siècle d'histoire
A 93 ans, Thérèse Baillif a près d'un siècle d'histoire à raconter, de sa naissance aux Avirons dans une famille modeste, en passant par sa brillante carrière à l’ONF, jusqu’à son engagement sans faille contre les violences intrafamiliales...
Thérèse Baillif "un peu utopique"
En 52 minutes, le documentaire revient évidemment sur les origines de l'engagement de Thérèse Baillif en faveur de la société réunionnaise. Cette dernière le justifie ainsi : "Le fait de m'engager, ce n'était pas pour me faire voir, mais pour aider. Quand on a vécu soi-même des choses difficiles pendant notre adolescence et notre enfance, même si je n'ai pas été battue, on a envie d'apporter quelque chose à notre société, qu'elle soit plus harmonieuse, plus équilibrée, plus sereine. Je suis un peu utopique".
Un engagement pour l'égalité femmes-hommes
A l'époque, quand elle s'engage dans ce combat, elle fait le constat d'une place trop peu importante réservée à la femme dans la société réunionnaise. "Il est important qu'il n'y ait pas une dominante masculine dans une société, mais un partage des places, des responsabilités, c'est quelque chose que j'ai voulu profondément", nous dit-elle.
La lutte contre les violences intrafamiliales, un cheval de bataille
Néanmoins, Thèrèse Baillif constate que, même si les droits des femmes ont progressé, d'autres déséquilibres persistent, et contribuent aux violences intrafamiliales. Un sujet dont elle a fait un cheval de batailles pendant de longues années, créatrice du Collectif pour l'élimination des violences intrafamiliales (CEVIF).
D'après sa lecture de la situation, les associations, au fil des décennies, ont su faire en sorte que la parole des femmes soit libérées, et en sorte qu'elles sachent "qu'elles sont des êtres humains respectables et qui doivent être respectés, qui n'ont aucune raison d'être frappés".
Des femmes victimes mais responsables de leur destin
Son travail, pendant des années, a également été de convaincre certaines femmes que si elles étaient victimes de violences, ce n'était pas de leur faute.
"Je leur expliquais : "s'il vous bat, peut-être qu'il vous aime toujours, mais il est dans le mal-être. Il a quelque chose à régler mais il ne peut pas le régler parce que ce n'est pas dans l'air de son temps. Ce n'est pas vous". Et je voyais des femmes sortir en se disant "je ne suis pas responsable de ce qu'il m'arrive, mais je suis responsable de ce que je vais faire de ma vie". Ça c'est important aussi"
Thérèse Baillif
Une parole des hommes qui n'a pas été libérée
En revanche, elle met en avant ce qui n'a pas été résolu. "La libération de la parole des femmes n'a pas été suivie de la libération de la parole des hommes, souligne Thérèse Baillif. Les hommes ont toujours plus de mal à dire leurs émotions et leurs sentiments. Je suis pas content je tape, mais je ne dis pas pourquoi je suis pas content".
"Dans cette société, les femmes ont pris davantage leur place et beaucoup d'hommes se trouvent défavorisés. Souvent, dans un couple, une femme peut avoir une situation supérieure à celle de l'homme. Le fait de se retrouver un peu en retrait, sa virilité, il faut qu'il la démontre d'une certaine manière, et parfois donc par la force. Il y a davantage de violences qui viennent d'un mal-être. Il n'y a pas forcément un gène de violence, mais des frustrations par rapport aux autres, qui rongent. Et ça peut exploser."
Thérèse Baillif
Les enfants, des vraies victimes
Thérèse Baillif n'oublie pas que, pris dans ces situations de violences, il y a aussi les enfants des couples qui se déchirent. "Je l'ai toujours dit et on ne le prenait pas en compte, mais on sait aujourd'hui que lorsqu'il y a un dysfonctionnement grave au sein de la famille, les enfants sont aussi des victimes. Pas des victimes collatérales, mais des victimes propres. Ils voient tous les jours cette violence, ils ont peur", explique l'ancienne présidente du CEVIF. Une violence subie qu'ils pourraient eux aussi reproduire dans leur futur.
"Les gens sont centrés sur eux-mêmes"
La fondatrice de l'Association femmes actuelles de La Réunion (AFAR) en 1986 jette un regard observateur sur la société actuelle, bien différente de celle qu'elle a connue dans sa jeunesse. Une société qui certes, a connu des progrès énormes en termes de confort de vie, mais qui reste dysfonctionnelle sur certains points.
"Quand j'étais bien plus jeune, je trouvais que la société évoluait très rapidement, qu'on allait dans le bon sens. Et puis en vieillissant, au fil des crises sociales et sociétales, je me pose des questions depuis quelques années", souffle Thérèse Baillif, qui explique avoir grandi dans un "monde solidaire et apaisé". Un monde qu'elle ne retrouve plus aujourd'hui.
"Les gens sont centrés sur eux-mêmes, même en famille tout le monde pianote sur son téléphone ou sa tablette, on n'échange plus, on ne se regarde même plus. Le progrès a souvent des revers. Je ne pense pas que les gens soient heureux, d'une manière générale. Il y a une belle réflexion à faire sur cette société aujourd'hui"
Thérèse Baillif
Chômage et inégalités
Pour ne rien arranger, il y a aussi les difficultés socio-économiques de la population : chômage, absence d'un travail qui pourtant valorise l'individu mais est vu comme "désagréable"... Tout cela participe aussi à la violence, observe Thérèse Baillif.
"Les choses vont trop vite. Il y en a qui sont largués sur le chemin, parce qu'on ne va pas tous à la même vitesse. Il y en a qui vont très vite, et d'autres calent derrière. Alors c'est la révolte, la colère, la frustration".
Thérèse Baillif
Ecole et famille, deux piliers essentiels pour lutter
C'est pourquoi la militante rappelle l'importance de ces "deux piliers qui forment le monde de demain" que sont l'école et la famille. "Aujourd'hui, l'école doit fabriquer des citoyens actifs, acteurs, et les familles fabriquer des adultes responsables, enjoint Thérèse Baillif. Il y a besoin d'une éducation populaire, qui est de moins en moins présente. Pour former, éduquer à la vie, au monde, à la société, à l'ouverture vers les autres, et peut-être que notre monde sera alors plus épanoui".
"Une mémoire vivante de La Réunion"
A travers le parcours de Thérèse Baillif, c'est l'évolution de la société réunionnaise qui est racontée dans le documentaire de Jarmila Buzkova. Du haut de ses 93 ans, c'est "une mémoire vivante de La Réunion", souligne la réalisatrice.
"Les gens apprendront beaucoup de choses sur les transformations et l'évolution de La Réunion lors du dernier siècle pratiquement. Et en même temps elle a beaucoup à dire par rapport à son expérience personnelle. C'est très instructif pour les jeunes femmes d'aujourd'hui, et pour tout le monde, parce qu'elle a cette humanité et cette bienveillance, C'est comme une caresse, cette interview."
Jarmila Buzkova, réalisatrice de "Thérèse Baillif, de la colonie aux honneurs de La République"
Et qu'en dit l'intéressée ? La femme qui est au centre du documentaire elle, commente avec humilité : "Si l'objectif de ce film est d'en faire quelque chose de pédagogique pour porter des messages à la société, je trouve que c'est une très bonne chose".
"En un siècle, les choses ont beaucoup changé à La Réunion"
Thérèse Baillif souhaite aussi montrer ce qui a changé sur l'île, tant positivement que négativement à travers son parcours "de petite fille de la campagne venant d'une famille modeste", née alors que l'île était encore colonie, et qui est devenue "une femme engagée, les projecteurs braqués sur ce qu'elle faisait".
"J'aurais bientôt un siècle, et en un siècle les choses ont beaucoup changé à La Réunion. Il faut montrer, dans notre monde numérique à 300%, qu'il existait un autre monde à l'époque, porteur parce qu'il a fait quand même des choses".
Thérèse Baillif
93 ans, et toujours des ambitions et des espoirs
Aujourd'hui, alors qu'elle s'approche du siècle d'existence, elle n'a pas cessé de nourrir l'espérance d'une société meilleure. "J'ai 93 ans et j'ai toujours envie de faire d'autres choses". Comme réfléchir à améliorer encore la prise en charge des femmes victimes de violences, en travaillant en amont, en s'attaquant à la source des maux.
"Il ne faut pas attendre que les femmes soient tabassées, qu'elles n'aient plus de réaction, qu'elles acceptent tout, qu'elles soient dans la lassitude. Il faut qu'avant, on puisse permettre à tous les couples qui se mettent ensemble d'avoir la force de supporter les moments difficiles, et le bonheur d'accepter les moments agréables", invite Thérèse Baillif.
"Il y aura toujours des hauts et des bas, la vie est duelle, un jour c'est un blanc, un jour c'est noir. Mais si on est formés pour affronter le noir, c'est extraordinaire"
Thérèse Baillif
Documentaire diffusé ce mercredi 6 mars à 19h50
Le documentaire "Thérèse Baillif, de la colonie aux honneurs de la République" est à découvrir dans le magazine Archipels, ce mercredi 6 mars à 19h50 sur Réunion La 1ère.