Union des Comores : les Mabedja tiennent tête au régime Azali Assoumani

Les Mabedja, une association franco-comorienne dont les membres établis en France se sont rendus aux Comores pour y organiser des manifestations, subit les foudres du régime. Retour sur une semaine de soubresauts.

Il aura suffi d’une promesse donnée cet été sur les réseaux sociaux, celle de venir aux Comores à partir de la France pour "venir marcher pacifiquement contre la vie chère, les violences sexuelles, les inégalités sociales et l’insécurité" pour que le régime dirigé d’une main autoritaire par Azali Assoumani (dont la réélection en 2019 est toujours contestée par la majorité de l’opposition) se mette en alerte et bande ses muscles.

Des "marches pour la paix"

Depuis, l’association Mabedja (titre de noblesse de l’époque précoloniale) fait plus que parler d’elle. Et pour cause, cela fait au moins trois ans, que le régime Azali Assoumani interdit et réprime violemment toute contestation dans la capitale. Le pari (risqué) lancé par les Mabedja, d’y organiser plusieurs "marches pour la paix" peut-il être tenu ? Retour sur une semaine mouvementée.

Pas de procès pour les Mabedja

Ce 6 septembre, trois membres des Mabedja, arrêtés le 26 août, Chamouin Soudjay, Farhane Athoumani, tous deux habitant en France et Massoundi Mmadi, établi aux Comores, devaient comparaitre devant un juge d’instruction au tribunal de Moroni. La comparution n’a finalement pas eu lieu. Inculpés pour « association de malfaiteurs en vue de commettre un attentat », ils croupissent en prison en attendant leur jugement. Le délai de la détention provisoire en Union des Comores est de quatre mois, renouvelable une fois, en théorie. Dans la pratique, il peut être allégrement dépassé sans qu’un procès se tienne.

Fermeture de l’ambassade des Comores à Paris, ce lundi

Aussi, des voix se sont élevées dès l’annonce de leur arrestation pour demander leur libération aux Comores, mais aussi dans la diaspora comorienne (dont une bonne partie est vent debout contre le pouvoir issu des élections de 2019). Est-ce pour éviter une situation "délicate" à l’ambassade des Comores à Paris, que celle-ci a annoncé samedi, qu’elle sera "fermée dès ce lundi pour raisons professionnelles jusqu’à une date ultérieure" ? Interrogé, un cadre travaillant au ministère comorien des Affaires Étrangères, s’agissant de la fermeture de l’ambassade évoque "un excès de zèle". Il a assuré "une réouverture incessante" de la chancellerie, sans donner les raisons de sa fermeture.

Des interpellations à Moroni, vendredi

Toujours est-il que si la tension semble s’être relâchée en ce début de semaine. Ce week-end, un déploiement massif des forces de l’ordre était bien visible. Plus qu’une opération de maintien de la sécurité, il s’agissait visiblement d’une démonstration de force.

Le vendredi 3 septembre, le lieu prévu pour la manifestation des Mabedja était lourdement quadrillé par les forces de sécurité, le rendant inaccessible. Les citoyens en colère se sont attroupés dans divers point de la capitale, rapidement dispersés par l’usage fréquent de grenades lacrymogènes. En guise de contestation, des comoriens ont érigé des barrages, bloquant notamment l’accès à l’une des principales routes de Moroni et faisant se vider ses principaux marchés et commerces. S’en suivront, une quarantaine d’interpellations pour une dizaine d’arrestations dont un journaliste, Hachim Mohamed, de l’hebdomadaire, Masiwa "tabassé et traité comme un moins que chien, j’ai été insulté toute la nuit dans cette cellule crasseuse où 28 personnes étaient entassées".

Deux journalistes refoulés, jeudi

La veille de la manifestation, les internautes suivaient avec attention un épisode lui aussi lié aux Mabedja mais qui se tenait à une vingtaine de kilomètres de la capitale, à l’Aéroport International Prince Said Ibrahim. Les péripéties (administratives) liées à l’arrivée de deux journalistes français, Éric Chebassier et Julien Blanc-Gras, évoluant en free-lance étaient livrées en direct aux comoriens via des Facebook live. Ils seront finalement refoulés vers Addis-Abeba, accompagnés d’une militante comorienne qu’ils suivaient depuis Paris, et qui a choisi, par solidarité de rebrousser chemin.  

Ce refoulement a occasionné la première sortie médiatique du tout nouveau ministre de l’intérieur, Fakridine Mahamoud qui était jusqu’à sa nomination le 26 août, le tout puissant patron des Renseignements. Le chef de la sécurité nationale a brandi le défaut d’accréditation pour justifier le renvoi des deux Français vers Addis-Abeba. "L’obtention de l’accréditation ne conditionne pas celle du visa", a réagi un connaisseur qui gravite dans le milieu de la presse. Et de préciser : "nos deux refoulés sont soupçonnés par les pouvoirs publics de s’être rendus aux Comores pour couvrir la manifestation des Mabedja, croyez- moi, même s’ils étaient accrédités, ils auraient trouvé un autre prétexte pour les expulser".

"Un élan patriotique ou un feu de paille ?"

Le 1er septembre, c’est autour du Syndicat des Commerçants Comoriens de nier « toute solidarité avec les Mabedja ». En fait, dans un communiqué daté du 30 août, les commerçants avaient assuré qu’ils allaient "réunir leurs efforts (…) et réclamer ensemble à côté du Mouvement Mabedja, le dialogue, la paix et la lutte contre la vie chère aux Comores". Le document démenti par le bureau du Synaco serait en réalité, "un vrai qui a fuité de son groupe WhatsApp avant la date prévue de sa publication".

Le 31 août, c’est un membre sans responsabilité du Synaco et du patronat, Mahamoudou Ali Mohamed par ailleurs dirigeant d’un parti politique, qui est entendu pendant quatre heures à la gendarmerie. Au sortir de la convocation, il tient une conférence de presse dans laquelle, il envisage de porter plainte contre la gendarmerie nationale "pour abus". La présence d’un poing levé dans le logo du parti politique de Mahamoudou Ali Mohamed et dans le visuel des Mabedja aurait convaincu les enquêteurs que les deux organisations étaient de mèche, selon le conférencier.

La venue des Mabedja est-elle "un élan patriotique ou un feu de paille ?", s’interroge Idriss Mohamed, influent membre de la société civile sur son blog. Pour y répondre, il faudra sans doute attendre un peu.