À Saint-Pierre et Miquelon, des plongeurs sous-marins souvent réticents à l'idée de restituer leurs trouvailles à l'État

Des plongeurs de l'archipel tentent de retrouver des épaves au large de l'isthme de Miquelon-Langlade.
Dans une publication fin octobre, le ministère de la Culture tire la sonnette d'alarme. À Saint-Pierre-et-Miquelon, des centaines de biens culturels maritimes sont encore détenus en dehors du cadre légal par d’anciens plongeurs.

Est-ce que si vous trouvez un objet dans l'Océan, il vous appartient ? La réponse est non. La France est même très claire à ce sujet : "Les biens culturels maritimes situés dans le domaine public maritime dont le propriétaire n'est pas susceptible d'être retrouvé appartiennent à l'Etat.", d'après l'article L532-1, du code du patrimoine.

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Pourtant, à Saint-Pierre-et-Miquelon, plusieurs locaux ont encore en leur possession divers objets archéologiques trouvés dans l'Océan dont ils ne sont pas les propriétaires. Nous les avons contactés pour les interroger à ce sujet. Si certains nous ont affirmé ne pas savoir qu'avoir ces objets à leur domicile était illégal, d'autres sont au courant, mais refusent de léguer ces biens à l'État : " Ce que je dis au DRASSM ? C’est qu'ils plongent et qu'ils récupèrent le patrimoine eux-mêmes. S'ils ne veulent pas que les plongeurs aient de quoi chez eux, jamais ça ne sera vu par la population ". Pour cet ancien plongeur, très attaché à son patrimoine, il est inenvisageable d'abandonner les objets qu'il a trouvés. 

Le DRASSM, dont parle cet ancien plongeur, c'est le département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines dont le siège est à Marseille. Sous l'égide du ministère de la Culture, ce service a pour mission d'étudier, de protéger et de mettre en valeur, les vestiges archéologiques retrouvés sous l'eau. Depuis 2017, des archéologues effectuent des missions d’inventaire de l’ensemble des sites archéologiques de l'archipel. Dans une publication sur son site internet fin octobre, la commission de récolement des œuvres d’art tire la sonnette d'alarme : l'inventaire des objets archéologiques à Saint-Pierre-et-Miquelon est difficile.

Dans cet article, on apprend notamment qu'en février 2023 lors de leur dernière visite sur l'archipel, Nathalie Huet, responsable des collections au DRASSM et Cécile Sauvage, archéologue, responsable de Saint-Pierre-et-Miquelon ont réalisé un travail d'inventaire des objets. 2 200 objets ont été répertoriés. Parmi eux, seulement 439 sont exposés dans les trois musées de l'archipel. Le reste, trône sur des étagères chez des particuliers. Les deux plus gros collectionneurs de l'île refusent toujours d'ouvrir leurs portes aux agents de l'Etat. Les autres se sont prêtés au jeu de l'inventaire mais sans léguer leurs objets : 

On le sait très bien que c’est illégal, les chargées de missions sont venues à la maison regarder ce que j’avais et elles ont inventorié les objets. Mais moi je leur ai dit que plutôt que rendre les objets, je les remettrais dans l’eau et je ne leur donnerais pas les positions.

un plongeur

Ce plongeur est aux yeux de la législation dans l'illégalité, mais pour lui la place de ces objets est sur l'archipel : " Un jour, j'ai prêté sept pipes à des personnes qui les ont amenées dans l'Hexagone pour les exposer. On m'en a retourné que six ". La majorité des plongeurs interrogée partage cette défiance face à l'État. Ils craignent que l'archipel ne perde son patrimoine : " Ce n’est sûrement pas à qui que ce soit. Si c’est à rendre, c’est plutôt à l’eau. Le DRASSM, il essaie de s’approprier les choses qu'il n'est pas capable d’aller chercher lui-même", confie un tiers plongeur.

En effet, le DRASSM cherche à s'approprier ces objets car légalement l'État en est le propriétaire. Si ces inventaires sont nécessaires, c'est car par expérience, les archéologues ont vu disparaître des pans du patrimoine maritime culturel sous leurs yeux : 

On sait qu'à Saint-Pierre il y a des objets parfois les plus emblématiques qui ont été vendus à l'étranger. Je pense à la Niobé par exemple. Nous, notre objectif c'est que tout le monde comprenne que c'est un patrimoine commun, important pour l'archipel et qu'on souhaite qu'il ne disparaisse pas.

Cécile Sauvage, archéologue

Vendus à l'étranger ou alors tout simplement perdus. Car si les plongeurs tiennent à leurs trouvailles, ce n'est pas toujours le cas de leurs successeurs : "On a vu des collections entières être jetées par les descendants au moment de la succession", explique Cécile Sauvage.

Ces objets subaquatiques ont une valeur sentimentale forte. Ils ont été trouvés lors de plongées sous-marines et remontés à la surface par les plongeurs durant plusieurs années. Un objet représente souvent le souvenir d'une sortie en mer.

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Plus de 1600 naufrages sont recensés sur les côtes de l'archipel depuis la fin du XVIIIe siècle. À l'image de la Niobé, navire britannique qui le 21 mai 1874, faisait naufrage sur le récif, non loin du Cap Blanc de Miquelon. Des pipes, des goélettes de bateaux ou encore des bouteilles d'alcool issues de la prohibition font partie des objets que l'on trouve chez les Saint-Pierrais et les Miquelonais. Certains possèdent des collections conséquentes. D'une dizaine à une centaine de pipes pour l'un d'entre eux. Restituer ses trouvailles à l'État ? Il n'est pas d'accord : 

Ça été mon plaisir, j’ai récolté des objets toute ma vie, j’ai pas envie qu’on me pique quelque chose. C’était pas pour faire du ravage, c’était pour avoir des souvenir de notre passé.

un plongeur

Cécile Sauvage et Nathalie Huet entendent les arguments des plongeurs : "On comprend bien l'attachement de tous ces plongeurs à leur patrimoine. Ils ont envie que tout leur patrimoine soit mis en valeur mais les musées ne peuvent pas exposer tout ce qu'on leur donne, ils font des rotations ", explique Nathalie Huet. Le DRASSM est à la tête de dix-huit dépôts d'objets dans le monde ainsi que de 240 musées. La politique du département des recherches est de déposer les objets dans un musée le plus proche de leur lieu de découverte. Sur l'archipel, c'est le musée de l'Arche qui se présente comme le meilleur candidat. Pour le moment fermé au public, des expositions en 2025 seraient envisagées. Des discussions avec le musée de Fécamp en Seine-Maritime sont également en cours pour réaliser une exposition temporaire sur les naufrages de Saint-Pierre-et-Miquelon en 2026. Des expositions qui pourront avoir lieu, seulement si les plongeurs se décident à léguer leurs objets à l'Etat.

Un travail collectif

Pour ses missions de collectes, le DRASSM s'appuie notamment sur le club de plongée de Saint-Pierre, mais aussi sur les connaissances des locaux. Laurent Delaunay, président du club depuis 2023 nous confirme travailler régulièrement avec les chercheurs lorsqu'ils sont en visite sur l'archipel : "Nous les avons amenés sur des épaves de 1800, sur Savoyard par exemple, sans nous ils n'auraient jamais pu avoir les positions des bateaux", confie ce plongeur averti et bénévole. Pour Laurent, participer à l'inventaire des biens culturels maritimes est une question de citoyenneté. De l'autre côté, il confie respecter aussi les passionnés, ceux ne souhaitant pas se détacher de leurs trouvailles au gré des années. 

En 2019, le DRASSM publiait son rapport sur les premiers résultats de sa campagne des vestiges maritimes de l'archipel accessible par tous. Pour les biens déjà répertoriés, ils sont accessibles en ligne sur la vitrine virtuelle du ministère de la Culture. Quant aux derniers prélèvements en 2023 sur des épaves, des premiers résultats ont été communiqués aux participants, mais les identifications des épaves n'ont pas encore été rendues publiques. " C'est un travail de longue haleine, les résultats scientifiques prennent du temps ", précisent Nathalie Huet et Cécile Sauvage.

Aucune nouvelle mission n'est prévue dans l'archipel pour les services de l'État. Plongeurs et ministère poursuivent un objectif commun : conserver le patrimoine local. Un travail de coopération où le temps est compté. Une fois perdus, ces objets ne pourront plus témoigner d'un patrimoine maritime riche et unique au territoire.