A-t-on tourné la page de la lecture ?

Des livres dans une vieille bibliothèque (image d'illustration).
Lire, pour le plaisir, le faites vous encore ? Voilà une bonne semaine que les élèves de l'archipel ont repris le chemin de l'école. Pour certains, la rentrée rime avec apprentissage de la lecture, pour d'autres, on se lance dans la découverte des classiques de la littérature, baccalauréat oblige. Lire à, et pour l'école, c'est une chose, mais en dehors des obligations scolaires, lit-on encore ?

Son canapé, un plaid et un thé chaud... Ou encore, sa chaise de bureau, son lit, le pouf du coin ado de la bibliothèque. Un muret ? Un banc du square Joffre ou de la place du général de Gaulle ? La plage peut-être ? Tous les endroits sont propices à la lecture. Mais aujourd’hui à l’heure des tablettes, des smartphones, des réseaux sociaux, des plateformes de streaming, des chaînes d’info en continu, ... Face à ces écrans qui trônent en maîtres dans notre vie, la lecture, l’objet livre, a-t-il perdu sa place ? 

Dire que ce n’est pas vrai serait mentir. Pourtant, en poussant la porte de la bibliothèque-médiathèque de Saint-Pierre, ou celle de la librairie de l’île, le constat du lecteur en dormance, s’avère être plus subtil. Aujourd’hui, le 12 septembre 2024, à Saint-Pierre et Miquelon en tout cas, on lit encore ! Comment ? Là est peut-être toute la subtilité de cette problématique numérique, virtuelle et impalpable. “Dans tous nos abonnés, la tranche d'âge la plus importante est celle des 40-60 ans. Depuis le Covid, on remarque une augmentation constante chaque année de la fréquentation”.

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Pour Cédric Lebailly, agent de bibliothèque municipale de la ville de Saint-Pierre, avoir un livre entre les mains, c’est le quotidien. Depuis quelques années, il sillonne les allées de la bibliothèque et partage sa passion avec les visiteurs. Il est accompagné de Marie-Lou Hélène, elle aussi agente, “la statisticienne, la reine des chiffres” ironise Cédric. Il a raison. Marie-Lou, en deux temps trois mouvements, nous sort les “stats” de la bibliothèque. Le 11 septembre, à 14h30, ce ne sont pas moins de 11 428 prêts qui sont enregistrés, depuis le 1er janvier, dans les ordinateurs de l’accueil. 

Même si nous accueillons régulièrement de nouveaux lecteurs, on a un petit vivier qu'on essaye de conserver

Cédric Lebailly

Marie-Lou et Cédric sont les références qu’il nous faut pour en apprendre un peu plus sur les habitudes des lecteurs de l’archipel. “C'est marrant, ce matin, on a discuté avec une retraitée de bibliothèque des habitudes de lectures justement et de la fréquentation des bibliothèques en France” sourit Cédric. Il fallait définitivement pousser les portes du lieu aujourd’hui. Il semblerait qu'en comparaison avec l'échelle nationale, ici dans l’archipel, nous sommes plutôt bons élèves en lecture. 600 cartes d'abonnement à peu près pour 5600 habitants. “C’est plutôt pas mal” souligne Cédric. 

Tous les deux ans le CNL - Centre National du Livre - publie une étude barométrique “Les Français et la lecture”. Un moyen de suivre sur les années les tendances, les pratiques, les perceptions des Français sur les livres. En 2023, ils ont sorti la 5e édition du baromètre de la lecture en France. Les conclusions sont assez intéressantes et se rapprochent de ce que l’on peut observer ici dans l’archipel. Selon l'étude, “ 86% des Français se déclarent spontanément lecteurs ". Mais dans ce pourcentage, une tranche d'âge est aux abonnés absents. Sans faire de généralité, l’exception confirmant la règle, les 15-30 ans semblent s'éloigner de la lecture. Pas qu’ils ne lisent pas, mais ils lisent moins, ou autrement peut-être.

L’archipel ne fait pas exception. “Vers 13/14 ans on commence à perdre les enfants” nous confie Marie-Lou, “et ils reviennent ensuite avec la poussette” s'amuse Cédric. Ce constat, Pascale Derible, libraire, le fait également “à l'exception des classiques imposés à l'école, ce n'est pas facile de garder les ados”. 

Existe-t-il des solutions pour faire évoluer le rapport à la lecture de cette tranche d'âge ? 

À cette question, les deux agents de la bibliothèque-médiathèque de Saint-Pierre n'ont pas forcément la réponse. “Finalement, ils reviennent plus tard, quand ils fondent une famille”, c’est d’ailleurs à l'arrivée de nouvelles familles dans l’archipel et à l’approche de la rentrée des classes, en août/septembre, que la bibliothèque enregistre le plus de nouvelles cartes chaque année. 

On a essayé de mettre en place un coin pour les ados, on a investi dans de gros pouf, des romans jeunesse, mais ça n’a pas vraiment marché

Cédric Lebailly

Du côté de la librairie, Pascale Derible remarque que les séries jeunesse, les “belles histoires d’amour et d’ados” ça marche plutôt bien. Après, comme l’ont également observé Cédric et Marie-Lou à la bibliothèque “les mangas c’est le truc du moment ! ”. Pascale se rassure, amoureuse des livres et de la littérature, elle nous confie que certains classiques ont été adaptés en mangas. Une véritable découverte. “Les trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas, la Peste d'Albert Camus, ou encore les Misérables de Victor Hugo sont disponibles en version manga et ça permet d’aborder les classiques différemment", et de les découvrir aussi. 

Quelles sont les pratiques aujourd’hui alors ? Qui lit ? Et surtout comment lit-on ?

À la bibliothèque, c'est assez simple d'établir un diagnostic. 11 428 prêts. Ce chiffre, somme toute très important, se décompose. 8133 livres empruntés depuis le début de l’année et ce sont eux qui ont la vedette. Chez les adultes, les femmes semblent un peu plus présentes, avec 2068 emprunts contre 1564 chez les hommes. Chez les enfants, c’est l’inverse ! Plus de garçons empruntent des livres. Au niveau des emprunts, on retrouve aussi les périodiques en bonne position dans le classement. Au nombre de 1949 depuis janvier, on voit qu’ils intéressent les lecteurs, principalement adultes, même si les petits ont aussi leurs magazines favoris. 

Et puis il y a les DVD, hors concours pour ce qui est de la lecture, mais tout de même, assez important pour être souligné “les DVD en locations attirent beaucoup, qu'il s'agisse de films, de documentaires. Ils viennent en famille, le plaisir de choisir ensemble et de partager un moment ici et à la maison ensuite”. Même dans notre rédaction, certains aficionados des films, avouent ne même pas savoir que l'on peut emprunter des DVD à la bibliothèque-médiathèque. Mais pour cela, encore faut-il avoir sous la main un lecteur, mais c’est une autre histoire. 

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La tranche d'âge, 40/60 ans, est la plus représentée en dehors des familles, qui profitent aussi des lectures de Cédric pour les plus jeunes. Les retraités, un peu aussi, mais pas tant. Du côté de la librairie, Pascale confirme que les familles sont aussi de bonnes clientes. Les parents mettent très tôt des livres dans les mains des enfants et cette tradition ne semble pas s'arrêter. "Ceux que l’on voit le moins sont les retraités" précise-t-elle. Pour Pascale, c’est logique car “les livres coûtent cher, de plus en plus cher. Même si on fait tout pour limiter l’impact, avec la crise Covid le papier a énormément augmenté, et les frais d’envoi et les taxes sont de plus en plus importants” nous confie-t-elle. 

Où se fournissent les autres lecteurs ?

La traditionnelle bouquinade des Lions pour le téléthon, les ventes de garage, le troc, les bibliothèques de rue. Tous les moyens existent aujourd’hui pour continuer à profiter de la lecture. 

Les retraités non pas les moyens d’acheter des livres ou pas beaucoup, ils les empruntent, se les partagent les uns les autres ou alors vont aux bouquinades

Pascale Derible

Une autre tendance, qui selon Pascale, ne durera pas, ou s'épuisera par lassitude des consommateurs peut-être, c’est la liseuse. “En voyage, c’est pas mal, mais avouons qu’avoir un vrai livre entre les mains, c’est mieux”.

De son côté, à la bibliothèque Cédric à aussi son avis sur le virtuel “le livre reste un objet, ce n'est pas virtuel. Avoir quelque chose entre les mains, qui avance, voir le nombre de pages qui réduit, c'est visuel, c'est concret”.

Que ce soit grâce à un support virtuel ou matériel, la bonne nouvelle tout de même, c’est que les lecteurs n'ont pas disparu et que le livre et la lecture semblent encore avoir de belles années devant eux.Et puis après tout, mieux vaut avoir un bon bouquin ou plusieurs sous le coude, on ne sait jamais, l’hiver arrive, internet pourrait faire des siennes, et laisser ainsi un peu de paix à nos cerveaux bien trop sollicités.