Comme à chaque fois qu’il doit se rendre sur son lieu de travail, c’est en bus que Sybil effectue le trajet pour rallier l’université de l’Illinois à Chicago. Un trajet d’une petite heure pendant lequel le Saint-Pierrais lit et se ressource. Un trajet qui prouve qu’il se sent bien sur les rives du lac Michigan. Après avoir beaucoup bougé lors de son cursus universitaire, c'est ici qu'il a élu domicile avec son épouse il y a près de douze ans. "J'aime beaucoup mon quartier à Lakeview. Je me suis créé mon petit cocon. Je me plais beaucoup à Chicago. J'ai eu une fille, je me suis marié ici."
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Arrivé en 2012 dans la Windy City, ce sont les mallettes pleines d'expériences que Sybil officie aujourd'hui en tant que professeur en génie civile à l'université. Un master à Londres, une année à Lyon, un doctorat à Toronto sur les propriétés des réseaux de métros dans le monde, puis une année à Singapour. Son CV parle pour lui. Pourtant, enseigner ne fut pas tout de suite une évidence. Comme il l'explique, deux choix se sont présentés à lui. "Souvent quand tu finis, tu peux être consultant en urbanisme. Admettons, quand on veut installer une nouvelle ligne de tramway, on nous consulte. Je ne savais pas trop si je voulais faire ça. J'ai eu l'opportunité d'aller à Singapour et c'était génial pendant un an. Puis j'ai eu l'opportunité de devenir professeur à l'université de l'Illinois. J'aime beaucoup le système académique en Amérique du Nord. Les professeurs sont très indépendants dès le départ."
Les cinq premières années en tant que professeur-assistant lui montrent toutefois la complexité du métier. Il se souvient avoir dû gérer des problématiques qu'il ne connaissait pas. "C'est compliqué. Il faut aller chercher des étudiants, trouver des étudiants puis les former. Les premières années sont difficiles. Tu es en CDD pendant cinq ans le temps de faire tes preuves."
"Mon créneau, c'est de regarder les villes dans un but de développement durable"
Enseigner certes, mais Sybil conserve tout autant sa casquette de chercheur. Son quotidien est rythmé par les divers travaux scientifiques qu'il mène et publie régulièrement. Le but : rechercher, puis restituer pour communiquer. Toujours dans le domaine de l'ingénierie civile. "Mon créneau, c'est de regarder les villes dans un but de développement durable", explique-t-il.
Récemment, il a d'ailleurs rejoint le projet OSCUR, un programme ambitieux de collecte de données mené conjointement avec l'université de New York et l'université de Washington à Seattle. Il est aussi un des auteurs du septième rapport de l'ONU sur l'avenir de l'environnement mondial qui sortira en fin 2025 ou début 2026.
Il y a beaucoup d’interdépendances entre les infrastructures qui ne sont pas étudiées. Il faut voir cela comme un écosystème. Comprendre comment ces infrastructures travaillent ensemble, pour qu'elles soient plus durables.
Sybil Derrible
L'énergie, les transports, les déchets, l'eau et les flux humains sont donc passés au crible par Sybil. Le chercheur s'intéresse aux infrastructures en tant que telles, mais aussi aux modes de vies de la population qui ont des répercussions directes. "Ta consommation d'électricité a par exemple un lien direct avec ton transport. S'il faut que tu conduises une heure pour aller au boulot, tu consommeras de l'électricité jusqu'à 7h du matin. Alors que si tu as dix minutes de transport, tu consommeras de l'électricité jusqu'à 8h."
S'il agrandit la connaissance scientifique avec ses collègues chercheurs, Sybil souhaite aussi la vulgariser. Pour cela il a écrit un livre en 2019 qui visait les étudiants de son secteur d'activité. En mars 2025, un second ouvrage est prévu de sortir sur le fonctionnement des infrastructures. "C'est vraiment de la vulgarisation scientifique cette fois. Comment ça marche dans le monde entier."
De l'abstrait au concret
"C'est vrai que c'est pointu. Sinon ce ne serait pas de la recherche", lance-t-il avec humour. Pourtant, certains de ses travaux sont palpables. Notamment sur la transition énergétique. "Plein de villes souhaitent passer du diesel à l'électrique pour leurs bus. Ils veulent donc savoir combien de gaz à effet de serre ils vont pouvoir sauver. Pour cela on développe un outil de calcul."
Et pour ce qui est de Saint-Pierre et Miquelon, l'enseignant conserve encore ici, son œil d'expert. Dès qu'il peut, Sybil rentre dans l'archipel et en profite pour visiter les différentes structures en place. Selon lui, les moteurs diesel sont à court terme une solution viable en matière d'énergie. Mais à moyen terme, il pense que des câbles électriques sous-marins provenant de Terre-Neuve pourraient aussi être une solution. "On pourrait garder des moteurs diesel. Mais ça ferait sens de coupler ça avec un câble sous-marin. Ce qu'on veut c'est avoir des sources directes. Quand la technologie sera plus avancée, on pourrait aussi avoir des hydroliennes. C'est comme des éoliennes mais dans l'eau.."