Pour Dorian, la vie d’étudiant commence par une passion et des questions. Avec son bac en poche, il quitte l’archipel en 2011 pour Annecy en Haute-Savoie où il espère jouer au hockey tout en passant un diplôme en technique de commercialisation à l’IUT, mais sans savoir encore où cela pourrait le mener. “Je ne savais pas trop quoi faire en arrivant”, avoue-t-il un brin malicieux. “J’espérais trouver ma voie au bout des deux premières années entre les études et le hockey. Soit l’un, soit l’autre”.
Espiègle et déterminé, le jeune homme met d’entrée toutes les chances de son côté en obtenant un arrangement avec l’équipe des Chevaliers du Lac d’Annecy.
Sitôt installé dans sa résidence universitaire, il achète une voiture qui lui permet d’aller aux entraînements après les cours dans une région qu’il a choisi sciemment pour le hockey mais pas seulement : “Ma sœur n’habitait pas loin, à Chambéry, et puis je voulais surtout trouver un coin sans Saint-Pierrais pour vraiment découvrir autre chose. Je ne voulais pas aller à Nantes, Montpellier ou Caen où l’on en trouve beaucoup avec le risque de ne rester qu’entre nous”.
Je faisais de la route pour aller retrouver mes potes du caillou à Chambéry, Grenoble, Amiens etc.
Dorian Cormier
Sur place, Dorian ne tarde pas à se faire de nouveaux amis au sein d’une formation qui lui convient et qui le cadre bien. “Je n’aurais pas pu aller à l’université, car je n’étais pas un élève très organisé”, s’amuse-t-il. “C’était chouette de rester dans un système scolaire en contrôle continu comme au lycée, tout en découvrant l’indépendance”, poursuit-il en intégrant notamment au passage le Bureau des étudiants (BDE) où il se retrouve en charge de l’organisation des soirées.
À l’issue de ses deux premières années, il obtient son diplôme (DUT) tout en se faisant une place chez les Chevaliers avec qui il dispute quelques matchs en Deuxième division et même en Première. De quoi négocier le passage d’une licence en sport-études pour s’initier au management de la relation commerciale. “J’avais le commerce en tête à l’époque et ça me plaisait bien d’essayer de devenir manager pour avoir à gérer une équipe”, nous explique-t-il.
Mais sportivement, l’équation se complique à Annecy où ses performances sur la glace lui font réaliser qu’il aura du mal à faire de cette passion son métier. “Dans ma classe, il y avait vraiment des sportifs de haut niveau comme des skieurs qui préparaient les Jeux Olympiques”, se souvient-il. Ayant l’impression de ne plus être forcément à sa place, il réalise un stage de 6 mois comme assistant en web marketing avant de “mettre un coup de collier” pour boucler sa licence en une année contre deux pour ses camarades qui bénéficiaient de cet ajustement particulier. “Cela m’a permis de ne pas prendre de retard dans mon parcours pour envisager l’avenir plus sereinement”, analyse-t-il.
Habitant en couple à ce moment-là avec Manon, qu’il avait rencontrée dès l’année de son arrivée, le jeune homme se pose avec elle des questions sur son avenir. Que faire désormais ? Lors d’un salon étudiant, ils découvrent tous les deux la solution de l’alternance qui leur permettra de “s’intégrer dans le monde professionnel tout en gardant un rythme scolaire”.
Dorian opte alors pour un Master en management marketing, toujours à Annecy. “J’étais devenu hyper attaché à cette ville où je pouvais continuer mon sport, et puis en tant que Saint-Pierrais, on aime bien être dans un endroit qu’on connaît bien”, s’amuse-t-il. Pour lui, c’est aussi un déclic dans son parcours étudiant. “C’est enfin le moment où je travaille des choses que j’aime. Ça devient super intéressant, même si professionnellement, c’est d’abord un peu compliqué”, nous avoue-t-il.
Assistant marketing commercial, dans une société qui fait du conseil pour le web, il n’est pas en phase avec sa direction au point de casser son contrat professionnel. C’est une prise de risque quand on sait que ce sont les entreprises qui financent l’intégralité de ces formations en alternance. Dorian se débrouille alors pour intégrer un magasin de la Fnac en tant que simple vendeur. “Je me suis dit que c’était le meilleur moyen de connaître vraiment le commerce pour ensuite aller plus loin”, explique-t-il en précisant qu’il avait déjà fait ses armes dans l’archipel.
J’avais déjà travaillé chez Letournel ou chez Dagort quand je revenais l’été à Saint-Pierre et j’aimais bien le contact client
Dorian Cormier
Avec son Master en poche et d'excellentes notes, le Saint-Pierrais termine deuxième de sa promotion et a enfin compris ce qu’il voulait faire dans la vie. Le directeur de la Fnac où il travaille lui offre alors l’opportunité rêvée d’y parvenir. “Il m’a proposé un poste de responsable commercial dans un magasin franchisé qui allait s’ouvrir à Thonon-les-Bains”. Ça tombe bien, c’est dans ce coin, situé à une heure de leur domicile, que sa compagne vient tout juste d’être embauchée. Dorian déménage et se retrouve vite à tout juste 22 ans avec 6 employés sous sa responsabilité.
“Au départ, on avait carte blanche dans un magasin vide. Il fallait recruter une équipe de vente et remplir tous les rayons”, se souvient-il encore excité par ce défi réussi. “Je me sens tout de suite bien et je m’éclate là-dedans”, poursuit-il, “même si ça peut être un peu délicat de gérer des gens plus âgés que toi. J’avais quelques théories apprises à l’école, mais sur le terrain, ce n’est pas pareil, il faut être crédible, faire preuve de résilience, de partage et surtout être exemplaire”.
De la France à la Suisse
Après une première année et demie très réussie en termes de chiffre d'affaires pour son magasin, Dorian se sent pousser des ailes lorsqu’il est démarché par le groupe Manor qui emploie près de 8 000 personnes de l’autre côté de la frontière. “Manor en Suisse, c’est un peu comme les Galeries Lafayette en France”, nous explique-t-il. L’entreprise compte alors une soixantaine de grands magasins mais aussi des restaurants et des supermarchés dans un pays où le salaire est plus attrayant pour les travailleurs français. “Oui, le salaire me plaît, on vient me chercher et on me propose de me payer trois à quatre fois plus qu’à la Fnac”, avoue Dorian qui se dit aussi très attiré par le défi de gérer cette fois-ci pas moins de 15 employés dans un territoire montagneux qu’il ne connaît pas, à Monthey, dans le canton du Valais. “C’est un canton très chauvin et anti-frontalier, mais ça me plaisait de me challenger aussi par rapport à tout ça”.
S’il doit désormais composer avec une heure de route pour rallier sa nouvelle entreprise, Dorian trouve tout de suite ses marques dans la confédération helvétique. Il gère le rayon multimédia librairie d’un grand magasin où il s’implique dans de nombreux projets avant de gravir des échelons. Un poste de chef des ventes s’ouvre en 2018, il demande l’accord de ses collègues avant de postuler et d’obtenir le feu vert de sa direction. À tout juste 25 ans, il entre “dans une autre dimension”. Il est désormais responsable de trois cadres et d’une trentaine de collaborateurs.
Ascenseur émotionnel
Tout va pour le mieux avant que n’arrive… le covid. “Ça m’a coupé un peu les ailes”, se souvient ce jeune manager ambitieux qui moins de deux mois après sa nomination voit son magasin fermer pour cause de crise sanitaire. Et les choses vont empirer à l’été suivant lorsque le groupe annonce une restructuration par souci d'économie en supprimant au passage la fonction de chef de vente en magasin... le tout nouveau poste de Dorian.
Je l’apprends par une collègue qui me téléphone alors que je suis en vacances dans le sud de la France avec ma femme au bord de la piscine. Et là elle me dit, “c’est fou ton poste n'existe plus !”
Dorian Cormier
Mais Dorian n’aura pas vraiment le temps de déprimer ce jour-là. Une heure plus tard, son directeur régional l’appelle pour lui expliquer qu’il vient de négocier la création d’un “vivier de relève”. Comprenez par là qu’il compte conserver un groupe de seulement quatre chefs de vente sur toute la Suisse Romande. Et Dorian en fait partie. “C’est complètement fou”, se souvient-il. “Je passe du licenciement économique à la signature d’un contrat où l’on me promet un poste de directeur de magasin dans les 18 mois”.
Sur le papier, c’est magnifique et gratifiant. Il se retrouve dans un nouveau canton à Vevey où les choses ne vont finalement pas bien se passer. “C’était un an de galère. Je suis tombé dans un magasin où ils venaient de licencier quatre chefs de vente et moi on m’imposait dans l’effectif à leur place”, nous explique-t-il. Si ses relations sont très bonnes avec ses collaborateurs directs, elles s’avèrent vite très compliquées avec sa hiérarchie qui le considère “comme un intrus”. Il a beau découvrir pour la première fois les joies de la paternité, cette période-là sera stressante jusqu’à son licenciement pour raisons économiques. En 2022, Dorian se retrouve au chômage.
La découverte du métier de papa
“Ma carrière était tellement tracée dans ma tête que c’était une situation où je ne savais pas quoi faire”, se souvient-il, avant de réaliser qu’il a laissé échapper la première année de vie de son enfant. “Je consacrais à mon travail plus de 95% de mon temps et moins de 5% à ma famille. Du coup, au début, je ne savais plus comment prendre ma place à la maison”, se confie-t-il.
Ça m’a vraiment fait réaliser à quel point la famille était importante
Dorian Cormier
Très vite, Dorian réalise qu’il ne veut surtout plus de ce rythme qui le faisait quitter son domicile à 6h45 le matin pour n’y revenir qu’à 20h15 le soir, et ce six jours sur sept. Pour ne pas retourner dans le commerce, il essaye de trouver un emploi dans le marketing, mais sans succès au vu de son manque d’expérience dans ce domaine qu’il a pourtant étudié. Il décide alors de faire une pause pour lui et pour Charly. “Je me suis dis ok, je deviens père au foyer et je rattrappe l’année écoulée avec mon fils.”
L’art de rebondir
Une année pour apprendre à se connaître. Une année de complicité qu’il assume pleinement, et ce malgré une situation financière plus compliquée car le couple venait entre-temps d’acheter son tout premier appartement à Thonon-les-Bains. Mais rien de grave pour ce jeune père qui s’épanouit loin du stress quotidien. Comme il le dit si bien, il a“perdu un peu de plume, mais gagné tellement plus”.
Alors qu’il tente de rassurer ses proches qui stressent plus que lui, Dorian va finalement être contacté à la fin de l’année par le plus grand employeur suisse. Pour vous donner une idée, Migros, c’est 97.500 collaborateurs au pays du chocolat. On lui propose alors 3 mois de contrat à Genève pour devenir responsable marketing signalétique et décoration. “Ça m’a plu car je pouvais gérer des équipes et faire du marketing tout en apportant mes compétences dans le commerce”, explique-t-il. Et apparemment son travail plaît aussi à sa direction qui l’a depuis embauché en CDI.
Je suis plutôt du genre à vivre à fond mais je me trouve très chanceux d'être là où je suis par rapport à mon âge. Je me suis marié, je suis propriétaire et très satisfait de ce que j ai .
Dorian Cormier
Un enfant du caillou
Si Dorian a déjà hâte de rentrer dans l'archipel l’été prochain pour enfin présenter son fils à ses proches, il se rappelle encore avec émotion des tendres moments de son enfance sur place. “Je garde d’excellents souvenirs de mon éducation saint-pierraise” nous dit-il, en évoquant la sécurité et surtout la liberté qu’il ressentait comme par exemple quand il partait “dîner chez mamie le midi avant de prendre le bus”.
Ce qui lui manque le plus au-delà de sa famille et de ses amis, c’est la proximité. “Là-bas, le temps de route est inexistant, là où moi je perds deux heures par jour en voiture pour me rendre à mon travail. C’est du temps de vie qui est perdu”, constate-t-il tout en se demandant comment il pourrait un jour revenir sur le caillou : “Je ne sais pas pour le moment ce que je viendrais y faire et surtout quelle serait ma valeur ajoutée pour le territoire. Je n’ai pas envie de rentrer pour rentrer, mais c’est toujours dans la tête”, évoque-t-il avec nostalgie avant de poursuivre sur le parcours de ses amis restés sur place et devenus parents comme lui. “J’ai hâte de rentrer en vacances pour que cette nouvelle génération puisse enfin se rencontrer”.