À Saint-Pierre, un compost municipal pour remplacer les engrais chimiques

La ville de Saint-Pierre récupère depuis 2017 les biodéchets des habitants pour en faire du compost. L'objectif, à terme, est de réduire les importations d'engrais venus du Canada et de l'hexagone et de fournir les agriculteurs de Miquelon en fertilisant naturel. 

On ne décèle aucune odeur, si ce n'est une légère fragrance de sous-bois. À la décheterie de Saint-Pierre, des amas d'épluchures et autres biodéchets s'accumulent à l'air libre, mais la décomposition ne se fait pas sentir. "Certains agents savent si le compost est bien mélangé, rien qu'en reniflant", sourit Christophe Caignard, qui pilote la visite de la plateforme de compostage de la ville. Le chargé de mission pour la gestion durable des déchets s'avance vers un immense tas d'engrais naturel marron et le montre du doigt. "Avec ce compost, on réduit d'environ 30 % le tonnage de déchets brûlés en décharge."

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Depuis 2017, la municipalité collecte les biodéchets des habitants de la commune, via un système de tri et de ramassage. Ils sont ensuite mélangés avec du bois broyé récupéré en décheterie et transformés en compost. Du fumier est également fabriqué, notamment grâce aux ordures du centre équestre de l'île.
 

"Les agents de collecte ne ramassent pas les sacs poubelles où les biodéchets sont mal triés. Cela incite les citoyens à contribuer à la valorisation de ces déchets."

Maïté Légasse, adjointe au maire pour la transition écologique et l'environnement


L'idée, lancée en 2008, visait au départ à éviter le ruissellement de déjections animales vers la mer, non loin des bâtiments de la Quarantaine, au sud-ouest de Saint-Pierre. L'initiative a ensuite été élargie au système actuel. "On traite environ 250 tonnes de biodéchets par an, et 100 tonnes d'excréments d'origine animale", reprend Christophe Caignard. "Au final, on produit 150 tonnes annuelles de compost et 70 tonnes de fumier."



Le compost de la municipalité répond à des besoins locaux, selon Maïté Légasse, adjointe au maire chargée de la transition écologique et de l'environnement. "À l'heure actuelle, ce compost sert aux espaces verts de la municipalité et aux particuliers, qui viennent en chercher pour leur propre jardin. Mais à terme, l'objectif est de pouvoir l'utiliser pour enrichir les terres agricoles de Miquelon", précise-t-elle sans donner d'échéance. "C'était le but affiché quand la plateforme de compostage a été montée."

Dans cette optique, le fertilisant a récemment obtenu le label NFU 44051, qui permet son utilisation dans l'agriculture. "Tout ce qui est composté contribue à l'économie circulaire du territoire", affirme Maïté Légasse. "Ca évite d'importer des fertilisants chimiques et ça fait des économies parce qu'on n'a pas à payer le transport, justement." L'adjointe au maire ajoute que "des discussions sont en cours" avec l'hôpital de Saint-Pierre, dont les biodéchets ne sont pour l'instant pas récoltés. "Un contrat professionnel devrait voir le jour rapidement avec le centre hospitalier François Dunan."
 

Quand le compost a atteint sa phase de maturation, il faut le rentrer pour l'assécher. Le produit est ensuite passé au crible.


 

Après avoir été passé au crible, le compost est prêt à la vente.


L'élue le concède, le compost de la mairie de Saint-Pierre n'est pas certifié biologique - "on ne peut pas contrôler ce que les gens mettent dans leurs poubelles" - mais il a tout de même "une visée écologique". Christophe Caignard approuve. "Le compostage a un pouvoir intéressant sur le cycle du carbone, puisqu'on retourne la terre et la matière organique, et donc on emprisonne du carbone", explique-t-il. "Cela permet de lutter à notre échelle contre le réchauffement climatique."

Du goémont et du compost pour les particuliers


À Saint-Pierre, comme à Miquelon, l'initiative séduit. Chaque année, des particuliers investissent dans le compost de la mairie. Et ce, même si les prix affichés sont avant tout pensés pour les grandes exploitations - 60 euros / tonne pour un achat de moins de 1 000 kilos, entre 40 et 50 euros / tonne pour plus de 10 tonnes. "J'en ai acheté ces trois dernières années", témoigne Vicky De Arburn. "Et j'en suis très satisfaite : c''est facile à utiliser, c'est livré directement chez moi et on voit les résultats dans le jardin." 

"Petit à petit, chacun s'y est mis", confirme Maïté Légasse. "À la fois pour la collecte et pour l'utilisation du compost." Vicky De Arburn, elle, a choisi cet engrais naturel pour entretenir son jardin et ses pâtures à Miquelon. Tous les ans, elle fait venir 7 tonnes de compost de Saint-Pierre par bateau, dans la benne à ordures affrétée par la mairie de Miquelon-Langlade. "Je paie environ 370 euros pour le compost et 40 euros pour le transport." Pour d'aussi grandes quantités, le compost municipal est la meilleure option, selon la jeune Miquelonnaise. "D'autant qu'il y a un service après-vente. Si j'ai besoin de conseils, j'appelle la mairie et j'ai tous les renseignements."

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L'engouement pour les fertilisants naturels existe depuis des années dans l'archipel, au sein d'une communauté de jardiniers amateurs passionnés. Beaucoup utilisent encore dans leur potager du goémon, un mélange traditionnel d'algues marines brunes, dont on extrait l'iode et la soude pour en faire de l'engrais. En témoignent les nombreuses publications sur le sujet sur le groupe Facebook "Jardiner à Saint-Pierre et Miquelon"

Je fais mon propre compost depuis des dizaines d'années. Cela me permet de l'utiliser dans mon jardin.

Dominique Gouverne, jardinier amateur


Pour ces passionnés, le compost est aussi une solution. Avant l'initiative de la mairie, certains particuliers avaient d'ailleurs déjà adopté cet engrais maison. Dominique Gouverne est l'un d'entre eux. Arrivé en 2000 dans l'archipel, il a commencé à en fabriquer pour son usage personnel il y a plusieurs dizaines d'années. "C'était pour moi tout naturel : je viens de la campagne, mes grands-parents en faisaient et à Saint-Pierre, il n'y avait pas de dispositions comme maintenant." Il souhaitait réduire ses ordures, tout en protégeant l'environnement et "le vivant dans sa globalité".

Aujourd'hui, il continue d'en préparer, et allie le compost à des techniques de permaculture pour "nourrir le sol et rétablir les micro-organismes qui le compose". Comme d'autres, il partage ces méthodes, via les réseaux sociaux. "Le jardin est vraiment un retour à la terre, et encourager les gens à y retourner ne peut être que bénéfique pour chacun", conclut-il.