Celle qui passionne l’opinion publique est arrivée ce mercredi 5 avril par un vol d’Ethiopian Airlines, le visage barré d’un cache-nez, un voile sur la tête, dans une vaine tentative de se soustraire aux yeux du public. Nazra Said Hassani est attendue par ceux qui l’accusent de les avoir escroqués et ils sont plutôt nombreux. Le petit monde politico-judiciaire et financier est en ébullition depuis l’éclatement de cette affaire qui aurait débuté il y a plus de 2 ans, et qui est loin d’avoir livré ses secrets. Le préjudice s’élèverait à quelques millions d’euros et les victimes présumées (banquiers, agents comptables, politiciens, opérateurs économiques, inspecteurs des impôts, douaniers) se compteraient par dizaines. L’enquête n’en est qu’à ses débuts et Nazra bénéficie donc comme tout justiciable de la présomption d’innocence.
Un système d'arnaque bien huilé
Tôt dans la journée du 4 avril, l’on apprend que cette vingtenaire se fait arrêter à Madagascar alors qu’elle tentait de fuir le pays. Dès lors, la machine s’emballe et les informations (les rumeurs les plus folles aussi) circulent. Elle a pu quitter le territoire sous une fausse identité, en compagnie de son mari (cadre dans une banque de la place) et de leur enfant. La photo de la jeune femme fait la Une des réseaux sociaux.
Les Comoriens font alors la connaissance de cette femme au visage encore poupin et au regard doux qui est accusée d’avoir mis en place un système s’apparentant à la Pyramide de Ponzi. En réalité, le mode opératoire (comme tout le reste) est à déterminer. Selon des sources concordantes, elle demandait à « ses clients » d’avancer à Huawei sous forme de placement, des sommes qui leur seront ensuite rendues avec un taux d’intérêt oscillant entre 10 et 20%, l’entreprise chinoise étant dépourvue de comptes bancaires aux Comores.
« Vous croyez qu’elle nous a eus grâce à ses beaux yeux ? Elle m’a montré le contrat qui le liait à Huawei (IFM AGREEMENT between Huawei Technologies and Halfat Styles) pour m’appâter et ça a plutôt marché », témoigne ce cadre. « Pour moi, poursuit-il, je ne traitais pas avec cette jeune femme mais avec une multinationale qui a pignon sur rue. Prudent, j’ai commencé par donner des montants raisonnables, qui m’étaient remboursés entièrement dans des délai courts, commissions comprises », relate notre interlocuteur. Celui-ci, « parrainé » par un ami avait au préalable pris le soin de mener une enquête qui s’est révélée « satisfaisante », raison pour laquelle il s’est lancé.
D'importantes sommes en jeu .
Et de fait, durant 6 mois, tout se passe bien pour lui. Mais à compter du début de l’année, il est bien obligé de se rendre compte que quelque chose ne tourne pas rond. « Puisque j’étais en confiance, j’ai misé une plus grosse somme, 15 000 euros, toutes mes économies et je devais récupérer mon capital fin janvier. Mais chaque fois que j’allais la voir, elle me donnait une nouvelle date , me faisait patienter en évoquant un problème de virement. En même temps, parlait de son réseau tel ce pilier de la principale formation au pouvoir, la Convention pour le Renouveau des Comores et cela me calmait. D’autres fois, elle me parlait d’agents des impôts ou de tels officiers de gendarmerie qui servaient d’intermédiaires pour de grands commerçants », raconte longuement notre source qui en a gros sur le cœur. Jusqu’au mardi, ce cadre qui cherche depuis janvier à récupérer son placement était loin de se douter de l’importance des sommes en jeu. Un peu tard, il comprend qu’il lui sera très difficile de récupérer sa mise. Les montants sont conséquents, la liste d’attente très longue. Le système s’effondre. Ils sont nombreux, d’un coup, sentant le danger, à vouloir retirer leurs capitaux. Celle qui était employée chez Huawei (elle aurait été remerciée depuis quelques mois) est cernée de toutes parts. « J’ai joué et j’ai perdu mais je suis avant tout une victime », soupire-t-il. Une autre victime présumée parlant de Nazra, loue son assurance à toute épreuve et son bagout. « Ce n’est pas pour rien qu’elle a mis toutes les grosses pontes dans sa poche, elle savait y faire », reconnait-elle amère.
Maintenant, reste à faire la lumière sur cette nébuleuse affaire et à situer les responsabilités. Contacté, le ministre de la justice, Djae Ahamada Chanfi a indiqué qu’il se prononcerait au moment opportun. En tout cas, difficile de croire que la jeune femme a agi seule mais donc avec qui ? « Un opérateur économique voulait porter plainte contre Nazra pour escroquerie mais il en a été empêché par un haut dignitaire du régime qui s’est porté garant », avance cet interlocuteur. « Cette affaire sera bâclée comme souvent ici sinon ce sera une déferlante qui va emporter beaucoup de monde et pas la plèbe » prédit-il.