Dans la famille Permalnaïken, nul besoin d'attendre la Toussaint pour s'adresser aux ancêtres. Il suffit de pénétrer dans l'enceinte du temple familial, aux Trois-Bassins, pour rencontrer un petit autel, à l'extérieur du bâtiment.
Sur cet autel brille une lampe à huile. Posés à côté, un verre d'eau, quelques fleurs fraîches, et de l'encens qui a été allumé. Tout a été soigneusement nettoyé avant les prières. "C'est comme si mi té ariv' la kaz mon grand-père, et mi nettoye un peu sa maison", explique Pajani Maroudé, bénévole du temple Ardi Parashakti Mariamen de Trois-Bassins.
Regarder le reportage de Réunion La 1ère :
"Quand je viens là, je vois mon papa et je lui demande ce que je veux", explique quant à elle Velaïye Permalnaïken, 80 ans. Bien que son père soit décédé, son âme est toujours là, fait-elle comprendre, avant de se prosterner devant le petit autel.
Des feuilles de manguier pour leur souhaiter la bienvenue
A quelques mètres de là, Serge Ajaguin-Permalnaïken, l'officiant, s'active à couper des feuilles sur le manguier de la cour. Représentant le serpent qui orne le cou du dieu Shiva, elles seront suspendues en haut de la porte du temple, pour souhaiter la bienvenue. Aux vivants comme aux morts. "Ça leur dit que la maison est préparée. Ils savent que la maison a été nettoyée, tout est prêt, et ils peuvent entrer", souligne Serge Ajaguin-Permalnaïken.
"C'est pour que toutes les choses qui sont bonnes rentrent dans la maison, et les choses négatives restent à la porte, à l'extérieur de la maison"
Serge Ajaguin-Permalnaïken, officiant du temple Ardi Parashakti Mariamen
Un moment de recueillement au cimetière
Après le temple, direction le cimetière. Ici, pas réellement de cérémonie. Il s'agit plutôt de décorer la tombe carrelée de jaune, de quelques fleurs, d'allumer une lampe à huile et un peu d'encens devant les photos des défunts. Et pourquoi pas d'ajouter quelques gouttes de parfum ici et là.
"On met du parfum pour que les fleurs sentent bon, et la fumée d'ouloupati monte au ciel et prévient le dieu Shiva qu'on est en train de prier notre papa et notre maman", décrit Velaïye Permalnaïken, avant de se recueillir.
Un verre d'eau pour les "voyageurs"
Comme sur le petit autel dédié aux ancêtres au temple, il y a aussi un verre d'eau. "L'eau, c'est pour les voyageurs. Ils ont soif en arrivant ici après un long voyage, il faudra leur offrir de l'eau en premier", expliquent Velaïye et Serge. "Il y en a qui offrent aussi de l'alcool et des cigarettes, ça dépend de si les grands-parents fumaient ou buvaient leur "ti coup d'sec" comme on dit".
Mais pas d'autres offrandes au cimetière. L'hommage aux défunts se poursuit ensuite à la maison, avec un repas préparé pour les morts appelé "semblani".
La vraie fête des morts au mois de septembre
Ce 1er novembre, beaucoup de familles tamoules se rendront au cimetière par habitude. Une habitude héritée du calendrier catholique, alors que l'hindouisme possède sa propre date pour honorer les proches décédés : "Mahalaya Amavasya", au mois de septembre.
A l'occasion de cette fête, la maison est nettoyée, et une cérémonie est organisée au bord de la mer, avec des offrandes de feuilles de bétel, des noix d'arec, du riz cuit... Les noms des proches décédés sont alors cités, et des boules de riz, une noix de coco et de l'encens allumé sont offerts aux ancêtres.
Un repas végétarien
Le tout est ensuite laissé à la mer avant de se rendre au temple.
"On prie le dieu Shiva, on allume une lampe avec du ghee, le beurre clarifié, et ensuite on retourne chez nous mettre le semblani, un repas purement végétarien et sans alcool" décrit Serge Ajaguin-Permalnaïken.
Entre deux traditions
"Quand on est arrivés là on a été obligés de prendre la tradition catholique, raconte Serge Ajaguin-Permalnaïken. Nos parents sont encore dans cette coutume-là, avec les deux religions".
Néanmoins, il estime que la communauté est dans une "période charnière", et que la jeune génération, à l'avenir, ne respectera plus que la tradition tamoule.
Ce faisant, ils n'auront plus à venir au cimetière, puisque selon la tradition, les morts sont incinérés, et leurs cendres répandues au bord d'un cours d'eau, notamment le Gange en Inde, ou à la mer.
"La mort, c'est la libération de l'âme"
Serge Ajaguin-Permalnaïken décrit ce rapport particulier que les hindouistes entretiennent avec la mort. "La mort, c'est la libération de l'âme de ce corps qu'on a emprunté. Il faut rendre à la nature ce qui lui appartient. Il nous reste l'âme, immortelle", explique-t-il.
"Nous croyons à la réincarnation. La mort, ce n'est pas quelque chose d'effroyable pour un hindouiste, au contraire. Il y a quand même la douleur d'être séparé de quelqu'un (...), mais au fond de nous, on est joyeux. (...) Parce que celui qui est parti, il est libéré. Nous, on doit encore souffrir ici"
Serge Ajaguin-Permalnaïken
L'âme réincarnée, ou de retour auprès du dieu Shiva
La réincarnation elle, est "un nouveau cycle par rapport à nos actes", expose l'officiant. Une autre vie donc, après la mort, mais qui sera déterminée par ce qui a été accompli par le défunt lors de sa vie. "Soit on doit rester sur cette terre, soit on revient au dieu Shiva", achève-t-il.
D'où l'importance des nombreux rituels funéraires dans l'hindouisme, lorsqu'une personne décède, pour purifier l'âme.
"On fait beaucoup de prières pour que l'âme (...) retourne en Shiva lui-même. C'est pour ça aussi qu'on doit commettre le moins de violences possibles et mener une vie saine. C'est pour ne pas être réincarné"
Serge Ajaguin-Permalnaïken
Ainsi aura-t-elle peut-être une chance de parvenir jusqu'au dieu Shiva et la libération, au lieu d'être obligée de renaître sous la forme d'un autre être vivant sur cette terre. Une nouvelle fois...