Festival des Marquises 2023 : Kakaia, le retour des exclus

La troupe Kakaia foulera la scène Temehea lundi 18 décembre. Elle avait été exclue du festival des Marquises en 2019 qui s’était déroulé à Ua Pou, car le comité organisateur avait estimé que ses propos évoquant le poids de la religion ou le cannibalisme étaient trop polémique. Cette fois, elle s’exprimera pleinement, avec un spectacle sur le thème de la reconnaissance envers les ancêtres.

Cette troupe, composée de jeunes gens originaires des Marquises, est connue pour son côté anticonformiste. Kakaia bouscule les codes et veut "défendre la culture marquisienne d’une manière honnête". Ses membres ressentent le besoin de s’exprimer d’une manière différente, en utilisant des gestes inhabituels, provocateurs.

La troupe Kakaia en répétition

Les thèmes de ses spectacles choquent. C’est d’ailleurs la raison de leur éviction de l’événement culturel trois mois avant le début des festivités en 2019, du moins, c’est l’argument avancé par le comité organisateur de cette année-là. Cette exclusion a marqué les mémoires, celle de Gaëlle Kaiha par exemple, sœur et chorégraphe du groupe.

Ce qu’il s’est passé en 2019, je ne le souhaite à personne. On a été considéré comme des pestiférés. Ça nous a profondément marqué, j’ai perdu 10 kilos ! On nous a injustement exclus, il n’y avait pas de raisons valables. J’ai pardonné mais je n’ai pas oublié.

Gaëlle Kaiha

Pour les spectateurs ou habitants, c’est une question de point de vue. Quant au fondateur du groupe, il a une conception bien particulière de la culture marquisienne.

Kakaia, une quête d’identité

L’histoire de Kakaia pourrait aider à comprendre cette perception. La troupe est composée de "gens qui sont à la quête de leur identité sans être entravés par des personnes, qui ont une autre manière de pensée, ou par la religion", explique Kahuetahi Kaiha, son chef. Ses membres veulent être libres de penser, d’agir et de vivre leur culture à leur manière.

La troupe Kakaia en répétition

Au fond de leur âme, il y a comme une rancœur, celle des conséquences de la colonisation européenne et religieuse. La colonisation européenne a conduit à une acculturation forcée entrainant avec elle un effacement culturel et identitaire. Le code Dordillon a interdit autant leur langue ainsi que leurs danses, le tatouage, les pahu ou la nudité. Un traumatisme pour ces jeunes gens en quête de leur véritable identité.

Kakaia est née au travers des jeunes, à l’école, qui sont en quête d’identité, qui ont besoin d’exister, d’être. J’ai donc ramené ce mouvement à Ua Pou. Là-bas est né un petit groupe de danse. Un soir, nous avons présenté un spectacle qui était totalement opposé à ce que nous avons l’habitude de voir aujourd’hui. Et une des danses s’appelait Kakai. Kakai c’était un terme qui désignait des sauvages sans cervelles. Nous avons eu du succès. Les gens ont commencé à nous appeler Kakaia mais en fait le vrai mot c’est Kai Kaia, cela signifie le cannibalisme. Alors, on a choisi Kakaia pour ne pas avoir cette étiquette négative. Depuis, beaucoup de jeunes se reconnaissent dans notre mouvement. Ils sont en quête de vérité, ils ne s’entendent plus avec leurs familles parce qu’ils ont une autre manière de penser. Pour beaucoup, c’était déjà des Kakaia avant d’intégrer le groupe, ils avaient juste besoin du groupe pour s’exprimer.

Kahuetahi Kaiha

Si les marquisiens connaissent aujourd’hui un véritable réveil identitaire, pour Kakaia, il ne faut pas faire table rase du passé. Cet ethnocide colonial fait partie de leur histoire et il faut continuer à la raconter.

La troupe Kakaia en répétition

Te matavaa o te henua enana, un moyen de se faire entendre et d’exister  

Participer au festival est une fierté pour de nombreux jeunes marquisiens.  Pour Kahuetahi Kaiha "ce n’est pas une fierté de participer au Mata Va’a", peste-t-il. " Je considère cette plateforme comme moyen de communication pour véhiculer un message parce que c’est une grande organisation et il y a les médias. Je pense que c’est le moment opportun pour partager un message fort.

Le festival des arts des iles Marquises est une manifestation culturelle créée en 1987 par l’association te Motu Haka o te Henua Enana, fondée en 1978 par Toti Teikiehuupoko. Il a pour but initial de préserver le patrimoine marquisien et de fédérer le peuple autour de sa culture.

Le chef des Kakaia estime qu’il doit exister "avant tout pour nous", et la culture "doit se vivre et se ressentir d’une manière spirituelle, émotionnelle, physique et mental. Il faut nous laisser la vivre comme bon nous semble, avec notre spiritualité. Il ne faut pas vivre sous l’influence".

Il faut dire que les Marquises impressionnent. Gauguin, Stevenson, Melville, Segalen, Brel, artistes, poètes et aventuriers ont trouvé aux Marquises un exotisme à la mesure de leurs rêves. Aujourd’hui, les visiteurs de passage ou les croisiéristes sont saisis lorsque de robustes danseurs, tout juste vêtus de feuilles de àuti, viennent exécuter la danse du cochon, lointain écho des danses guerrières d’antan. C’est justement ce que regrette le chef des Kakaia.

Avec le système européen, on est exotique. Il faut que quand les gens viennent, il faut se montrer, c’est du spectacle. Alors, la culture en elle-même pour les marquisiens, elle est endormie. Ce festival ce n’est pas pour les étrangers, c’est avant tout pour nous. En tout cas pour Kakaia, on est là pour nous, pour nous exprimer. Pour moi, la culture marquisienne n’a le droit d’exister que dans une seule dimension, c’est-à-dire, qu’elle représente juste l’exotisme, le folklore. Les gens pensent qu’en mettant des colliers, qu’en enfilant des costumes ou en se faisant tatouer, cela suffit pour être marquisien. C’est faux

Kahuetahi Kaiha

Le jeune homme reconnaît malgré tout que la colonisation n’a pas eu que des effets néfastes, mais il veut préciser certaines choses.

Je ne dis pas que je suis contre le colonialisme européen et la religion. Tous deux ont servi à la croissance des Marquises, mais aujourd’hui, tous deux se sentent supérieurs parce qu’ils ont la connaissance, et ils se sont donnés la permission d’oppresser le peuple. Et c’est à nous de leur faire comprendre que cette culture ne leur appartient pas et ne leur appartiendra jamais.

Kahuetahi Kaiha

La reconnaissance envers les anciens, le spectacle des Kakaia

Ils sont moins d’une centaine à s’être lancés dans l’aventure 2023. La sœur de Kahuetahi Kaiha, Gaëlle Kaiha, possède une petite troupede danse à Ua Pou. C’est elle qui est chargée de chorégraphier le spectacle de la vingtaine de danseuses qui compose le groupe. Ce jeudi matin, sous le préau de l’école Patoa, la chorégraphie n’était pas totalement au point, à J-4 de leur passage sur scène.

 

Le groupe était divisé. Il y avait une partie à Tahiti et une autre à Ua Pou. A Tahiti, c’était des garçons, il y en avait qui était dans d’autres îles aussi. Chacun a répété dans son coin grâce à des vidéos. En ce qui concerne les filles, la plupart était basée à Ua Pou. Nous avons répété ensemble pour la première fois hier (mercredi, ndlr), cela n’a pas été évident mais aujourd’hui ça va mieux. On travaille sur les transitions

Gaëlle Kaiha

Cette année, Kakaia veut exprimer sa reconnaissance envers les anciens. C’est l’histoire d’un roi qui a eu l’ingénieuse idée de partager ses connaissances et savoir-faire…aux occidentaux.

Le thème de cette année, c’est la reconnaissance envers nos ancêtres et le réveil de cet amour que l’on avait pour nos ancêtres. L’histoire dans le spectacle, c’est un roi qui a toute la connaissance. Il voyait que son peuple et sa culture allaient disparaître. Dans le spectacle, il y aura deux esprits qui viendront voler la connaissance et la culture marquisienne, et ces esprits représentent la religion et le colonialisme. Le roi va comprendre que la religion et le colonialisme sont des moyens de transmission à travers le temps et donc, se battre contre deux entités très puissantes, ce n'était pas une manière efficace de transmettre la culture. Pendant le spectacle, le roi va mourir. Il va donc léguer ses connaissances aux membres religieux et aux colonisateurs. Aux temps anciens, nos ancêtres n’étaient pas des cannibales mais des visionnaires, des gens très très intelligents ! Et le spectacle raconte comment les ancêtres ont vu, au travers de ces personnes, un moyen de transmettre la culture aux enfants.

Kahuetahi Kaiha

Kakaia se produira lundi 18 décembre, sur la place Temehea.