FIFO. Heretu Tetahiotupa : « Une histoire est puissante quand elle est universelle »

Coréalisateur du film Patutiki, l’art du tatouage des îles Marquises (primé deux fois par le public au FIFO 2019 et 2023), Heretu Tetahiotupa avait commencé par un atelier au FIFO, avant d’être formé au pitch puis de présenter son film. Il revient au festival cette année en tant que membre du jury.

Heretu Tetahiotupa se remet à peine du Matavaa o te Henua Enana, le festival des îles Marquises, qui s’est déroulé du 16 au 20 décembre 2023. Il présidait le comité organisateur et a dédié tout son temps depuis les deux dernières années à la réussite du festival. « C’était l’expérience la plus intense de ma vie. On déplace des gens sur des milliers de kilomètres, 1 700 festivaliers sont venus de partout depuis la Polynésie. C’était dense et j’ai du mal à synthétiser mes pensées. J’ai porté la responsabilité de la réussite de l’événement et l’intégrité des personnes présentes. Je ne suis encore tout à fait remis, la digestion prend du temps ! » sourit-il. Si le jeune homme est arrivé à porter de telles responsabilités, le FIFO y est un peu pour quelque chose… Après avoir découvert le festival comme collégien, il y revient pour suivre un atelier sur l’audiovisuel, il y découvre la réalisation et se laisse emporter lors de l’exercice pratique, oubliant l’heure… « Ça m’a éclaté ! » se souvient-il. Il fait un stage dans la télévision locale TNTV et devient prestataire pour la chaîne. « Pour moi, le 7e art c’est la forme d’art ultime. Il faut maîtriser toutes les autres formes artistiques avant de pouvoir exceller dans l’audiovisuel. » À l’époque, Heretu Tetahiotupa est déjà un touche-à-tout curieux, musicien et producteur, et l’audiovisuel vient étendre les dimensions de son expression artistique. Mais sa recherche identitaire prend le dessus sur ses projets professionnels et il retourne dans la vallée de Anaho sur l’île de Nuku Hiva.

 

Né aux Marquises, il ne rêvait que de s’en échapper, avant que l’archipel vienne le hanter. Un appel auquel il finit par répondre en s’installant aux Marquises, vivre de chasse, de pêche et de coprah, s’immergeant dans la culture marquisienne par le quotidien, les livres et les discussions avec les anciens. C’est là-bas qu’il rencontre Teiki Huukena (auteur des livres Hamani haa tuhuka, Te patutiki) qui lui parle d’un documentaire sur le tatouage marquisien. « J’ai su tout de suite que c’était ma mission », raconte Heretu Tetahiotupa. Il retourne donc au FIFO et participe à une formation et pitche Patutiki, l’art du tatouage des îles Marquises. « C’était un 52 minutes, je n’avais jamais fait ça de ma vie mais je visualisais des possibilités extraordinaires. » Partager grâce à la force de l’audiovisuel, l’art du tatouage marquisien mais aussi l’histoire de l’archipel et du combat des fondateurs de l’association Motu Haka, le moteur du renouveau culturel marquisien. France Télévision est partant et l’aventure peut commencer. Coréalisé avec Christophe Cordier, Patutiki, l’art du tatouage des îles Marquises est présenté au FIFO 2019 où il remporte le prix du public et revient en 2023 et est primé Grand prix du public des 20 ans du FIFO. Heretu Tetahiotupa est de nouveau présent au festival cette année en tant que membre du jury : « un grand honneur ! ». « J’évolue avec le FIFO. C’est un festival extraordinaire qui offre des opportunités exceptionnelles d’avoir accès à des films mais également aux équipes de ces films, aux professionnels, aux diffuseurs, aux producteurs. En 2019, j’étais tout fier de venir présenter Patutiki et j’ai pris une claque car j’avais ouvert la porte des grands. J’avais encore tellement de choses à apprendre. Les films ce n’est pas seulement artistique, c’est aussi de l’entrepreneuriat. J’ai découvert la stratégie d’impact. »

 

Avec toute son expérience culturelle des Marquises et ce premier documentaire de 52 minutes, Heretu Tetahiotupa devient une personnalité marquisienne importante. Le jeune homme a choisi de se dévouer corps et âme aux Marquises. Acceptant les projets quand il se présente naturellement sur sa route, choisissant d’être le vecteur de la culture marquisienne, se tatouant entièrement le corps malgré la douleur. « Je suis dévoué à la culture marquisienne. » Il veut se dissoudre dans l’universalité, contribuer à la construction du monde et poursuivre le travail de ses ancêtres. Les questions culturelles prennent une grande place chez lui et ses réflexions sont toujours des questionnements pour aller plus loin et voir plus grand. Pour le Matavaa o te Henua Enana, il dit avoir pris en compte le contexte actuel, être parti de ce constat où « on est entre culture et folklore ». « Certaines représentations tendent vers le fantasme européen du barbare tribal. La fonction culturelle devient un divertissement. On glisse vers le folklore car l’ancien et le moderne se mélangent. Nous avons donc demandé aux délégations deux spectacles : une expression ancestrale et une autre laissée libre. Pour préserver il faut avoir une démarche conservatrice. C’est important de comprendre les enjeux propres à notre époque. » L’authenticité, il la cherchera aussi dans les documentaires en compétition du festival. « Un bon film, c’est une histoire qui va attirer le public dans un univers, grâce à la qualité de la réalisation. » Depuis dix-sept années, Heretu Tetahiotupa est artiste dans différentes formes d’art (audiovisuel, musique, peinture, tatouage) et est toujours à la recherche de la performance, de l’excellence, pour arriver à quelque chose de puissant et beau. Il souhaite d’ailleurs, en tant que membre du jury, pousser vers l’excellence. « Une histoire est puissante quand elle est universelle et elle t’emportera si la réalisation est réussie. » Devenu un référent pour la culture marquisienne, il est aussi une personnalité devenue indissociable du FIFO.