Grève des sages-femmes en Calédonie : les raisons de la colère

Elodie Marnas est sage-femme à Poindimié.
Elles dénoncent leur conditions de travail depuis des années. En grève ce lundi, les sages-femmes sont mobilisées devant le gouvernement pour se faire entendre. Gros plan sur une profession en tension.

Surcharge de travail, heures supplémentaires non payées, difficultés à assumer les charges de fonctionnement en cabinets libéraux, fermeture de lits par manque d’effectif : les sages-femmes s’épuisent et les patients en pâtissent. Elles espèrent être reçues par le gouvernement ce lundi. Retour point par point sur leurs doléances.


1. Un besoin de reconnaissance

Au lendemain de la Journée internationale des sages-femmes, la profession se mobilise ce 6 mai pour être davantage reconnue en Nouvelle-Calédonie. Le métier nécessite un grand nombre de compétences et offre un panel de services larges : suivi de grossesses normales mais aussi pathologiques, accompagnement des accouchements, surveillances de nouveau-nés, actes gynécologiques comme le frottis ou la pose de stérilets...

Et pourtant, ces compétences ne se retrouvent pas au niveau des rémunérations qu'elles perçoivent sur le Caillou.


2. Des salaires trop faibles dans le public

La grille des sages-femmes fonctionnaires n’a pas évolué depuis 2007. Alors que la formation vient de passer à bac+6, la rémunération des sages-femmes dans le public équivaut à un bac+4 en Calédonie, "soit 24 % de moins en fin de carrière qu'un ingénieur 2ème grade de la fonction publique, pour un niveau d'étude équivalent", signalent-elles. 

La profession a fait ses calculs et elle est aujourd'hui payée 20 % de moins que dans l’Hexagone, où elles se sont pourtant formées. Les sages-femmes espèrent une réaction rapide des pouvoirs publics sur ces écarts de salaires injustifiés, selon elle. Surtout sur un territoire où le coût de la vie est plus cher que dans l'Hexagone.

Une prime avait été validée il y a cinq ans. Elle devait être transitoire, le temps de revaloriser la grille tarifaire. Or, elle est toujours d’actualité et pose plusieurs problèmes. "Elle n'est perçue que par les fonctionnaires et non par les contractuelles du secteur public et elle n'est pas prise en compte pour le calcul de la retraite", signale Valérie Lescroart, à la tête du Syndicat des sages-femmes de Nouvelle-Calédonie. 

 

3. Des tarifs encore sous-évalués dans le privé

Le problème de la rémunération se pose aussi pour les sages-femmes libérales. Elles demandent la revalorisation de leurs actes. 

Le tarif de la consultation a été légèrement augmenté il y a quelques années : il est passé de 2 750 à 3 520 francs. "À Tahiti ou en Métropole, le tarif de la consultation d'une sage-femme s'aligne sur celui des médecins généralistes", observe Valérie Lescroart. Ce qui n'est pas le cas en Calédonie, où la consultation chez un médecin libéral est de 4 250 francs. 

Autre différence dans Hexagone : le coût d'un acte est facturé de la même manière, qu'il soit pratiqué par une sage-femme ou un gynécologue. "Alors qu'ici, le prix de la consultation sera toujours de 3 520 pour une sage-femme, même si elle réalise un frottis." 


4. De nombreux textes en souffrance

Depuis 2018, une loi est passée au Congrès pour autoriser les Calédoniennes à recourir à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) médicamenteuse en dehors des structures hospitalières. Il s'agissait d'étendre un dispositif déjà existant dans l'Hexagone.

Dans les faits pourtant, les sages-femmes libérales, tout comme les médecins, ne peuvent toujours pas pratiquer ces avortements en cabinet. En cause : la délibération pour réglementer cet acte n'a toujours pas été votée. 

Autre texte toujours en attente d'être appliqué : la possibilité pour les sages-femmes de prescrire des dépistages et des traitements pour les infections sexuellement transmissibles (IST) à destination des partenaires des patientes qu'elles suivent. 

Enfin, les sages-femmes attendent toujours de pouvoir prescrire des arrêts maladie pour leur patiente en cas d'avortement ou de fausses couches. Pour le moment, elles ne peuvent le faire que pendant la grossesse de leurs patientes et pour une durée maximum de quinze jours. 


5. Des conditions de travail qui se dégradent

On compte actuellement 127 sages-femmes sur toute la Calédonie, dans le public et le privé, dont 44 au CHT. Ces professionnelles de la santé maternelle dénoncent une surcharge de travail chronique et un manque de personnel, ce qui conduit à une dégradation des soins. La fermeture temporaire de lits et le manque de personnel supplémentaire en maternité au Médipôle ont exacerbé la situation, retardant les soins nécessaires. « Les conditions de travail se dégradent de jour en jour », signale Charlène, sage-femme ) l'hôpital.  La quarantaine de sages-femmes du Médipôle cumule plus de 5 500 heures supplémentaires non payées et qu'elle peine à récupérer. 

Cette surcharge de travail se ressent sur la prise en charge des patientes. "On n’en peut plus, il faut que ça change parce que nos patientes en subissent les conséquences tous les jours, alerte une professionnelle. On ne nous permet plus d'exercer notre métier en toute sécurité. Et c’est pour ça qu’on se mobilise". 


6. La Calédonie de moins en moins attractive

Face à la précarisation de la profession sur le Caillou, la Calédonie n’est plus une destination privilégiée par les soignants. Même les étudiants calédoniens hésitent à rentrer exercer au pays.

Les sages-femmes peuvent en témoigner : des postes restent vacants en milieu hospitalier, parfois en dispensaire. Charlène, sage-femme au Médipôle, recense 25 % de contrats courts dans son équipe. "Il y a onze ans, j’ai attendu quatre ans pour avoir un poste de fonctionnaire. À l’heure actuelle, il y a huit postes de libres et personne n’en veut. On n’arrive pas à pérenniser."


7. Pas de réponse du gouvernement

Preuve que c'est toute la profession qui est en souffrance, les sages-femmes tous secteurs confondus font front commun ce lundi, en se mobilisant devant le gouvernement, dès 6 h 30. "C'est assez innovant d'avoir le public et le privé ensemble, observe Nicolas Labenski, secrétaire général du secteur santé à la Fédé. C’est vraiment la profession de sage-femme qui est complètement mise de côté et qu’on veut revaloriser." 

La profession demande tout particulièrement à être reçue par Yannick Slamet, le membre du gouvernement en charge de la santé. "On avait demandé des rendez-vous. Et il a nous a donné une fin de non-recevoir pour des questions de finances, de budget", précise les syndicats, qui réclament aujourd'hui "des réponses et des perspectives".