Lionel Picord : "En France, on a tué la boxe"

Pratiquant de Full-contact et de boxe anglaise, ce Guadeloupéen est inconnu du grand public et n’a quasiment jamais bénéficié d’une couverture médiatique. Explications.
A bientôt 35 ans, Lionel Picord dispose d’un des plus grands palmarès du sport de combat français.

Ayant grandi à Epinay sur Seine (93), Lionel Picord a pratiqué de nombreux sports de combats comme le kung Fu et le viet vo dao (karaté vietnamien) mais c’est tard qu’il a découvert le full-contact, à 24 ans, un peu par hasard, dans une salle de boxe de la région parisienne. Mélange de boxe anglaise et de karaté, cette discipline est dominée depuis des années par le Guadeloupéen.

Quintuple champion du monde, multiple champion d’Europe et triple champion de France, peu peuvent se vanter d’avoir un palmarès aussi grand. "C’est sûrement pour ça que je ne suis pas très reconnu" ironise-t-il.

Anomalies et promoteurs véreux

Également professionnel en boxe anglaise depuis deux ans, Lionel Picord arrive parfaitement à jongler entre les deux disciplines mais il le reconnait lui même : "la boxe anglaise est un milieu compliqué". On sait depuis des années que la boxe est un monde obscur, régi par des personnes douteuses. Trop de bizarreries entourent le "noble art" mais pas grand monde ne connait l’envers du décor. "Il y a un trafic des boxeurs, les promoteurs protègent les combattants, on ne trouve pas de combat".

Lionel Picord n’a pas combattu en boxe anglaise depuis des années. La raison ? Il est gaucher technique, un profil qui ne plaît pas aux autres promoteurs et un palmarès en full contact qui effraie d’éventuels adversaires.

"En France, on a tué la boxe, on combat 5 rounds pour 400 euros, les promoteurs se font de l’argent sur eux. Les boxeurs se prostituent". Inconnus du grand public, les grands promoteurs de boxe tirent les ficelles dans l’ombre. En France, ils sont quasiment tous à Marseille : "Ils s’organisent des championnats du monde entre eux", ironise Lionel Picord. "Ils ramènent des tocards lituaniens ou écossais pour les faire boxer avec des Marseillais, alors que moi je suis à côté mais rien, on ne m’appelle pas".

Pas facile d’être un Parisien pur souche dans un milieu "contrôlé" par des Marseillais. Dans la cité phocéenne, le Guadeloupéen a combattu 3 fois en full-contact pour autant de victoires, la cause de son isolement selon lui. "Ce n’est pas le meilleur boxeur qui fait une grande carrière, mais celui qui a un bon carnet d’adresse, qui est bien pistonné. Ceux qui sont protégés ne rencontrent jamais ceux qui le méritent".

En 2009, sa victoire face à un champion du monde de boxe pied poing, Abdallah Mabel va lui valoir plus d’ennuis que de prestige. Boycotté par certains journalistes, le Guadeloupéen affirme que ces derniers "avaient trouvé le match bizarre, qu’il y avait eu une erreur" de décision. "Chacun écrit un article sur le boxeur qu’il connaît et sur ce qui l’arrange", dit-il avec une certaine fatalité. On comprend mieux maintenant pourquoi les boxeurs français s’expatrient en Russie, en Angleterre ou en Espagne. L’herbe y est sûrement plus verte.

Un combat "la veille pour le lendemain"

"Vous voulez comprendre la boxe ? Vous n’avez qu’à regarder les JO", déclare sèchement le Guadeloupéen. Tout le monde a encore en mémoire la détresse d’Alexis Vastine ou l’incompréhension de Nordine Oubaali, injustement déclarés perdants après avoir dominé leurs combats de A à Z.

Au fur et à mesure des années, la boxe n’a cessé de changer de règle. Fini le système où l’on pouvait voir en direct à qui était attribué les points, aujourd’hui à chaque fin de round, les juges décident de donner des bons points où pas, toujours selon leur bon vouloir. Une règle totalement inadaptée à la discipline mais probablement plus complaisante pour arranger les combats.

Mais il y a pire, "on m’a déjà proposé de combattre la veille pour le lendemain", nous révèle t-il. Absolument impensable quand on sait qu’en boxe il faut plusieurs mois de préparation avant un combat. Mais il a quand même tenu à monter sur le ring : "Je l’ai dominé, il n’y avait pas photo mais on a déclaré un match nul. Après le combat, on est venu me dire qu’une deuxième défaite d’affilée aurait été préjudiciable à la carrière de ce boxeur". Un comble quand on connaît les valeurs de la boxe, souvent décrit comme un sport où l’honnêteté prime et où le respect est roi.

Aujourd’hui en fin de carrière, Lionel Picord l’avoue : "Je prends plus de plaisir à l’entraînement. Je laisse les autres dans leur championnat imaginaire. La boxe, c’est trop de sacrifices pour rien. J’ai visé les titres pour rencontrer les meilleurs, pas pour les galas où il y a de l’argent". S’il n’a jamais caché son amertume envers les promoteurs, le boxeur estime que son équipe composée de sparings partners performants et de bons préparateurs physiques l’a grandement poussé vers le haut.

Des projets pour la Guadeloupe

S’il souhaite encore disputer un où deux combats avant de raccrocher, Lionel Picord compte bien profiter de son statut d’ambassadeur de full-contact pour développer ce sport en Guadeloupe.

Depuis quelques temps, il donne des cours à des jeunes et effectue des démonstrations en public. Selon lui, la boxe pied poing est très appréciée par les jeunes mais "il n’y a aucune infrastructure, il y a quelques petits clubs sans ring, sans sac de frappes, c’est ahurissant. On n’a pas de salle de boxe en Guadeloupe alors qu’on a un champion du monde : Jean-Marc Mormeck. Je ne comprends pas, je suis peut-être fou".

Conscient que le full-contact se fait de plus en plus éclipser par de nouvelles disciplines, Lionel Picord souhaite investir d’ici 10 ans dans le sport guadeloupéen et surtout dans la boxe. "J’aimerais m’inspirer des écoles cubaines. Faire quelque chose pour les jeunes, il y a des problèmes de délinquance et la boxe peut être une solution. Elle peut inhiber la violence chez certains." Pour ce fan de Mohamed Ali, la tâche risque d’être longue et complexe dans un sport malade qui souffre de mille maux.