Youma ou le don de soi, un texte d'actualité

Laura Carvigan-Cassin
Youma est un texte de Lafcadio Hearn, dont la première édition, en anglais, est de 1890. Re-publié aujourd'hui, il retrace l'histoire d'une esclave partagée entre l'amour d'un homme et celle d'une enfant dont elle a la charge. 
L'histoire de Youma, une "da" esclave, est touchante. Outre le témoignage qu'elle apporte sur la vie aux Antilles au 19ème siècle, elle incite à la réflexion. Ecrite par Lafcadio Hearn, elle a été traduite de l'anglais en français par Suzanne Dracius et Patrick Mathelié-Guinlet, pour les éditions Idem. La postface est de l'universitaire Laura Carvigan-Cassin, docteur en littérature comparée. C'est elle que nous avons rencontrée pour un entretien autour de la fine analyse qu'elle signe : 
  • Pourquoi avoir accepté de réaliser la postface de "Youma " ?
C’est un exercice littéraire auquel je ne m’étais pas encore prêté. Tous les grands amoureux de la littérature rêvent de partager leur point de vue et leur analyse concernant une œuvre avec le plus grand nombre. J’ai déjà écrit des articles publiés dans des revues, des anthologies ou des dictionnaires mais ce sont des ouvrages spécialisés ; le roman, lui, est pour tous. De plus, j’adhère complètement à l’acte militant de Suzanne Dracius et Patrick Mathelié-Guinlet qui ont entrepris de retraduire cette œuvre avec plus d’exactitude, de fidélité, au plus près de la pensée de Lafcadio Hearn et en respectant la graphie créole. La réédition de ce roman était incontestablement nécessaire.
  • En quoi ce personnage est-il exceptionnel ? 
 Youma semble exceptionnelle d’irréalité. L’auteur la présente comme un symbole d’union raciale et sociale. A la fois douce et sombre, spirituelle et ignorante, altière et subordonnée, ses postures de négresse aliénée peuvent agacer mais peu à peu une alchimie entre ce personnage complexe et le lecteur se crée. Impossible de condamner la pureté de l’acte maternel final d’une esclave qui refuse toute faute morale et choisit la transgression des couleurs.

  • Quelle pourrait être la portée actuelle de ce texte, selon vous ? (pourrait-il intéresser les jeunes ?)
 Le lecteur contemporain sera surpris de retrouver des correspondances entre les représentations de la société antillaise passée et l’actualité de nos îles. Ce sont peut être les mêmes oppositions, les mêmes questionnements, les mêmes quêtes libertaires dépeints dans ce roman qui hantent nos mémoires antillaises …
Et puis, c’est un roman très court, qui se lit facilement et permet de découvrir ou redécouvrir les événements liés à la révolte des esclaves, les émeutes, les violences, les exactions d’un camp comme de l’autre, la dissidence, la circulation des informations, en somme de lire une petite chronique historique de l’abolition de l’esclavage dans les îles antillaises.
  • L'univers colonial décrit dans le texte de Lafcadio Hearn pourrait être celui de la Martinique, mais aussi de la Guadeloupe ou d'un autre pays dominé. Quel est votre regard sur la façon dont il est dépeint par l'auteur ? 
 Ce roman a été écrit 35 ans après l’abolition de l’esclavage aux Antilles françaises par un écrivain-voyageur inspiré par deux années passées à la Martinique, Lafcadio Hearn ; pourtant je crois que ce dernier est parvenu à fixer un passé historique tout en proposant une sorte de promenade au cœur d’un paysage créole enchanteur et pittoresque. Le lecteur ne peut qu’être ravi par cette errance temporelle au cours de laquelle se découvrent une faune, une flore, un folklore, une histoire et une culture authentiques.

Extrait de postface youma from Guadeloupe Premiere