"Au nom du Peuple français. Le Gouvernement provisoire, Considérant que l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine..."Ainsi débute le décret du 27 avril 1848. Le texte comporte neuf articles. C'est le fruit d'un long combat porté par les abolitionnistes. Le décret voit le jour sous le gouvernement provisoire du 4 mars 1848. Il est porté par Victor Schoelcher, sous-secrétaire d'Etat à la Marine et aux Colonies.
Ce jour-là, Victor Schoelcher est nommé sous-secrétaire d’État aux Colonies après du ministre de la Marine, François Arago. Il préside une commission chargée de "préparer dans le plus bref délai l’acte d’émancipation immédiate dans toutes les colonies de la République".
La commission auditionne les représentants des colons. Ils ne veulent pas entendre parler de suppression de l’esclavage qui les a enrichis. Elle reçoit aussi des militants de l’émancipation, natifs des colonies ou Français bon teint. Il est vrai que les esprits sont mûrs depuis longtemps à Paris.
Républicains et libéraux, opposants de la monarchie, avaient pris fait et cause pour l’émancipation depuis la Révolution de 1789. C’est le cas de la Société française pour l'abolition de l'esclavage.
La France met ainsi fin à deux siècles de barbarie
Un véritable groupe de pression qui somme le roi Louis-Philippe d’interdire l’esclavage, sans succès.
Ainsi, François-André Isambert prononce un discours virulent devant les députés en 1835. Ainsi, Victor de Broglie préside une commission parlementaire de 1840 à 1843 pour préparer l’émancipation. Et n’oublions pas des personnalités comme Destutt de Tracy, Hyppolite Passy, le poète Lamartine. Autant de partisans de la modernisation économique et politique des colonies et par conséquent, de la France.
Le 27 avril 1848, enfin, un décret stipule dans son préambule : "L’esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; qu'en détruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; qu'il est une violation flagrante du dogme républicain Liberté - Egalité - Fraternité". En conséquence, le gouvernement provisoire décide que "l'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises".
Par ces simples mots, la France met ainsi fin à deux siècles de barbarie.
Ci-dessous, voici le projet de décret annoté de la main de Schoelcher :
Le texte intégral
Voici le texte intégral comportant le préambule du décret, ainsi que les neuf articles :
Au nom du Peuple français.
Le Gouvernement provisoire,
Considérant que l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; qu’en détruisant le libre arbitre de l’homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; qu’il est une violation flagrante du dogme républicain : Liberté, Égalité, Fraternité.
Considérant que si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la proclamation déjà faite du principe de l’abolition, il en pourrait résulter dans les colonies les plus déplorables désordres,
Décrète :
Article 1er. L’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d’elles. A partir de la promulgation du présent décret dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres, seront absolument interdits.
Article 2. Le système d’engagement à temps établi au Sénégal est supprimé.
Article 3. Les gouverneurs ou commissaires généraux de la République sont chargés d’appliquer l’ensemble des mesures propres à assurer la liberté à la Martinique, à la Guadeloupe et dépendances, à l’île de la Réunion, à la Guyane, au Sénégal et autres établissements français sur la côte occidentale d’Afrique, à l’île Mayotte et dépendances et en Algérie.
Article 4. Sont amnistiés les anciens esclaves condamnés à des peines afflictives ou correctionnelles pour des faits qui, imputés à des hommes libres, n’auraient point entraîné ce châtiment. Sont rappelés les individus déportés par mesure administrative.
Article 5. L’Assemblée nationale réglera la quotité de l’indemnité qui devra être accordée aux colons.
Article 6. Les colonies, purifiées de la servitude, et les possessions de l’Inde seront représentées à l’Assemblée nationale.
Article 7. Le principe que le sol de la France affranchit l’esclave qui le touche est appliqué aux colonies et possessions de la République.
Article 8. A l’avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout Français de posséder, d’acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement à tout trafic ou exploitation de ce genre. Toute infraction à ces dispositions entraînera la perte de la qualité de citoyen français.
Néanmoins les Français qui se trouvent atteints par ces prohibitions, au moment de la promulgation du présent décret, auront un délai de trois ans pour s’y conformer. Ceux qui deviendront possesseurs d’esclaves en pays étrangers, par héritage, don de mariage, devront, sous la même peine, les affranchir ou les aliéner dans le même délai, à partir du jour ou leur possession aura commencé.
Article 9. Le ministre de la Marine et des Colonies et le ministre de la guerre sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret.
Fait à Paris, en Conseil du Gouvernement, le 27 avril 1848
Les membres du Gouvernement provisoire,
Signé Dupont (de l’Eure), Lamartine, Armand Marrast, Garnier-Pagès, Albert, Marie, Ledru-Rollin, Flocon, Crémieux, Louis Blanc, Arago.
Le secrétaire général du Gouvernement provisoire,
Signé Pagnerre.