Quelles sont les perspectives d’évolution de la filière sucrière à Marie-Galante ? Début juillet 2021, une mission d’inspection des finances, de l’agriculture et de l’écologie était venue sur place, afin d’évaluer différentes pistes pour garantir un avenir à long terme à cette filière. Une mission commandée par l’Etat fin avril, soit deux semaines après l’incident qui a rendu hors service la chaudière de l’usine de Grande-Anse.
Cette mission intervenait aussi après un premier rapport, sorti l’an dernier, qui préconisait la fermeture de la sucrerie, tout en maintenant l’activité rhumière. Le gouvernement avait affirmé alors qu’il ne reprenait pas à son compte cette recommandation. Alors, que dit la nouvelle étude ? Le rapport complet n’a pas été officiellement transmis à la Sucrerie Rhumerie de Marie-Galante (SRMG). Mais un résumé du document circule depuis quelques jours au sein de la filière...
Une usine obsolète et un manque de stratégie commerciale
Il y a d’abord le constat : celui de la vétusté et des difficultés opérationnelles de la SRMG, confirmées par l’avarie survenue le 14 avril sur la chaudière. L’entreprise, qui produit du sucre en vrac et du rhum industriel, avec plus de 150 salariés, dont deux tiers de saisonniers, constitue l’acteur-clef de la filière, composée de 1 500 planteurs de canne ; elle est même un élément essentiel de l’économie et de l’identité de ce territoire de moins de 11 000 habitants.
Mais les deux actionnaires de la SRMG (à savoir la COFEPP, qui détient 53% du capital, et la SICAMA, coopérative des planteurs de l’île) « peinent à engager l’usine dans des voies de progrès et de modernisation », indique le rapport. L’usine n’a pu se mettre aux normes environnementales, malgré les mises en demeure de l’Etat, ni su s’adapter au marché mondial du sucre, devenu très concurrentiel. Et les réflexions engagées sur les dix ou quinze dernières années par les acteurs locaux, sans aboutir, étaient plus centrées sur l’outil industriel que sur le positionnement stratégique de la SRMG, concernant ses productions et ses débouchés commerciaux.
L’option d’une centrale thermique abandonnée
Les inspecteurs venus sur place ont analysé trois scénarios, pour l’avenir de la filière sur l’île aux cent moulins. Première piste : l’implantation d’une centrale thermique de cogénération, adossée à l’usine. Solution mise en œuvre aujourd’hui dans toutes les autres sucreries des DOM, et qui permet à l’industriel de recevoir gratuitement l’énergie nécessaire sans avoir à la produire par une chaudière ; et aux planteurs de toucher une « prime bagasse ». Pour Marie-Galante, l’option a été étudiée sous différentes formes, d’abord avec une puissance de 13 MW, puis de 6,5 MW, selon le dernier projet de 2018, qui prévoyait une centrale bagasse sans autre biomasse.Trop cher, explique le rapport, car le coût, via la contribution au service public de l’électricité, avoisinerait les 500 M€ sur toute la durée de vie de la centrale, « sans certitude quant à la viabilité économique de la sucrerie-rhumerie, ni même de l’activité sucrière en outre–mer, sur une telle période ».
Transfert des cannes à Gardel : « un scénario utile »
Deuxième scénario : le transfert des cannes vers l’usine Gardel, au Moule. Option à laquelle s’opposent les acteurs publics et socio-économiques de l’île, puisqu’elle entraînerait, si elle était définitive, la fermeture de la SRMG. Sa mise en oeuvre durant une partie de la campagne 2021, a révélé, notent les inspecteurs, « de réelles difficultés », mais qui « pourraient être atténuées, au moins partiellement, par une meilleure anticipation, par des aménagements sur les ports et par une adhésion plus active des planteurs eux-mêmes ».
Même s’il n’est pas définitif, ce transfert constitue, « un scénario utile », pour faire face à une indisponibilité de l’usine de Grande-Anse, en cas d’avarie comme en avril dernier, de travaux sur le site ou pour développer certains produits, dont le sucre biologique. Et puis, si le marché international du sucre venait à imposer de gros investissements dans les usines ultramarines, « il est peu probable que l’actionnaire COFEPP, présent à la fois au capital de Gardel SA et de la SRMG consente les mêmes efforts dans deux sites de production séparés par un bras de mer d’une trentaine de kilomètres… ».
30 M€ pour moderniser l’usine
3ème scénario : la modernisation de l’usine, selon un projet conçu par la SRMG. Les moulins ne seraient plus actionnés par le système de vapeur haute pression (la chaudière), mais par une force électrique tirée du réseau. Une modernisation qui permettrait de répondre aux exigences de la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement.
Le coût est évalué à 30 M€. La COFEPP compte en grande partie sur des fonds publics. Mais le financement est loin d’être bouclé, note le rapport, invitant en particulier les collectivités locales à se positionner, « ce qui leur donnera un droit de regard sur le devenir de l’usine, principal opérateur industriel de l’île ».
Onze recommandations
A partir de l’expertise de ces trois pistes, le rapport exprime onze recommandations, dans le cadre de la contribution de l’Etat aux réflexions sur l’avenir de l’usine de Grande-Anse et de la filière canne sur l’île. Les deux premières recommandations concernent le transfert des cannes vers Gardel : organiser, sous l’autorité du sous-préfet de Pointe-à-Pitre, un retour d’expérience, pour identifier les améliorations logistiques et organisationnelles qui faciliteraient le recours à terme à ce fonctionnement. Et faire réaliser, dès cette année, des études de faisabilité par Guadeloupe Port Caraïbes, pour aménager les installations portuaires de Marie-Galante et de Pointe-à-Pitre.
Augmenter les débouchés pour la canne marie-galantaise
Recommandation 3 : veiller au respect par la SRMG des délais de réparation de la chaudière, afin de permettre le lancement, dès mars, de la campagne 2022. Ensuite, demander à l’entreprise de stabiliser le contenu et le chiffrage de son projet de modernisation, en recourant à un cabinet d’experts. L’Etat, lui (ministères de l’Ecologie et des Outre-Mers) doit mettre un terme au projet de centrale thermique de cogénération et donc dénoncer le protocole d’accord de 2018.
Sixième recommandation : inviter Gardel et Iguacanne à intégrer des planteurs de Marie-Galante dans leur démarche de développement de la canne bio. Et toujours dans l’objectif d’accroître les débouchés pour la canne de l’île, augmenter de 10 à 15 % les contingents de rhum agricole produit à Marie-Galante.
Transformer le statut de la SRMG en SEM
Et puis, 8ème recommandation, si l’option de modernisation était confirmée : expertiser les conditions juridiques et économiques d’une évolution du statut de la SRMG vers celui d’une société d’économie mixte, permettant l’entrée dans le capital des collectivités locales. Une SEM dont le fonctionnement et les projets devront être ancrés dans la stratégie territoriale de Marie-Galante. Les deux dernières recommandations portent sur le foncier agricole, l’accès à l’eau, l’amélioration des pratiques culturales et la formation pour répondre aux besoins actuels et futurs de la filière canne sur l’île (en termes agronomiques et agro-industriels).
L’Etat va-t-il suivre les conclusions de ce rapport d’inspection ? Nous serons très bientôt fixés sur la recommandation concernant le respect du calendrier de réparation de la chaudière de l’usine, puisque la campagne sucrière à Marie-Galante devrait démarrer le 17 mars. La date et les prévisions de récolte seront arrêtées lors de la commission mixte de bassin, qui a été repoussée au 8 mars…