Cadeaux illégaux des laboratoires URGO : cinq pharmaciens guadeloupéens face à la justice

Des boîtes de pansements au centre de recherche et développement d’Urgo à Chenôve près de Dijon, en Côte-d’Or, le 20 septembre 2016.
Cinq pharmaciens guadeloupéens seront jugés demain au Tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre pour avoir accepté des "cadeaux non autorisés" des laboratoires URGO. Une affaire révélée, en 2021, par une enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Après la condamnation du groupe pharmaceutique, c'est maintenant au tour des pharmaciens de faire face à la justice.

Les faits remontent entre 2015 et 2021. Durant cette période, les laboratoires URGO ont proposé aux quelque 22 000 pharmaciens, exerçant dans l’Hexagone et en outre-mer, un marché pour le moins particulier. À la fin de chaque prise de commande, il leur était proposé de choisir, dans un catalogue, des cadeaux en nature, comme des téléphones portables, des bouteilles de vin, ou encore des week-ends dans des hôtels prestigieux. En contrepartie, les pharmaciens abandonnaient leur droit à une remise tarifaire.

Une fraude massive

Cette pratique totalement illégale a permis à URGO d’engranger 55 millions d’euros de cadeaux, de quoi conforter une position, déjà largement dominante, sur le segment des pansements et compresses. C'est une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) menée en Bourgogne en 2021, pour vérifier l'application du dispositif "anti-cadeaux", qui a révélé cette affaire.

38 dossiers communiqués au Parquet de Pointe-à-Pitre

En Guadeloupe, l’enquête a mobilisé six  enquêteurs et a concerné une cinquantaine de pharmacies dont les dirigeants sont soupçonnés d’avoir reçu des cadeaux dont la valeur totale dépasse les 300.000 euros. Les enquêteurs ont procédé à une analyse de la comptabilité des pharmacies et des laboratoires URGO, auditionné les dirigeants des établissements concernés et dressé la liste des cadeaux personnels reçus afin de mettre en évidence le lien mécanique entre la renonciation aux remises et la réception desdits cadeaux. 38 dossiers ont été communiqués au parquet de Pointe-à-Pitre et ont été traités comme suit :

  • 9 classements sans suite (soit classement 21, soit classement du fait de la prescription selon les cas)
  • 3 transmissions de dossier à l’unité localement compétente (pharmacien ayant déménagé depuis la commission des faits)
  • 3 dossiers toujours en cours d’enquête
  • 6 avertissements pénaux probatoires pour la tranche des cadeaux compris entre 0 et 1.000 euros
  • 8 compositions pénales (avec des amendes d’un montant égal à celui du bien perçu, augmenté d’un pourcentage commun avec le parquet de Basse-Terre et fixé en amont)
  • 4 comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) avec des amendes du montant du cadeau reçu, majorées de 20 à 25% ainsi que la peine complémentaire d’affichage de la décision pour la tranche des cadeaux entre 5.000 et 10.000 euros, barème commun avec le parquet de Basse-Terre et fixé en amont.
  • 5 audiences collégiales (où les réquisitions envisagées à ce stade respecteront le barème prévu en amont et en lien avec le parquet de Basse-Terre).

Des condamnations pour le "donateur" et le bénéficiaire

Le laboratoire a été condamné, en janvier 2023, à une amende de plus d’1million d’euros, et à la confiscation de 5,4 millions d‘euros au titre d’une saisie pénale. 8 000 pharmaciens ont déjà été ou sont poursuivis pour perception d’avantages non autorisés, par un professionnel de santé. En Guadeloupe, cinq d’entre eux seront donc jugés, ce mardi, lors d'audiences collégiales, par le tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre. Ils encourent 1 an de prison et 75 000 euros d’amende. Des sanctions qui peuvent être assorties de peines complémentaires, comme l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer ou la confiscation du produit de l’infraction (cadeaux reçus) par exemple.