Le procès des cinq pharmaciens s'est ouvert ce mardi matin au tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre. L'avocat d'un des prévenus Daniel Drumeaux a déposé une demande de renvoi. Malgré l'opposition du Ministère public qui rappelle que le prévenu a déjà été condamné pour avoir délivré des médicaments vétérinaires sans ordonnance, le tribunal accorde le renvoi, au motif que la convocation était mal rédigée. Le dossier de Daniel Drumeaux sera traité le 22 octobre.
Les quatre autres dossiers traités ensemble
Éline Corvo, Isabelle Merault, Sbihi Hamza et Keyte Turlet sont appelés à la barre. Tous sont poursuivis pour perception d'avantages procurés par une personne assurant une prestation de santé, en l'occurrence les laboratoires URGO.
Le Président procède au rappel des faits. L'affaire débute par un signalement de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) d'Île de France, le 4 mai 2021. Les laboratoires URGO ont été condamnés en comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) à des amendes dépassant le million d'euros. 40% des officines ont participé à ce programme. La valeur totale des cadeaux octroyés aux pharmaciens au niveau national approche les 55 millions d'euros. Les quatre prévenus jugés ce mardi matin ont tous accepté des cadeaux d'un montant supérieur à 10 000 euros (Téléphone cellulaire, téléviseur, montres, champagne).
Une défense qui renvoie la responsabilité au laboratoire
Éline Corvo reconnaît un manque de vigilance mais renvoie la faute sur le commercial qui lui aurait assuré que le dispositif était légal. En contrepartie des cadeaux, le pharmacien abandonnait sa remise tarifaire qui pouvait atteindre 50% sur les compresses.
Isabelle Merault assure que les 17 objets ont tous servi au fonctionnement de la pharmacie. Le ministère public remet en cause le bien-fondé d'une montre Longines à 1000 euros, d'un cabas Longchamp, d'une enceinte Bose. "Je ne faisais pas le lien." répond Isabelle Merault. À la demande de son avocat, elle explique l'usage professionnel des trois téléphones, de la tablette, d'un outil multi-usages, du sac et d'un aspirateur. "Je choisissais en fonction de leur utilité pour la pharmacie".
Hamza Shibi reconnaît n'avoir jamais entendu parler de la loi anti-cadeaux.
Le patient n'a jamais payé un produit plus cher sur la gamme blanche. La commerciale d'Urgo nous a vendu quelque chose qui était légal. Aujourd'hui, plus aucun produit URGO ne rentre dans mon officine. Nous n'avions pas l'intention de frauder. On s'est fait avoir par le laboratoire, vous ne pouvez même pas savoir la haine que j'ai contre eux.
Hamza Shibi
Le Président du tribunal réagit "il s'agit d'une profession réglementée. Vous êtes responsable." Le Ministère public les interpelle : "l'offre relais et château à 3000 euros à Saint-Barth, c'est normal ? Et la montre à 2300 euros, ça ne vous interroge pas ?"
J'ai toujours travaillé avec Urgo, un laboratoire leader. Pour moi, j'ai acheté ces objets puisque je faisais abstraction de ma remise tarifaire. Aujourd'hui j'ai compris que ce n'était pas cela. C'est URGO quand même, ce n'était pas le petit marchand d'à côté. Je ne pouvais pas imaginer que c'était illégal.
Keyte Turlet
La crédibilité des professionnels de santé mise à mal
Le président indique que les quatre prévenus n'ont pas de casier judiciaire. Les 38 dossiers signalés en Guadeloupe ont fait l'objet d'une attention toute particulière du Parquet de Basse-Terre qui a demandé une uniformisation de la procédure sur les deux ressorts de la Guadeloupe, Basse-Terre et Pointe-à-Pitre.
Le pharmacien n'est pas un commerçant lambda. Il est un professionnel de santé. Ce dossier intervient dans un climat où la crédibilité des professionnels de santé est déjà remise en cause. La loi anti-cadeaux sert à préservé cette confiance. 18 bouteilles et 3 magnum de champagne servaient-elles au fonctionnement de la pharmacie ? Bizarrement, personne ne s'est posé la question de la valeur des cadeaux accordés en contrepartie de l'abandon de la remise tarifaire.
Ministère public
Des amendes majorées et la publicité des peines requises
Le ministère public requiert une amende du montant des cadeaux perçus, majorée de 30% pour les sommes comprises entre 10 et 15 000 euros et 35% pour les montants supérieurs à 15 000 euros. L'inscription B2 au casier judiciaire et l'affichage pendant deux mois de la peine dans l'officine concernée, sont également requis.
Lors des plaidoiries de la défense, Maître Kammerer qui représente Éline Corvo et Hamza Sbihi, remet en cause la définition du mot cadeau et rappelle que plusieurs objets ont bien été utilisés en pharmacie. Il demande une dispense d'inscription au casier judiciaire, indispensable pour exercer la profession de pharmacien et rappelle que les laboratoires URGO ont bénéficié de cette dispense. Maître Racon, avocat de Keyte Turlet, s'étonne de son côté de la clémence judiciaire dont a bénéficié le groupe URGO. Il demande une relaxe de peine pour sa cliente et une dispense d'inscription au casier judiciaire. Maître Merault, avocat d'Isabelle Merault, demande également de la mesure, en particulier une dispense d'inscription au casier judiciaire et d'affichage en officine.
Le jugement a été mis en délibéré au 22 octobre 2024.