Le président de la République dominicaine, Luis Abinader, a mis sa menace à exécution : toutes les frontières terrestres, maritimes et aériennes avec Haïti sont fermées, depuis jeudi dernier (le 14 septembre 2023).
Un différend oppose les deux pays qui se partagent l’île d’Hispaniola ; Saint-Domingue exige de Port-au-Prince l’abandon de son projet de construction d’un canal s’approvisionnant dans la rivière du Massacre, commune et frontalière.
Ce cours d’eau, également appelé Dajabon, naît en territoire dominicain et mesure 55 km, dont 9 km de frontière et 2 km en territoire haïtien, là où est construit le canal.
Le canal de la discorde
Depuis la fin de semaine dernière, Luis Abinader reste catégorique. Encore hier (lundi 18 septembre), le gouvernement dominicain a "rejeté catégoriquement" les déclarations d'un expert de l'ONU, qui se disait "extrêmement alarmé" et appelait à une révision de cette décision.
J'exhorte le gouvernement (dominicain) à reconsidérer sa décision (de fermeture) qui aura de graves conséquences sur les populations des deux côtés de la frontière (...). J'exhorte les deux gouvernements à revenir à la table des négociations
William O'Neill, expert de l'ONU mandaté par le Conseil des droits de l'Homme
En cas de désaccord persistant, l’expert onusien a évoqué la possibilité de mise en place d’un "arbitrage international".
William O'Neill rappelle aussi que "Des vies sont en jeu" et la nécessité d’autoriser l'acheminement de "l'aide humanitaire et de biens essentiels" de la République dominicaine vers Haïti, la population de ce dernier souffrant de grande précarité.
En raison de l'insécurité et de la violence des gangs, de nombreux produits essentiels, comme la nourriture, le matériel médical et les médicaments sont importés de la République dominicaine.
William O'Neill, expert de l'ONU mandaté par le Conseil des droits de l'Homme
Haïti reçoit au moins 25% de ses ressources alimentaires de la République dominicaine.
Mais Saint-Domingue estime que ces déclarations sont "partiales et malheureuses" et répète le message présidentiel de la veille.
Tout dialogue avec Haïti est conditionné à l'arrêt de la construction unilatérale et illégale du canal (...). La solution immédiate et définitive à ce problème est entre les mains d'Haïti, lorsqu'il décidera de mettre fin à la construction du canal (...). Il est prématuré de parler d'arbitrage international (...) la crise a été générée par des acteurs haïtiens individuels, opportunistes et irresponsables.
Gouvernement Dominicain
La construction du canal, objet de la discorde, est un projet de promoteurs privés à des fins d'irrigation ; le but est de fournir de l'eau aux agriculteurs haïtiens ; ce captage est vu comme un pas vers l’autosuffisance alimentaire.
Le gouvernement de Port-au-Prince estime, lui, qu’Haïti "peut souverainement décider de l'exploitation de ses ressources naturelles" et "faire des prises" dans la rivière.
Des tensions récurrentes entre la République dominicaine et Haïti
Cette crise diplomatique survient alors que les relations entre les deux pays sont déjà tendues en raison de l'immigration haïtienne. Luis Abinader a durci sa politique, en matière d'immigration, multipliant les coups de filet et construisant un mur à la frontière.
À la faveur de ce nouveau désaccord, la République dominicaine a déjà suspendu, lundi, la délivrance de visas aux ressortissants haïtiens et a fermé, la semaine dernière, le point de passage de Dajabon, l'un des plus importants, où un marché binational fonctionnait jusqu’ici deux fois par semaine.
D’un côté de la frontière, on trouve le pays le plus pauvre des Amériques, enlisé depuis des années dans une crise économique et politique aggravée par la violence des gangs et, de l’autre, un pays qui refuse d’être submergé et entraîné sur la mauvaise pente, selon ce qui est sous-entendu, à propos notamment de la "mauvaise gestion (haïtienne) des ressources naturelles".
Haïti et son manque de planification ont fait que la quasi-totalité des écosystèmes de son territoire sont détruits.
Luis Abinader, président de la République dominicaine
Saint-Domingue affirme enfin que le projet de canal viole le "Traité de paix, d'amitié perpétuelle et d'arbitrage" de 1929, l'accord frontalier de 1935 et le protocole de révision frontalière de 1936.