Que produire en Guadeloupe, dont les terres sont contaminées par le chlordécone ? Les services de l'Etat publient une cartographie. Un code couleur indique la teneur en pesticide des parcelles et les cultures et élevages qui peuvent y être faits. Certains agriculteurs se sont parfaitement adaptés.
Les Guadeloupéens ont la possibilité d'en savoir davantage, quant à l'ampleur de la pollution des sols de Guadeloupe, par le Chlordécone.
Ce pesticide particulièrement toxique a été utilisé pendant plus de vingt ans, sur les bananeraies, pour lutter contre le charançon, un nuisible. Répandu par épandage sur les plantations, il a contaminé, pour plusieurs décennies, les terres, les eaux des rivières et de la mer, la faune et la flore, ainsi que les populations de la Guadeloupe, mais aussi de la Martinique.
Et, donc, les services de l'Etat, qui procèdent régulièrement à des analyses de sols, pour en connaître les teneurs en chlordécone, ont compilé sur des cartes les résultats correspondants. Ces documents servent de guides aux agriculteurs et aux éleveurs professionnels, mais aussi aux particuliers qui cultivent leur jardin.
Une cartographie mise à jour
La cartographie des zones contaminées par le chlordécone existait déjà. Elle a été enrichie dernièrement, suite aux analyses et à la qualification de 1750 hectares supplémentaires, entre 2019 et 2020.
Depuis le lancement de cette opération, en 2001, la Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) et ses partenaires ont analysés 5140 hectares, au total, qui se concentrent essentiellement dans le "croissant bananier", cette zone du Sud Basse-Terre, fortement contaminée et identifiée grâce à l’étude ChlEauTerre.
D'ailleurs, les nouvelles analyses ne présentent pas de résultats totalement atypiques ; les prélèvement les plus contaminés se situent dans ce bassin.
Ce travail de cartographie devrait encore s’enrichir, dans le cadre du plan Chlordécone 4, moyennant un effort financier de l'ordre de 30 millions d'euros, par territoire (Guadeloupe et Martinique).
Pour l'heure, ce processus est actuellement mené sur la base du volontariat des propriétaires des parcelles, plutôt que de manière obligatoire comme le rapport interministériel le recommande ; sans doute, justement, faute du budget nécessaire.
Or, seules les analyses obligatoires et gratuites permettront le classement de l'ensemble des terres, en vue de leur mise en culture de façon adéquate et d'éviter la contamination des denrées.
Comment accéder à ces cartes ?
Les résultats de 5.140 hectares analysés sont donc représentés sur cette cartographie "Teneur en chlordécone des sols".
Elle est accessible sur le site karugeo.fr.
Par ailleurs, des cartes communales plus détaillées sont disponibles sur le site de la Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) - Guadeloupe : daaf.guadeloupe.agriculture.gouv.fr.
En voici deux exemples : Les Abymes où peu de parcelles ont été analysées et où la contamination est moindre, ainsi que Capesterre-Belle-Eau, terre bananière où la présence du pesticide est significative.
L'ensemble de ces documents est téléchargeable. Mais il faut savoir que les données et les cartes sont régulièrement actualisées.
Quoi produire en terre "chlordéconée" ?
Les parcelles analysées sont identifiées par un code couleur, qui renseigne sur la teneur moyenne de chlordécone :
- Orange pour une teneur supérieure à 1 mg/kg (24% des parcelles analysées) ;
- Jaune pour une teneur comprise entre 0,1 et 1 mg/kg (19% des parcelles analysées) ;
- Vert clair pour une teneur compris entre le seuil de détection et 0,1 mg/kg (8% des parcelles analysées) ;
- Vert foncé pour une teneur inférieure au seuil de détection (48% des parcelles analysées) ;
- Beige : terrains non analysés, mais où il existe un risque de contamination par la chlordécone, parce des bananiers y ont été cultivés, entre 1969 et 1997.
Ce même code couleur sert à indiquer aux exploitants agricoles, ainsi qu'aux particuliers qui cultivent leur jardin, ce qu'ils peuvent produire sans risque :
- Orange : seules les cultures fruitières et arbustives et les cultures maraichères sans contact avec le sol sont possibles ;
- Jaune : les cultures végétales sont possibles, à l’exception des légumes racines, cives et poireaux ;
- Vert clair : toutes les cultures végétales sont possibles ;
- Vert foncé : l’élevage et toutes les cultures végétales sont possibles.
Dans les secteurs en beige, "il convient de se limiter aux productions non sensibles : cultures fruitières et arbustives et cultures maraichères sans contact avec le sol", selon les autorités.
On comprend, donc, que les productions agricoles sont plus ou moins sensibles à la contamination par la chlordécone :
- L’élevage est une production particulièrement sensible à la chlordécone, la molécule pouvant se retrouver dans la viande, le lait, les oeufs et les abats (foie notamment). L’élevage est par conséquent déconseillé sur les terrains contaminés, même très faiblement ;
- Les légumes-racines, cives et tubercules (ignames, patates douces, carottes...) sont très sensibles au transfert de chlordécone, la partie consommée se développant entièrement ou en grande partie dans le sol. Ces productions ne doivent pas être conduites sur des terrains pollués au-delà de 0,1 mg de chlordécone/kg de sol sec ;
- Les productions maraîchères poussant en contact avec le sol (concombres, giraumons, melons, pastèques, salades... ) et la canne à sucre, lorsqu’elle est destinée à la fabrication de jus de canne ou à l’alimentation animale, sont moyennement sensibles au transfert de chlordécone. Ces productions ne doivent pas être conduites sur les terrains fortement contaminés dont la teneur en chlordécone est supérieure à 1 mg de chlordécone par kg de sol sec ;
- Les cultures fruitières arbustives (agrumes, goyaves, papayes, bananes...) et les cultures maraîchères sans contact direct avec le sol (choux, tomates, pois, christophines...) sont très peu, voire pas du tout, sensibles au transfert de chlordécone, vers les parties consommées et peuvent être conduites sur toutes les parcelles, quelle que soit la teneur en chlordécone du sol, même dans les cas où il est très contaminé.
Autre information importante : selon l'étude "ChlEauTerre", 14.200 hectares au total, auraient été contaminées par la chlordécone, dont près de 7.300 hectares à usage agricole.
Quelle traduction sur le terrain ?
Comment les exploitants s'adaptent-ils, au regard de ces informations délivrées ?
Prenons l'exemple de Miguel Hery. Cet agriculteur bio, installé à Capesterre-Belle-Eau, veut faire taire l'idée reçue selon laquelle une terre contaminée par la chlordécone ne peut plus accueillir la moindre plantation. Au contraire, ce qu'il produit est au-dessus de tout soupçon, affirme-t-il, d'autant plus qu'il a adopté un mode de production sain, sans aucun produit chimique.
Lors d'une visite de son exploitation, Miguel Hery nous a montré à quel point il a pu diversifier sa production :
Miguel Hery a une autre astuce, pour contrôler la bonne santé de son environnement : la présence des abeilles.
Ne reste plus, pour chacun, qu'à consulter la cartographie, pour veiller à produire sainement, ce qui peut l'être...