Chronique d'une insurrection annoncée

C'est Pointe-à-Pître que l'on brûle
Cette nuit du 18 au 19 novembre 2021 rappelle aux Guadeloupéens l'atmosphère d'une nuit du 17 au 18 février 2009 qui avait vu la mort du syndicaliste Jacques Bino, au milieu d'une guerre de gangs en plein milieu de la contestation sociale du moment. Un souvenir que certains voudraient réveiller

Des feux, des barrages, des individus, encagoulés ou pas, prêts à en découdre avec les forces de l'ordre et surtout, à gêner les déplacements et les interventions des pompiers, tous les ingrédients sont donc présents pour replonger la Guadeloupe dans l'atmosphère qu'elle avait connue en 2009.


A l'époque, le conflit naît après une protestation, en décembre 2008, des gérants de stations services qui réclamaient un numérus clausus sur le nombre de stations en Guadeloupe. Puis il est porté par une plate-forme de revendications sociales essentiellement tournées sur la revalorisation des salaires pour lutter contre la vie chère, une plate-forme qui aura été le baptistère du "Lyannaj kont pwofitasyon", le LKP était né.
Dès lors, la contestation va être systématique, dans les entreprises et dans la rue. Et progressivement, le mouvement prend de l'ampleur jusqu'à rassembler dans les rues plus de 60 000 personnes.

Similitudes et différences

Le mouvement est porté par plus d'une vingtaine d'organisations syndicales ou d'associations culturelles ou sociales. Toutes sont fédérées dans le leitmotiv du mouvement et le portent de manière unanime. L'adhésion massive de la population est d'ailleurs motivée par l'objectif de cette mobilisation. 
La plate-forme de revendications s'est progressivement renforcée entre temps devenant un véritable cahier de doléances qui rassemble dans ces lignes tous les maux de la société guadeloupéenne. Ce ne sont plus les seules attentes salariales mais des points allant des contextes sociaux-économiques aux problématiques de la société guadeloupéenne en passant, par exemple, par ses attentes en matière de distribution d'eau.

C'est peut-être ce qui diffère essentiellement du mouvement de 2021. A l'origine, il se veut une protestation pour soutenir les soignants assujettis à l'obligation vaccinale et au pass sanitaire pour pouvoir travailler dans les établissements de santé. Une revendication exprimée par les leaders syndicaux avec véhémence.

Un "nou" qui ressemble pour beaucoup à celui de 2009 mais dont la portée est beaucoup plus floue aujourd'hui. En effet, tandis que les organisations syndicales accentuent chaque jour leur mouvement, le nombre de vaccinés dans les établissements de santé atteint des sommets : de 80 à 100% par endroit. Il est vrai que, beaucoup de ces personnels vaccinés préfèrent ne pas en faire état parmi leurs collègues, préfèrent être présents dans les manifestations ou se mettre en congé, par peur de réprésailles. Ce qui a des conséquences sur le fonctionnement des établissements de santé.


Mais de fait, le "nou" du refus du vaccin parmi les personnels de santé ne concerne plus qu'une minorité, 20% au CHU, là où ils sont encore le plus nombreux.
Quant aux pompiers, s'ils sont en tête des manifestations, motivés par Force Ouvrière, le syndicat majoritaire au SDIS, on ne connaît pas encore le nombre réel de vaccinés, l'obligation n'étant formelle que depuis le 15 novembre. On sait cependant que, parmi l'état-major du SDIS, 82% des officiers sont vaccinés.

Alors, pourquoi une telle mobilisation ?

Il faut le dire, depuis 2009, le LKP a toujours promis de "redescendre dans la rue" sans pouvoir le faire. Durant ces douze dernières années, il a toujours tenté de rallumer le feu de sa naissance mais le vent du désintérêt populaire n'a eu de cesse de souffler sur la mèche pour l'éteindre irrémédiablement.
Dès le début, la crise sanitaire est apparue comme une allumette providentielle pour ressusciter le conflit social et sociétal de 2009. Dès le début, le mouvement se positionne résolument contre le gouvernement, allant jusqu'à nier la circulation du virus et la pression hospitalière alors même que la 4ème vague commencait à faire des ravages, avant de les reconnaître en imputant la responsabilité à l'Etat et ses services.


Allumette en main, il fallait ensuite un détonateur. L'obligation vaccinale pour les soignants l'aura été. L'organisation s'est alors dressée de toutes ses forces pour incarner la défense de la liberté des soignants et s'afficher contre le vaccin, même si certains de ceux qui le composent sont déjà vaccinés. Elle sait que par ce biais, elle redevient l'interlocuteur prioritaire qu'elle veut être face aux autorités et à l'Etat.

La date du 15 novembre 2021 a donc sonné comme celle du 20 janvier 2009

Il était temps. Et le leader du LKP l'a affirmé haut et fort durant la soirée : "I ja tan pou yo arété fè jé èvè nou é pou nou ganyé libèwté an nou..."(Il est temps que l'on cesse de se moquer de nous et que nous nous organisions pour conquérir notre liberté.) Elie Domota a ainsi appelé la population a rejoindre le mouvement.
La progression vaccinale au sein des établissements de santé menaçait le mouvement. Pour le poursuivre, il fallait donc lui donner une autre envergure. La contestation a donc quitté les abords des établissements de santé pour s'exprimer sur les routes et dans les carrefours, là où la gêne de la circulation oblige les uns et les autres à ne plus ignorer le mouvement mais à faire avec. Comme en 2009, les militants auront été les premiers à prendre position dans ces barrages et comme 2009, les bandes de jeunes sont venus s'installer dans cette atmosphère insurectionnelle pour lui donner un nouveau souffle. Des jeunes bien souvent sans réelle motivation mais qui ont, de fait, un prétexte pour se livrer à des exactions.

Un manifestant ©J-M. MAVOUNZY

Difficiles pour les militants syndicaux de s'associer à ces actes de détérioration. Et si certains préfèrent souffler le chaud et le froid pour ne pas y être assimilés, d'autres veulent malgré tout y voir l'expression du malaise de la jeunesse guadeloupéenne.

​​​​​​​Jocelyn Zou délégué syndical des sapeurs Pompiers

Une jeunesse guadeloupéenne qui choisit délibérément de quitter la Guadeloupe pour s'offrir un avenir ailleurs, non seulement dans l'Hexagone mais aussi et de plus en plus vers les pays de l'Amérique du Nord, de l'Australie et même au Japon. Preuve d'une mutation sociétale que ni les politiques, ni les syndicats n'ont encore appréhendée.


Il est vrai qu'une bonne partie de la jeunesse guadeloupéenne est en décrochage scolaire depuis longtemps. C'est elle qui avait contribué à accélérer les négociations de 2009. Et comme à l'époque, certains espèrent que le relais pris par elle cette fois encore bousculera les intentions politiques pour assurer une nouvelle victoire au LKP. 
Mais à quel prix ? ​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​
 

©Guadeloupe